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Nouvelle en musique...

Nouvelle en musique...

Publié le 7 mars 2021 Mis à jour le 7 mars 2021 Culture
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Nouvelle en musique...

L'ORPHEON

 

                       « Pouvez-vous faire un peu moins de bruit ce matin s'il vous plait ! Je ne sais pas ce qui vous arrive mais là c'est un peu compliqué. Soyez sages les enfants, c'est bientôt l'heure de la récréation. »

         Des années qu'il disait cela, monsieur Boissier, pourtant il avait toujours le même plaisir à voir évoluer ses petits, comme il aimait à les appeler.

L'école communale d'Osny, en Seine et Oise, donnait un enseignement à des élèves de plusieurs niveaux, dans la même grande salle de classe. Une mappemonde trônait sur une vieille armoire et n’en descendait que pour certaines occasions ; lorsque l’on voulait parler du Monde. Les cours de géographie passionnaient certains élèves mais d’autres beaucoup moins. Connaître des pays, ailleurs, c’était bien mais apprendre tous les départements français paraissait une tâche bien fastidieuse. Pourtant, régulièrement, monsieur Boissier interrogeait ses élèves au hasard : Plutôt le matin. L’après midi, la fatigue aidant, les enfants semblaient moins attentifs. C’était l’époque ou l’on apprenait tout par cœur et ou « l’Ecole de la République » tentait d’être le ciment d’une culture homogène. L’instituteur ou "maitre" y occupait alors une place de choix et à sa fonction s’y en ajoutait, souvent, une autre. Monsieur Boissier, pour sa part, avait le titre de secrétaire de mairie. Ce qui ne lui déplaisait pas mais ne le sensibilisait pas outre mesure. Dans la vie, son seul but semblait être la transmission du savoir. Les enfants l’aimaient beaucoup même si son physique ne le rendait pas sympathique d’emblé. La blouse grise qu’il portait tout le temps n’améliorait pas son image un peu rude. Il avait bien tenté de s’imaginer vêtu d’une autre couleur mais la seule qui lui était apparue alors fut le jaune. Il sourit intérieurement. De toute façon, il était très bien comme cela. Un peu bourru, monsieur Boissier ? Peut être ?

 

- Pierrot, rends-moi mes billes.

- Non, elles sont à moi je les ai gagnés.

- S’il te plait, c’est les plus belles. Ma maman elle va me gronder.

- Je m’en fiche.

Là, Alain tel un martyr se laissa tomber par terre en deux temps, comme dans les films de cow-boys. Puis une fois au sol, le nez contre le pavé, il pleura à s’en faire mal à la tête. Jacques Boissier qui philosophait un peu plus loin sur la vie des abeilles avec un petit groupe de la plus petite classe suspendu à ses lèvres, dû s’interrompre dans son explication du vol de l’insecte. Le cri du « martyr » résonnait à faire trembler les murs du préau. L’instituteur arriva près de la victime. Pierrot n’avait pas bougé. Ce chagrin si encombrant l’avait, comme, cloué sur place !

- Alors, qu’est ce qui se passe ici ?

- Il m’a piqué mes billes, dit Alain qui ne pleurait plus.

- Non, dit Pierrot. J’ai joué et j’ai gagné, c’est tout.

Le maître su rapidement qu’il allait devoir négocier fermement. Ce qu’il fit ! Tout rentra dans l’ordre. L’enfance était un test. On cherchait sa place, on se cognait à la vie sans encore se faire vraiment mal ou avec une certaine naïveté. En tout cas, on s’agitait beaucoup dans cette petite cour de récréation ou se côtoyaient des catégories sociales et des cultures différentes.

 

Trois garçons, trois "vrais" copains, ne participaient pas vraiment à cette vie collective. Ils étaient à part. Pourquoi ? On ne savait pas trop. Entre élèves, une rumeur circulait. Nicolas, Mathieu et Emmanuel étaient malades. Qu’avaient-ils ? Personne ne le savait exactement. Ils étaient au moins aussi intelligents que les autres, de cela on était certain. C’était physiquement que cela n’allait pas. Mous ; ils étaient mous. Le mot était faible. Il fallait tout le temps secouer les trois petits anges. Comme on l’aurait fait avec un vieil objet dont on savait qu’il allait bientôt rendre l’âme. Et en effet c’était bien cela. Ces trois gamins nés le même jour dans des familles différentes souffraient de la même maladie. Elle avait pour nom « Amnézie céphalienne ». Quelques chercheurs s’étaient penchés sur ces symptômes. Pas de douleurs, pas de fièvre, pas de comportements décalés ou excessifs, simplement une perte journalière d’énergie vitale. On pouvait en mourir, comme ça ! Sans prévenir, en silence. Y avait-il une guérison possible ? Oui, mais elle ne passait pas par la prise de médicaments.

Voilà ce que les trois familles entendirent de la bouche des médecins : « vos enfants devront rire le plus souvent possible et entendre de la musique. Bien sur il pourra y avoir des moments sans joie ni musique mais s’ils sont trop fréquents, vos enfants risquent de mourir »

Cette étrange maladie transforma la vie d’au moins deux familles. Le papa de Nicolas qui travaillait dans une marbrerie funéraire n’exerçait pas le métier le mieux adapté pour faire rire son fils. Puis la maman de Mathieu du également quitter le ministère de la justice. Lorsqu’elle rentrait chez elle, madame Humot racontait tout le temps des histoires de crimes atroces qui terrorisaient toute sa petite famille.

Après les réadaptations professionnelles nécessaires à la survie des trois amis, ceux-ci purent, au minimum, se rendre en classe chaque jour. Evidemment, on peut imaginer que chez les Humot, Boissier (l’un des deux garçons était le petit fils de l’instituteur), et Payot, les journées commençaient étrangement. Dans chaque maison le petit déjeuner avait lieu avec le sourire. Victoria Humot avait été chargé de trouver des disques entrainants. Elle travaillait à Paris, le choix des magasins diffusant ce type de produits y était bien plus grand qu’en région parisienne.

Un matin, Victoria convoqua les trois gamins dans son salon. Ils n’avaient pas école. « Avec vos parents, on a décidé de vous faire une surprise »

Sur la grande table en bois de la salle à manger étaient déposés de magnifiques gros croissants, bien dodus. Près de ceux ci, différentes sortes de confitures. Mathieu, qui était chez lui, proposa à ses copains de se servir. Goulument ils attaquèrent le festin. Victoria qui les regardait attendrie quitta la pièce et revint avec trois paquets, enveloppés et de même forme. Elle proposa ces présents aux trois garçons. Ils arrachèrent les papiers cadeau avec autant de rapidité qu’ils avaient dévorés les croissants. A l’intérieur des sachets, des disques, de grands disques. Victoria intervint : « les garçons, ces disques sont à respecter. Il ne faut pas les abimer. Ils vous aideront tous les jours à vous sentir mieux. Vous verrez, ça va vous faire du bien. »

Les trois copains se regardèrent amusés. La maman de Mathieu avait l’air vraiment sérieux. Eux, ils étaient heureux, même s’ils ne comprenaient pas vraiment le message d’une mère qui veille à la santé des siens. L’important était que quelqu’un avait pensé à eux, en l’occurrence leur parents respectifs et qui leurs avaient offert des cadeaux. Ça c’était chouette ! Bien sur qu’ils écouteraient ces vinyles avec régularité, tous les matins avant de partir à l’école, dix minutes environ ! Chacun à sa manière. Mathieu le ferait après sa petite douche, avant de s’habiller pour sortir. Nicolas poserait un disque sur son électrophone dès le réveil et enfin Emmanuel profiterait de sa pause musicale entre la fin du petit déjeuner et son départ pour l’école.

Sans le savoir, les trois garçons avaient choisis d’écouter le même disque pour démarrer la journée. Mais plus étonnant encore, le même morceau. Il est vrai que « one o’clock jump » de Count Basie était le type de musique à réveiller un mort. C’était explosif ! Le choix de madame Humot semblait judicieux. Hormis Basie, ses choix s’étaient portés sur un album d’Alain Corageur et pour finir un enregistrement d’Illinois Jacquet et son grand orchestre. Elle voulait du swingue. Elle trouvait cette musique drôle, enjouée. Alain Corageur travaillait avec Boris Vian. Il ne pouvait donc pas être foncièrement triste.

 

Madame Humot pensait souvent à l’avenir de son fils. Que deviendrait-il sans ses conseils ? Monsieur Humot semblait prendre plus de recul face à la situation. Il répétait à Victoria de ne pas trop s’en faire. De toute façon tout s’arrangerait. Il est vrai que pour cet homme tout pouvait paraître plus simple. Il n’était jamais chez lui. C’était un notaire de campagne, doublé d’un bon vivant. Lorsqu’il partait en « repas d’affaires » il rentrait à son office vers seize heures trente. Largement de quoi avoir le temps de manger. Lui aussi devait écouter Count Basie dès le matin, ce n’était pas franchement sa tasse de thé. Cette musique lui paraissait trop populaire. Il fallait mieux faire semblant de connaître Chopin ou Beethoven par cœur. C’était plus snob, même si c’était faux. Alors, évidemment, les problèmes de son fils résonnaient en lui mais comme un écho très lointain.

Dans les deux autres familles, le problème de santé des enfants semblait mieux partagé. Monsieur Boissier l’instituteur prenant même une place importante auprès de son petit fils pour que lui et ses deux camarades se sentent bien en classe. Il ne s’agissait pas de mettre en place un traitement de faveur mais d’exercer une surveillance discrète permettant d’être présent rapidement si un problème se présentait. Depuis l’achat des disques, Mathieu, Nicolas et Emmanuel partaient à l’école avec énergie. Evidemment, il y avait de terribles faiblesses dans la journée mais ce résultat donnait de l’espoir. A priori la musique ne faisait pas qu’adoucir les mœurs. Elle pouvait minimiser les symptômes de « l’amnézie céphalienne » pendant quelques heures. Après et selon les évènements de la journée, il pouvait avoir lieu une rechute soudaine, par exemple, en cas de mauvaise nouvelle. Si c'était le cas, il fallait faire vite. En effet, la substance vitale se régénérait aussi vite qu'elle pouvait disparaître.

Cela ne paraissait pas pour l'instant perturber les trois petits garçons. A l'école, même s'ils étaient différents, Mathieu, Nicolas et Emmanuel ne vivaient pas cette situation comme frustrante. Au contraire, ils restaient soudés et avaient l'impression que cet isolement, un peu volontaire, leurs signifiaient qu'ils étaient des personnalités à part. Peut-être des héros ? Les comics américains (Spider man, Batman) que les gamins lisaient ensemble, chez l'un ou chez l'autre, accréditaient cette thèse. Les héros fantastiques étaient tous au départ un peu faible, alors…

Les trois familles avaient tissé des liens d'amitié forts. Monsieur Boissier était même devenu, en dehors de l'école, l'instituteur particulier de ces enfants. En cas d'absence ou tout simplement si une leçon n'avait pas été bien comprise, alors, l'homme reprenait avec une délicate autorité les points non acquis.

 

Quelques mois s'étaient écoulés depuis l'achat des disques. Seize heures sonnèrent dans la cour de récré. C'était la fin des classes. Les gamins couraient vers la sortie pour se retrouver, pour s'amuser un peu et profiter encore quelques minutes les uns des autres avant de rentrer à la maison. Les trois copains derrières leurs camarades sortaient aussi. Ils se parlaient de manière secrète. On aurait dit trois cadres échangeant des informations confidentielles sur une multinationale. Il y avait dans leur conversation quelque chose de solennel. C'était un peu ça ! Toute la journée ils avaient réfléchi. Chacun d'entre eux devaient, ce soir là, faire une demande à ses parents respectifs. En fait : la même ! Elle concernait leur avenir. Puisqu'ils savaient qu'ils avaient nécessité à vivre avec la musique, une évidence s'imposait à eux. Ils allaient être musiciens. Mais pas n'importe comment, ensemble !

Chacun devant la porte de sa maison tenta de parler mais sans succès. Mathieu Humot ne réussit qu'à inquiéter ses parents, balbutiant, pleurant presque. Il en était inaudible. Nicolas Boissier tenta, lui, un : "Papa, maman, j'ai un truc à vous dire..." puis il enchaina sur un : "Non, je vous le dirais demain" Enfin Emmanuel n'essaya même pas. Un violent mal de ventre l'empêcha de dire quoi que ce soit de la soirée.

Au même moment, à l'heure d'aller se coucher, les trois gamins se retrouvèrent assis sur leurs lits en train de se dire qu’ils étaient vraiment nuls.

Le lendemain à l'heure du petit déjeuner chacun d'entre eux se demandait comment il allait pouvoir affronter l'autre sans être honteux. Enfin l'heure de partir à l’école arriva. Une petite porte métallique donnait sur une cour qui paraissait immense aux enfants. Dans la vraie vie d'adulte, elle n'était pas si impressionnante. Les gamins la franchirent avec les mêmes cris que quelques heures plus tard, à l’heure de la sortie. Emmanuel arriva le premier. Il cherchait ses deux amis, impatient et inquiet à la fois. Tout un coup, comme deux corbeaux s’abattants sur un champ de fraises, Nicolas et Mathieu lui tombèrent dessus. Tous les trois rirent de cette blague. Mais pas longtemps. Ils se figèrent vite dans un silence suspect, gêné. Puis : « Alors, ils ont dit quoi vos parents ? » Demanda Mathieu.

« Euh ! » fut la réponse des deux autres. Ils comprirent, qu’aucun des trois n’avaient eu le courage d’exprimer leur envie de faire de la musique « pour toute leur vie ».

« Bon, ce n’est pas grave » dit Emmanuel. « On va écrire un texte, puis on va le lire aux parents. Avant, on le fera lire au maitre pour savoir si c’est beau, et si on peut le dire comme ça. »

« D’accord et c’est moi qui m’occupe de le présenter à papi pour voir si des fois, c’était pas bien » Nicolas adorait son grand père. Il lui disait tout, ou presque !

« Je crois quand même qu’on va mettre du temps, pour bien parler sur le papier » ajouta Mathieu. Et, en effet, ils commencèrent à écrire pendant la récréation pour terminer après la classe sur les marches de la petite église d’Osny. Ils étaient heureux d’avoir fait ce « petit devoir » ensemble. Chacun d’entre eux avait l’impression que ce moment passé devant l’église les unissait à jamais. Une sorte de pacte, en fait ! Tout cela était presque vrai, mais pour l’instant ils ne le savaient pas encore.

Nicolas comme prévu donna le précieux document à papi Boissier, lui faisant promettre de ne rien dire pour le moment, à qui que ce soi. Certes l’instituteur ne fut pas toujours en accord avec le style grammatical de « ses petits » mais ce qu’ils disaient était particulièrement touchant, sensible.

 

Le grand jour arriva. C’était un jeudi après midi. Les trois couples parentaux étaient disponibles et les gamins n’avaient pas classe. Le moment avait été choisi avec soin. Après un bon repas chez les Boissier ou tout le monde avait été invité. Des liens d’amitié forts unissaient maintenant les parents. A peine le digestif terminé, Emmanuel se leva cérémonieusement puis se fixa sur lui-même, en bout de table de façon à être vu de tout le monde. Les parents eurent envie de rire tant il sentait la gêne du jeune garçon. Papi Boissier devint tout rouge, il était le seul à savoir. Le moment semblait solennel. Le petit Manu – c’est comme ça que ses copains l’appelaient – dit : « Si je me suis mis là, c’est parce que tous les trois on a quelque chose d’important à vous dire. En vrai, on l’a écrit alors je vais vous le lire.

A vous les parents, on voudrait dire qu’on sait qu’on est très malade mais on ne veut pas trop vous inquiéter. On a aussi compris que pour nous aider à vivre, on a besoin de musique, mais plus que les autres. Nous on doit en écouter tous les jours, sinon on va moins bien. Alors, on a décidé quelque chose avec Nicolas et Mathieu. On s’est dit que pour bien vivre fallait qu’on puisse comprendre la musique pour s’en fabriquer tous les jours. Alors ce qu’on veut c’est que le plus vite possible on puisse s’inscrire dans une école ou on fait d’un instrument. C’est ça qu’on veut. Mais, si c’est possible, on voudrait faire ça tous les trois, ensemble ! J’espère que vous serez d’accord vous les parents pour que l’on puisse le faire. On sait qu’on sera des héros et si en plus de jouer de la musique on peut rigoler, alors on sera super heureux. »

Le petit Manu était très fier d’avoir lu jusqu’au bout et sans se tromper, le petit texte qu’il avait écris avec ses copains. Les parents étaient émus. Chacun d’entre eux regarda son fils. Puis Monsieur Payot pris la parole : « Vous savez les mômes, là vous avez fait fort. Non seulement je suis sûr que nous sommes tous d’accord pour vous inscrire à une école de musique mais en plus je trouve que vous êtes formidablement courageux. »

Marcel prit alors Emmanuel dans ses bras. « Champagne pour tout le monde » annonça Jeanne Boissier qui invitait tout le monde aujourd’hui.

« Dites-moi les gamins, vous pourrez attendre la rentrée pour votre inscription à une école de musique ? » demanda Arlette Payot en riant.

« Oui quand même » dirent les trois amis étonnés de répondre en même temps.

 

L’année scolaire se termina plutôt mieux que les autres pour Nicolas, Mathieu et Emmanuel même si quelquefois la maladie ne les épargnait pas. Ce fut plus particulièrement le cas pour Mathieu qui perdit sa grand-mère, la mère de son père. La mort d’une mamie n’est déjà pas simple pour un enfant mais là, les symptômes de cette étrange maladie ne firent qu’aggraver l’état de santé du petit garçon. Pendant dix jours, tout mouvement lui couta. Il écoutait régulièrement la radio et repris gout à la vie en entendant le feuilleton « signé furax » interprété entre autres par Pierre Dac. Il découvrit aussi Louis Armstrong et Django Reinhardt. L’écoute du grand trompettiste fut d’ailleurs une révélation. C’est de cet instrument que Mathieu voulait jouer. Il en était sur. Il le dirait à ses copains à la rentrée. Eh oui, c’était maintenant les vacances.

Jacques Boissier devenait nostalgique à cette époque. Il quittait ses élèves pour deux mois. Le dernier jour de classe était émouvant. En général il recevait de nombreux cadeaux de la part des élèves mais que les parents avaient acheté pour témoigner un certain respect à cet instituteur qui d’une certaine manière apprenait la vie à leurs enfants. Après la classe Nicolas et Manu décidèrent de rendre visite à leurs copains. Mathieu était dans sa chambre, sur son lit, en pyjama, lorsqu’il vit arriver ses deux amis. Il était pâle mais semblait très heureux de les voir. « Venez, venez j’ai un truc à vous dire. Je crois que moi quand on sera dans l’école de musique à la rentrée, j’aimerai apprendre la trompette. »

« Bah moi aussi dit Nicolas, j’ai réfléchi et je crois que la guitare ça me plairait bien. Manu étonna ses deux compères en disant : « Moi je veux jouer du tuba. »

Avant de trouver cela bizarre les deux garçons demandèrent ce que c’était que cet instrument dont il n’avait jamais entendu parler. « C’est gros comme un éléphant » expliqua Manu « Et ça fait du bruit, y en a dans les fanfares » Cette conversation d’enfants, un soir d’été, déterminerait le destin des trois garçons. Jouer de ces instruments là ensemble, était un rêve. Mais les rêves chez les gamins ça n’existe pas. C’est forcement pour de vrai.

Ce jour était pour Manu, Nicolas et Mathieu, le dernier ou ils pouvaient faire des projets avant « longtemps » En effet les vacances d’été semblaient être le seul moment ou les garçons ne se voyaient pas régulièrement. Ils se firent leurs adieux un peu plus tard ce soir là avec la permission de leurs parents. Quelques jours plus tard, chacun d’entre eux étaient à la mer en famille. Ils y retrouveraient avec bonheur, des tatas, cousines, cousins, grand mères et amis qui passaient dans la région de façon. Evidemment la tradition musicale était respectée. Même en vacances les Humot, Boissier et Payot avaient pris soins de ne pas oublier les électrophones et les vinyles. Même à Biarritz, monsieur Humot devait se farcir du « Count Basie » tous les jours. Enfin tout de même, il était bien agréable de profiter des vacances quand on en avait les moyens. Les gamins s’amusaient entre eux et riaient à s’en faire mal au ventre. Pour les trois petits copains fragiles, c’était un vrai bonheur. Ce bon temps passerait vite. Il faudrait bientôt rentrer à Osny. Monsieur Boissier comme tous les ans aux premiers jours de septembre irait vérifier minutieusement l’état de la classe quelques jours avant l’arrivée des enfants et sous un magnifique soleil s’assiérait sur le banc une fois l’inspection terminée. Il imaginerait la cour pleine de mômes et respirerait l’odeur particulière du soleil de dix huit heures, puis il rentrerait chez lui. Juste derrière l’école. Il vivait là seul depuis longtemps. Véronique, sa femme, était décédée il y avait bien longtemps d’une maladie cardiaque. Jacques Boissier avait élevé son fils Henri, le père de Nicolas, seul. L’instituteur était d’autant plus sensible à la maladie de son petit-fils qu’il avait dû faire face à celle de sa femme. Mais enfin ses difficultés étaient derrière lui. Puis, il avait été un excellent père et s’avérait être un délicieux papi. Les trois générations étaient très unies et monsieur Boissier appréciait beaucoup sa belle fille, Jeanne.

 

Neuf septembre, c’était la rentrée. Et pour certains la dernière année dans la classe de Jacques Boissier. Nicolas, Mathieu et Manu s’étaient déjà retrouvés quelques jours plus tôt autour d’un gouter d’anniversaire pour fêter les huit ans de Mathieu. La fête avait été vraiment réussie. Madame Humot était une excellente pâtissière. Les gamins avaient gouté à des mets très fins, digne d’un très grand restaurant. La rentrée des classes excitait tout ce petit monde. Les trois copains avaient aussi autre chose en tête ces derniers jours. Ils voulaient acheter leurs instruments avant l’inscription au conservatoire. Il y avait un magasin dans une ville un peu plus importante, toute proche.

Les parents décidèrent d’y emmener les trois amis dès le jeudi suivant. C’est Arlette qui se chargea d’accompagner les gamins et qui fit les démarches administratives pour tout le monde. Il ne restait plus qu’à signer en bas de chaque feuille. Emmanuel comme ses copains vérifia bien avant de rentrer qu’il y avait bien inscrit qu’il serait en classe de tuba. Nicolas regarda s’il était en haut de la page qui précisait qu’il consacrerait son année à la guitare et enfin, Mathieu pris connaissance du fait qu’il jouerait bien de la trompette.

Un rêve était en train de se réaliser pour les trois mômes. Ils allaient jouer de la musique. La joie était à portée de main. Les enfants ne pouvaient l’exprimer ainsi, mais avaient conscience que ce jour crucial apporterait à chacun d’entre eux, pour longtemps, quelque chose de spécial, la guérison, peut être ? Oui c’était bien ça. Au delà d’une amitié déjà forte, les trois amis s’apprêtaient à partager l’intimité musicale. Une aventure…L’apprentissage des instruments fut une joie parsemée de moments douloureux. Nicolas, Mathieu, et Manu voulaient être bon tout de suite, Impossible. Alors évidemment, il y eu des frustrations. La première fut de se dire que la théorie musicale pouvait être fastidieuse. Mais tout de même ils devinrent « techniquement écoutables », rapidement. C’était le premier pas vers la liberté à venir. Celle que les musiciens appellent improvisation.

Dorénavant la vie de ces enfants peu ordinaires tournerait autour de la musique. Ils en parleraient entre eux tout le temps, en joueraient aussi beaucoup et pour finir en agaceraient, au début, plus d’un en tentant de les faire adhérer à leurs gouts. « Nous on sait ce que c’est que la bonne musique », proclamaient ces jeunes. Même si la formule pouvait paraître prétentieuse, il fallait admettre que dans la plupart des cas ils avaient raison. Il y avait bien quelque chose qui paraissait étrange, mais dans l’ensemble cela paraissait cohérent et acceptables par les familles. Brassens dérangeait tout de même un peu. Trop brut !

Jacques Boissier, lui n’était pas de cet avis, mais il semblait peu suivi.

 

Quelques années plus tard les trois amis maitrisant assez bien leurs instruments pour jouer ensemble, décidèrent de tenter l’aventure du groupe. Monsieur Boissier qui n’était plus leur instituteur, ils étaient au collège, continuait tout de même à garder un œil bienveillant sur eux. Il leur fournissait même une salle pour les répétitions. Sa salle, celle ou il enseignait dans la journée. C’était sa façon à lui de contribuer au bonheur de son petit fils ainsi qu’à celui de Mathieu et Manu. Pour les trois familles, accepter l’idée du groupe était également une manière de savoir leurs enfants en meilleur santé. Pendant qu’ils faisaient de la musique, ils allaient bien. Le répertoire adopté par les trois musiciens pouvait être personnel. Manu aimait bien de temps en temps composer, mais le plus souvent, il s’agissait de parodier des standards du jazz de manière très amusante. Ils adoraient ça. Cela les faisait beaucoup rire. Au delà de leurs talents de musiciens, ils avaient également de réels dons de comédiens. De temps à autre, leur vie amoureuse les faisait souffrir, certainement eux plus que d’autres mais c’était banal, chez les adolescents. A part ces grands moments de désespoirs qui les emmenaient parfois à proximité de la mort, ils allaient globalement mieux. La maladie resterait, certes, mais ils avaient trouvé un moyen de la maitriser au maximum en jouant de la musique et en amusant les autres. En vivre serait idéal ! Pourquoi pas ? Pour le moment, on était loin de ça. Il fallait d’abord se faire connaître. Mais bon, les trois amis pensaient cela jouable. Pas forcement tout de suite, mais l’idée faisait son chemin. Les trois ados souhaitaient finir leurs études, histoire d’assurer si par hasard, leur carrière d’artiste ne fonctionnait pas tout de suite. Puis, il y avait les parents. Nicolas, Mathieu, et Manu les entendaient déjà d’ici : « Comment ? Mais ça ne va pas ! Artistes ! Vous n’y pensez pas…C’est difficile de gagner sa vie comme ça »

Voila à quoi s’attendaient les amis. Nicolas ajouta que comme d’habitude, papi Boissier serait le seul à les soutenir s’ils annonçaient cela. Mais bon, de toute façon, ils feraient comme la première fois lorsqu’ils avaient dû annoncer aux parents qu’ils souhaitaient apprendre la musique. Ils étaient maintenant presque adultes, mais ils décidèrent comme la première fois, de se réunir près de l’église et de concocter un petit texte expliquant aux familles leur réel désir de vivre de la musique. Nicolas précisa une fois de plus qu’il soumettrait le texte à son grand-père avant de le lire aux trois familles.

Après réflexion, la lettre disait ceci :

« Chers parents, merci de nous avoir permis d’apprendre la musique, il y a maintenant quelques années. Vous savez combien cela a été important pour nous. Désolé si nous vous avons assassiné, parfois, avec des sons stridents. Nous n’avons pas toujours été des mélodistes avertis. Maintenant que nous le sommes, du moins nous l’espérons, nous souhaitons aller plus loin et continuer à rêver en musique. Nous avons, tous les trois, envie de vivre de notre art. Nous y avons réfléchi et c’est possible. Nous avons même pensé à un nom, pour notre groupe : Orphéon. Nous serons le plus petit orchestre du monde… » Evidemment il y avait une suite à ce courrier mais au final, celle-ci serait improvisée. Rire et jouer voila ce que voulaient faire Manu, Nicolas, et Mathieu. On pouvait croire cela un brin prétentieux, vu de l’extérieur. Mais les trois jeunes n’avaient pas tous les jours la vie facile. Ils étaient en danger. Alors, vouloir vivre comme cela était une tentative pour conjurer le mauvais sort. 

Jacques, lu donc le document et acquiesça avec le sourire. C’était prévu ! Nous étions vendredi. Les trois familles furent convoquées chez Mathieu pour un repas amical. Contrairement à la première réunion de ce genre, c’était les garçons qui avaient préparés le repas. Pas de fautes de gouts. Tout cela fut bien bon. Puis, fin de repas, puis annonce, puis sourire du grand père, puis acceptation heureuse des parents. Cette scène avait un gout de déjà vu mais pour le plus grand bonheur des garçons. Ils semblaient même étonnés. Rien de négatif n’avait été prononcé. Le rêve avait été approuvé par tout le monde. Même Pierre Humot, pas réellement dingue de musique fut ravi. Parce qu’au fond, il savait également que la santé de son fils n’en serait que meilleur. Fort de cette approbation les musiciens écrivirent par la suite un spectacle comique qui mélangeait des reprises à des parodies de chansons célèbres. Entre chaque chanson il y avait un fil conducteur. L’orchestre non content d’être bon musicalement excellait aussi dans la comédie. Ne restait plus qu’à trouver un public. Et pourquoi ne pas aller le chercher plutôt que de le faire venir. Pour se faire connaître, ils allaient jouer chez les gens. C’était ça l’idée ! Faire rire les gens chez eux en y apportant le spectacle, voila qui paraissait innovant à la fin des années cinquante. Manu, Nicolas et Mathieu firent durant quelques mois « un tabac » auprès de chaque habitant à qui ils apportaient de la joie. Leur popularité dépassa vite la ville d’Osny, si bien qu’un jour le téléphone sonna chez la famille Humot, pour annoncer une nouvelle à laquelle Marcel Payot ne crut pas tout de suite. Son fils Emmanuel et ses deux copains venaient de décrocher un contrat à Paris dans un club de jazz pour une semaine. Le patron avait entendu parler « d’Orphéon » par des clients habitant Osny.

La salle de classe de papi Boissier allait être réquisitionnée plus que de coutume. Si les amis devaient conquérir Paris, il fallait « assurer » Durant ces journées besogneuses, dix, les parents préparèrent régulièrement aux enfants de quoi manger pour les répétitions tardives. Enfin nous arrivâmes à la veille du grand jour. C’était un vendredi. Nos héros, semblaient prêts. Ils durent rire beaucoup ce soir là tant le stress ravivait leurs symptômes. 

 

Il y avait beaucoup d’amis à la « première parisienne » de l’Orphéon. Les familles seraient au premier rang, Jacques Boissier, face à la scène, le mieux placé ! Ce fut un succès. A la fin du concert et légèrement éméché, il fallait bien fêter l’évènement, les trois musiciens firent un pacte. Ils décidèrent de ne jamais dissoudre le groupe même s’il arrivait quelque chose à l’un d’eux, ou même si leur amitié cessait. Bien sur, ils étaient saouls mais ils disaient vrai. De toute façon, ils avaient bien compris, depuis tout petit qu’ils étaient liés à vie. Ne serait ce que pour protéger leur santé. Depuis ce premier concert parisien, ces messieurs se sont mariés, ont des enfants, des petits enfants et continuent à sillonner le monde avec l’Orphéon pour bagage. Ils ont plus de soixante dix ans mais chaque fois que l’un des membres du groupe à un choix difficile à faire, ils réfléchissent ensemble et écrivent un mot, un document en disant tout haut lorsqu’ils posent le dernier mot : « C’est pour papi » Hommage à Jacques Boissier.     

 

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