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A Michel PETRUCCIANI

A Michel PETRUCCIANI

Publié le 20 mars 2021 Mis à jour le 20 mars 2021 Culture
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A Michel PETRUCCIANI

Bonjour à tous,

Voici (si vous suivez) ma quatrième nouvelle en lien avec la musique. J'ai cette fois ci décidé de rendre hommage à mon humble niveau à Michel PETRUCCIANI, dont j'ai la chance de connaitre des personnes proches mais surtout qui est un musicien que j'ai aimé...Bonne lecture à vous !

 

MICHEL LE GRAND

1962 à Orange, dans le sud de la France comme dans de nombreux pays, la mort de Maryline marqua les esprits. Jeune femme au destin tragique, elle avait conquis le monde grâce à son talent et sa beauté. Une étoile venait de s’éteindre.

Cette même année, le 28 décembre à 15 heures, naissait une autre légende à venir dont le courage serait le fil conducteur. L’histoire débute dans une demeure très simple de cette jolie ville au nom de fruit. Le désir du nouveau-né de profiter de la vie y fut tellement fort que la maman eu à peine le temps de prévenir Arturo, son mari. Celui-ci pris part, à sa grande surprise, à l’accouchement dans le salon. Pas le temps d’aller plus loin !

La chaleur du foyer familial serait la ressource primaire du petit être qui venait de naitre et qui, d’une certaine manière, resterait jeune pour l’éternité.

 

Des notes, il y en avait dans toutes les pièces de cette petite demeure mais, elles n’encombraient en rien l’espace. Celles-ci étaient de la plus belle des factures puisqu’elles étaient de musique. Au sein de cette famille, tous les membres pratiquaient au moins un instrument. Arturo, le père, était un guitariste de talent. Deux de ses fils l’étaient aussi. La fille de la maison pratiquait le violon et sa maman, d’origine russe, le piano.

Avec la naissance du petit Michel, Monika allait devenir maman à plein temps. Mais rien, pour le moment, ne se faisait avec difficulté. Il régnait à l’intérieur de cette maison une solidarité familiale peu commune. La musique… Peut être ? Une chose était certaine, c’est qu’il faisait bon vivre chez les Rigazzoni. La chaleur de la Sicile n’y était jamais très loin.

Les nombreux amis de passage, nous étions dans le sud de la France, ressortaient toujours enchantés d’une visite à cette famille. Il faut dire qu’à part un feu d’artifice au moment du départ, les Rigazzoni semblaient penser à tout.

 

Arturo participait à de nombreux projets musicaux mais s’accordait des pauses régulières pour s’occuper lui aussi des enfants. « Père absent » ne faisait pas partie de son vocabulaire. Pour être en phase avec son rôle de papa Il travaillait également chez lui, enseignant avec bonheur les joies de la pratique instrumentale. Un vrai besoin, une névrose ? Non, Arturo était un « prof » exigeant mais plutôt joyeux. C’était un homme heureux. Qualité essentielle pour transmettre !

Le nouveau né, à quelques semaines à peine, évoluait au milieu des sons de différents instruments, se trouvant parfois allongé près d’un piano, d’autres fois près d’une batterie. L’après midi, c’était le plus souvent une sieste dans sa jolie petite chambre parfaitement isolée, à l’étage. Là l’enfant pouvait rêver harmonieusement dans un bleu aussi éclatant que les murs autour de lui. Sur ceux-ci étaient peints de doux nuages cotonneux. Lorsqu’il se réveillait quelqu’un de sa famille était là, généralement, accompagné de son instrument : sauf sa maman ! Peut être même qu’avant d’avoir eu envie de parler, l’enfant, tel un Mozart, eut besoin de s’exprimer par la musique. Les cordes des guitares et des violons arrivant souvent près de son lit, il décida d’abord d’en attraper une puis deux. Au touché, cela paraissait aigu mais, le tout petit son qui en sortait lors d’un contact rapide était plutôt grave et rond. C’était agréable et certainement proche des onomatopées que l’enfant aurait utilisé pour s’exprimer si à ce moment de sa vie il avait préféré tenter une expression orale. Non, pas pour le moment ! Pourtant en tant qu’enfant de sicilien et né dans le sud, la parole et le verbe seraient importants pour lui.  

Lorsque l’on descendait Michel au salon, porté par d’autres, et qu’il visualisait le piano de loin, son bras tentait de s’étendre comme une tentacule qu’il ne le contrôlait plus, afin d’en effleurer une des touches. À ce petit jeu, il ne gagnait pas toujours. Cependant lorsque cela arrivait, il commençait par sourire joyeusement, troublé par l’effet produit. Puis il partait dans un énorme éclat de rire communicatif, électrisé par le son du piano. C’était étrange, singulier ! Par conséquent, toute la famille s’amusa quelque fois à faire passer le « petit bout de chou » devant l’imposant instrument pour déclencher cette réaction.

Ce gamin était fondamentalement heureux, toujours porté d’un bras à l’autre, dans cette grande famille unie. Mais, porté il ne le serait pas que petit. Des années plus tard Il serait d’abord porté par la musique puis par un public mais également par d’autres musiciens jusque sur les scènes nationales et internationales. Il garderait de ses différentes portées un lien très fort avec l’enfance. Mais bien plus qu’un lien il resterait quelque part un enfant sans réellement devenir adulte.

Rapidement, la maladie que ses parents allaient découvrir, devrait avoir cette magie là, celle de l’enfance, pour être supportable par Michel.

 

Monika pensait déjà depuis quelques semaines que son fils était en âge de marcher. Pourtant, ce n’était pas le cas. Le petit se mouvait difficilement. Un matin, les parents très inquiets mais ne se l’avouant pas franchement ďécidèrent tout de même d’emmener Michel chez un spécialiste. Là ce fut un choc. Un nom scientifique mais incompréhensible prononcé par le professeur claqua comme une porte peut surprendre quand elle se referme brutalement au milieu d’un silence total.  En médecine les noms scientifiques servent souvent à annoncer d’affreuses nouvelles. Il s’agissait ici d’une maladie dite orpheline qui empêcherait l’enfant de grandir et au fur et à mesure des années, compresserait sa cage thoracique. Conclusion : Michel pouvait mourir rapidement mais pas forcément. Pour lui, il y avait urgence à vivre ! Il devint rapidement, comme poussé par un instinct de survie, un être essentiel à l’énergie communicative. Plus tard, quand il serait professionnel on le définirait comme, solaire ! Son bel accent du sud aiderait à cela. Pour l’instant, son âme voulait apprendre vite pour jouir pleinement des notes, les faire siennes. Qualité, qu’il développerait d’ailleurs plus vite que d’autres musiciens. Avoir une bonne technique c’est facile : Il suffit de s’entraîner ! Être un véritable artiste, c’est une autre paire de manches. Michel serait de cette trempe. Peut-être même était il né pour cela ? Ses parents en eurent vite la conviction. Non pas parce qu’eux même étaient musiciens mais simplement parce que c’était une évidence. Ce gamin, par exemple, lorsqu’il touchait un clavier n’effectuait jamais une suite de notes dissonantes. Cela coulait de manière limpide, comme une jolie rivière de campagne. À l’époque, pourtant, il ne connaissait rien à la théorie musicale.

Le piano ne fut pas le premier instrument que Michel décida de maîtriser. La batterie, avec laquelle on pouvait frapper, fut la joie première du jeune enfant. Il avait trois ans lorsqu’il commença à vouloir apprendre. Joie primaire pour le gamin puisqu’il s’agissait, par le biais de bruits percutants, de proclamer son mal être face à l’injustice de sa vie. Après un an à frapper violemment les cymbales, il pensa avoir fait le tour de l’instrument. Inconsciemment Il s’était soulagé de sa souffrance. Michel pouvait maintenant passer à un apprentissage plus doux, plus maîtrisé. Cela dit, lorsque la famille improvisait un orchestre pour une raison particulière ou le plus souvent sans raisons, il s’installait à la batterie pratiquant un sens du rythme implacable. Chez les Riqazzoni, tous les musiciens étaient bons mais on savait intimement que Michel serait le meilleur. On attendait patiemment le grand jour, celui où l’homme, l’artiste, se sent réellement exister et, entre en totale harmonie avec son art. Cette fusion est plus rare qu’on ne le pense mais lorsqu’elle opère, c’ęst l’état de grâce !  Michel avait du être choisi pour cela, donner du bonheur aux gens. C’est d’ailleurs ce qu’il chercherait à faire durant toute sa vie professionnelle.

Pour commencer, comme certains marins passent tout leur temps en mer par amour pour les vagues, le bleu et l’horizon lointain, Michel passait des heures à la « barre » de son piano. Il inventait des paysages nuancés, créés par son imaginaire. De temps en temps, comme le pêcheur qui rentre au port, il se consacrait à la théorie dans l’attente d’un nouveau départ. Des heures et des heures de pratique. Sa mère lui apprenait le métier avec amour mais aussi beaucoup de rigueur. Pour elle c’était plutôt simple. Son fils pigeait vite ! Pas besoin, comme avec certains élèves, de tenter d’expliquer la poésie naturelle de la musique, chose pénible…  Comme Michel était petit, ses pieds ne touchaient pas encore le sol ni les pédales de son instrument.  Son père lui fabriqua un système pour que les pédales soient mois éloignées de ses pieds. Pour l’enfant, c’était étrange ! Ses sensations physiques, lorsqu’il s’asseyait, lui donnaient l’impression de ne jamais réellement être rattaché à la terre ferme. Il imaginait être un cosmonaute, un pilote ou un marin, au grès des notes qu’il produisait.

En 1969 à sept ans, lors de l’arrivée d’Armstrong sur la lune, Michel opta définitivement pour la posture du cosmonaute. L’enfant ne grandirait jamais plus. Rester petit pourrait peut-être lui éviter de devenir adulte ? Pour le moment il vivait cela comme une fatalité mais, qui lui permettait devant l’immensité d’un piano, d’être toujours humble et de jouer en se sentant, là précisément, dans un univers magique.

Pour de nombreuses personnes, la maladie du petit méditerranéen avait la couleur du drame. Mais rapidement cet apitoiement cessait, tant l’enfant renvoyait de lumière et de courage. Pour certains gamins de son quartier il devint le « petit bonhomme » qu’il fallait protéger. On savait que ce qu’il avait été grave mais on le hissait au rang de héros. Il devint dès ses premières années d’école, la mascotte de la ville « fruitée ». Le plus difficile pour le petit garçon était de ne pas pouvoir faire éclater son énergie par le biais d’une pratique sportive. Rigoureusement interdit ! À l’école il s’était réfugié dans le rôle du sage, celui que l’on respecte. Ses frères et sœurs l’adoraient. Lorsqu’il rentrait de classe l’enfant partageait volontiers les émotions de sa journée avec les membres de sa famille. Puis, le plus souvent, il montait dans sa chambre marchant difficilement mais avec dignité jusqu’à la porte dont il atteignait la poignée en tendant largement le bras. Alors, fatigué par sa journée il s’asseyait sur son lit et écoutait un peu la radio avant de redescendre. Sourire aux lèvres, rejoindre le clan. Ses goûts musicaux ne semblaient pas correspondre à ceux de son âge mais peut importait. Bien sûr, il aimait les pianistes, Hank Jones, Oscar Peterson, John Lewis, Art Tatum, Vladimir Horowitz, Claudio Arrau et quelques autres. Il n’en connaissait pas encore les noms mais était déjà très sensible à certains d’entre eux. Inconsciemment, il apprenait à faire du tri, à affiner ses goûts tel un grand cuisinier qui fait son marché lui-même et choisit ses ingrédients avec amour.

Puis un jour, un jour sans le chercher, il entendit parmi ces grand musiciens « Le Son » ! Cette rencontre auditive émut le petit garçon, Malheureusement il prit je morceau en cours de route…Pas de nom pour le guider. Il eu peur de ne jamais l’identifier et pensa qu’il ne saurait peut-être jamais qui jouait comme cela. Dans sa chambre, il avait presque envie de pleurer, submergé par le bonheur que lui procurait cette écoute.

« J’ai trouvé. C’est ça ! », pensa-t-il

« Je veux que mes doigts se posent aussi légèrement que possible sur les touches mais que l’effet soit aussi simple et beau ».

Alors que Michel se trouvait emporté par la vague sonore transportant son navire intérieur, le silence se fit.

Puis : « Bill Evans interprétait, You must believe in spring » Ce son avait donc un nom. Il s’appelait Evans. Qui était-ce ? Un jeune ? Un vieux ? Un noir ? Un blanc. Un cosmonaute ?  Un cuisinier ? Un marin ? Un voyageur ?

« Maman, maman » cria. Michel en se dirigeant difficilement vers la porte de sa chambre. Tu connais Bill Evans » Il ouvrit la porte.

« Oui » lui répondit une voix en bas de l’escalier « pourquoi ? »

« Vient me dire »

« J’arrive »

Le petit garçon était impatient d’entendre parler de l’homme qu’il venait d’écoute.

« Est-ce qu’il est noir ? Est-ce que lui aussi est cosmonaute ? » La mère de Michel savait ce que signifiait ce mot dans la bouche de son fils.

« Non ce n’est pas un cosmonaute. Lui c’est plutôt un géant qui tente toujours de toucher le ciel »

« Je veux faire ça plus tard. Je veux devenir assez grand pour toucher le ciel »

« Oui j’en suis certaine, la musique te rendra grand » pensa madame Rigazzoni.

« Pourquoi il joue comme ça ? Pourquoi quand il touche le piano je sais que je comprends ce qu’il dit »

« Parce qu’il dit la même chose que toi. Il dit que la vie c’est de l’amour »

« Sûrement », dit le petit garçon « comme une vie pleine de fleurs ! » La sensibilité de son fils n’étonnait pas sa mère mais la rendait heureuse. Elle savait d’où cela venait. De son époux, bien sûr.

Bill, serait la première rencontre de l’enfant avec une beauté forte et fragile. À chaque fois, elles auraient un prénom. Oscar Herbie, Nat, Lennie, Keith, … À chaque fois, il aimerait que sa mère lui raconte…

 

Michel a 13 ans. Aujourd’hui les Rigazzoni ont une visite importante. C’est un américain qui vient les voir. Il s’appelle Roy Hartwaker. Il est le manager du grand Clarck Terry qui fut à une époque trompettiste au sein de l’orchestre de Duke Ellington. L’homme est devant la porte et va en franchir le seuil parce qu’il à entendu parler de Michel. Il explique avec un accent texan très prononcé qu’il souhaite que l’adolescent joue dans quelques jours avec son ami Clarck. Le pianiste qui devait accompagner le musicien dans sa tournée française s’étant blessé à la main droite, il ne pourrait, par conséquent, assurer ses contrats.

Des concerts sont prévus à Orange. Il est hors de question de les annuler. C’est donc en s’informant localement pour trouver un remplaçant qu’on à conseillé à monsieur Hartwaker, à plusieurs reprises, d’aller voir le jeune Rigazzoni qui avait, disait-on, un talent fou ! Le manager est donc là, il veut voir, mais surtout entendre l’adolescent. Lorsque celui-ci descend les dernières marches de l’escalier, le manager est surpris par sa petite taille. Il est méfiant mais ne le montre pas.

« Bonjour »

« Bonjour. Mes parents m’ont dit que vous vouliez m’entendre. Ils ont été appelés par le directeur du conservatoire, à votre demande »

« Oui, c’est vrai. Tu sais pourquoi ? »

« Oui je sais », dit l’adolescent sans laisser paraître aucune émotion mais au fond, très fier de lui.

« Venez, suivez-moi »

Roy suivi Michel silencieusement. Puis les parents arrivèrent derrière. Le garçon s’installa au piano et joua. Tout d’abord, un morceau intitulé : someone to watch over me, puis improvisa autour de différents thèmes connus et d’autres, moins. Lorsque les doigts de Michel quittèrent le clavier, il y eu un long moment de silence. De celui qui annonce la naissance d’un grand artiste. Roy était convaincu !  Il s’agissait d’un petit miracle. Le Vrai, Le grand, ne peut être proclamé que par un religieux.  Et là, cela n’avait rien de mystique. C’était beau et terriblement humain, terrien : accessible, puisque d’une beauté quasi palpable.

 

Le premier concert d’une série de 3 aurait lieu au Théâtre Antique. La ville entière entendrait parler de Michel par la suite et pour longtemps. Pour les spectateurs du Théâtre Antique, ces concerts furent mémorables. D’abord parce que le pianiste était jeune et qu’il jouait merveilleusement mais surtout parce-que l’on était témoin de l’énergie que déployait cet adolescent malgré son handicap. Une leçon !

Ce jour-là, Michel devenait « Grand ! ». Clarck Terry lui proposa de l’engager pour une tournée aux États-Unis, l’année d’après, ce qui fut fait. Le jeune pianiste heureux de cette expérience formatrice quitta la France quelques plus tard pour s’installer à New-York. Entre temps, Michel fit connaissance de nombreux jazzmen influents avec lesquels il enregistra beaucoup. Certains musicien devinrent de vrais amis et étant donné sa petite taille le portait dans leurs bras jusqu’à la scène créant ainsi une relation particulière entre eux. Tous les étés il enchaînait les festivals avec une énergie folle. Il travaillait sans relâche. Ses collègues l’appréciaient, au-delà de son talent, pour son sens de l’humour sans failles.

À Orange, il manquait. Particulièrement chez les Rigazzoni ! Monika lorsqu’elle s’arrêtait de jouer sur le piano du salon, y voyait son fils prendre sa suite. Nostalgie… Mais qu’elle fierté de voir son fils réussir. Les photos  et articles de presse étaient également collectionnés par les frères et sœurs. Tous partageaient ce bonheur. La réussite était le plus beau cadeau que la vie puisse offrir à Michel. En effet, sa différence le rendait physiquement fragile. Alors, avant l’ombre prochaine, il devait connaître la lumière.

Lorsqu’il rentrait en France, tout de même de temps en temps, pour un anniversaire ou une fête particulière, il faisait rire tout le monde en parlant américain avec l’accent méridional. Son père, plus que les autres, en avait les larmes aux yeux. Il s’était toujours senti proche de son fils. Souvent il imaginait avec vanité qu’il n’était pas Italien pour rien !

Un soir alors que Michel était de passage dans sa ville natale, il demanda à Arturo, s’il accepterait de faire une tournée avec lui voir même un enregistrement, si cela lui semblait possible ? L’idée enchanta le guitariste. Les deux musiciens se mirent rapidement au travail pour élaborer et travailler un répertoire commun. Ils choisirent quelques « standards » mais ils avaient aussi envie de composer. Évidemment c’était un excellent argument pour se retrouver, se tester, échanger, se créer des défis. À ce petit jeu, le père fut vite dépassé par le fils. Ils travaillèrent beaucoup durant le séjour de Michel en France. Puis, quelques mois aux États-Unis pour clôturer la première partie de ce travail. Il s’agissait de mettre en place la production des concerts à venir. Le guitariste décida d’emmener toute sa petite famille avec lui. Sur place, ce qui impressionna la fratrie, ce n’est pas tant l’immensité des gratte-ciels mais le fait qu’un pianiste français ait une telle renommée hors de l’hexagone. Bien sûr les frères et sœurs avaient imaginé une notoriété possible mais ils s’étaient tout de suite dit que de toute façon, aux États-Unis, aucun étranger ne pouvait être reconnu publiquement sauf s’il était militaire ou qu’il avait fait de la politique. Erreur, grossière erreur !

Michel, notamment dans la 52ème rue où se trouvent de nombreux clubs de Jazz avait même un surnom. Ici, tout le monde l’appelait « Big Mike ». Le français jouait souvent dans les boîtes enfumées de la ville. Évidement, il s’était fait remarquer, lui tout petit au milieu du gigantisme urbain. Mais au-delà de son handicap c’est son talent qui l’avait fait monter sur les grandes scènes, jusqu’au Carnegie Hall. Encore une fois, les concerts de Michel avec son père furent un succès. Sur scène ils avaient décidé de n’être que tous les deux. Ils furent encensés par la critique à travers tout le pays lors des différentes dates de leur tournée. Les articles élogieux pleuvaient dans les quotidiens nationaux. Ces prestations fatiguèrent tout de même les deux musiciens mais bien plus le fils. À la fin des différents contrats qu’il avait honorés, il se sentit réellement affaiblit. Cet épisode de forte fatigue ne rassura pas la famille. Monika, notamment, demanda à son fils de passer des examens.

« Pourquoi faire ? » insista le musicien

« Je peux encore jouer ! » Évidemment qu’il pouvait encore jouer mais sa santé, y pensait-il ? Non…pas le temps, pas l’envie. Juste celle de vivre tant que cela lui serait possible. Toucher son piano, tendre vers le bonheur musical. C’était cela qu’il voulait. Entouré des siens, rien ne lui manquait vraiment.

Toute la famille s’était installée dans une belle villa louée pour l’occasion. Nous n’étions pas à Orange mais pour retrouver l’ambiance fruitée de l’enfance et du bonheur méditerranéen, les membres de la fratrie n’appelaient jamais New-York par son nom mais utilisaient son surnom « La grosse pomme » La fraîcheur, c’était cela qu’il fallait sauvegarder. L’envie d’avoir soif donnait l’impression d’avoir du temps, beaucoup de temps. Était-ce vrai ? Pas si sûr…

Après quelques mois auprès du frère et du fils, il était temps pour la petite famille de rentrer en France. Michel repris les concerts notamment avec un batteur Italien qui devint l’un de ses meilleurs amis. Tous les soirs le pianiste se donnait dans un registre beaucoup plus rapide qu’auparavant. Comme quelqu’un qui sort de l’eau après avoir failli se noyer, il sortait des concerts sans souffle. Ce fut éprouvant. Il eut l’impression plusieurs fois de frôler la mort. Lors de quelques concerts, Aldo, le batteur du le porter dans ses bras pour l’amener devant son piano et là, bien sûr, il donna tout. C’était magique, dramatiquement magique ! Le jeu du pianiste, ajouté à la fragilité actuelle du musicien rendait chaque spectateur esclave d’une émotion mélangeant bonheur immense à une tristesse profonde. Après chaque apparition Les médias disaient de lui qu’il était mourant et ne comprenaient pas qu’il puisse encore jouer avec autant d’énergie. Écouter Michel c’était le reconnaître. Il en était arrivé là. Des bons pianistes, il y en a plein mais rares sont ceux dont on reconnaît la sonorité rien qu’à l’écoute ! Pour beaucoup de ses admirateurs il était devenu un « intime » Il libérait les émotions des autres, donnait envie de se dépasser.

Puis un jour, la nouvelle tomba, tel le bruit d’un marteau piqueur au milieu d’un nocturne de Chopin. C’était épouvantable, incompréhensible. Dès la première heure, à la radio on annonçait l’hospitalisation de Michel, au Keatings animal hospital à New-York. C’était sordide ! Le journaliste expliquait que la maladie de Michel avait soudainement occasionné l’écrasement de sa cage thoracique et provoqué de graves lésions sur ses poumons. Ce musicien devait être trop petit pour son corps. Il avait toute sa vie tenté de dépasser cela mais son humanité était telle qu’il ne pu se résoudre à être autre chose qu’un homme. Pas de dieu en lui. Pas de miracle possible. Il le savait et l’avait accepté. À Orange on savait qu’il allait mourir. La famille se préparait à cette fin dans la dignité. Aux États-Unis, on espérait, en diffusant des nouvelles outrancières par le biais des médias. Différence de culture ! Peut-être ? Mais, le pianiste les avait dépassés pour l’amour de la musique mais aussi pour partager du bonheur pendant ses 36 ans de vie.

 

 

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