17. La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre VII, 3
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17. La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre VII, 3
Ainsi, ils firent connaissance. Elle ne parlait pas ; du moins comme parlent les humains connus de Ferghan, qu’il s’agisse des Aspalans, des gens de l’Archipel, des Nassugs, ou même des barbares des Terres blanches. Bien qu’elle puisse donner de la voix pour lancer des appels ou exprimer des émotions, elle ne fait apparemment pas de phrases, mais sait en revanche mimer et danser. Ferghan découvrit aussi qu’elle dessine adroitement à l’aide de cailloux friables sur les parois de cavernes. Il apprenait à communiquer avec elle, et ils finirent par se comprendre mutuellement, même lorsqu’il s’agissait d’évoquer des événements éloignés dans l’espace et le temps. Ils aimaient à se promener ensemble, le long de la rivière, à travers grottes et cavernes. Elle lui fit découvrir des galeries qui se ramifient au-delà de ce que peut mémoriser l’entendement. Elle semblait pourtant en connaître le dédale par cœur. Un jour, elle lui fit signe de le suivre avec plus de gravité que d’habitude. Elle marchait devant, silencieuse. Arrivée à l’orée d’une vaste chambre, elle lui fit un signe de ses mains, comme pour lui dire de marquer le pas, faire silence et bien regarder.
Au fond de la caverne était assis un homme âgé. Ferghan se précipita vers lui, négligeant l’avertissement de sa compagne. L’homme était surpris, mais n’avait pas peur. Ferghan sut immédiatement qu’il ne s’agissait pas d’un Aspalan. Peut-être un habitant d’Is ou de quelque autre île voisine. Il s’adressa à lui dans la langue de Mérode. Les deux hommes échangèrent quelques minutes, puis le vieil homme se leva et suivit Ferghan qui l’invita à sortir des galeries pour se rendre à l’air libre, au bord de la rivière. La jeune femme s’était éclipsée. Ferghan la chercha quelques temps du regard, en vain, puis il se résolut à redescendre la rivière en aval, suivi du vieil homme, pour retrouver ses compagnons.
Oramûn s’entretint longuement avec Ferghan et plus longtemps encore avec le vieil homme, Asber. Il avait vécu en solitaire, sur l’île des Collines escarpées, ne possédant d’autre propriété qu’un petit bateau de pêche. Mais il avait beaucoup à raconter… et à montrer. En une heure de conversation, Oramûn apprit sur Zaref ce que des jours d’enquête n’auraient su lui révéler : oui, Zaref effectue sur Sarel-Jad des expéditions périodiques. Il y prélève régulièrement des adolescentes et adolescents parmi les gens du petit peuple.
— Ils sont emmenés, captifs, jusqu’en Terres Noires, et vendus à des Aspalans amateurs d’esclaves. Aux Aspalans Zaref fournit également des pierres qu’ensuite ils négocient auprès d’industriels ou, parfois, de riches particuliers de Syr-Massoug.
Le vieil homme conduisit Oramûn jusqu’à une caverne où Zaref avait stocké des pierres nobles : jades, améthystes, zircons, aigues marines, grenats ; et, en grande abondance, des blocs de cristal de quartz.
— Il existe aussi des cristaux très précieux, saphirs, émeraudes, rubis, diamants. Mais le lieu où Zaref les dépose est gardé secret. Je suppose qu’elles se trouvent au Nord, dans le ventre d’une montagne, de l’autre côté de la grande plaine.
Oramûn fit promettre à Asber de ne rien révéler à quiconque, quant à l’existence du trésor. Il le pria de l’accompagner, tout en poursuivant l’interrogatoire. Il apprit que Zaref refuse de se faire payer dans la « monnaie de Santem », ainsi qu’il la nomme. Ceux qui souhaitent commercer avec lui doivent, ou bien payer en or ou argent, ou bien tenter de se procurer la monnaie de Zaref. Mais celle-ci ne circule pour ainsi dire pas matériellement. Il faut alors acquérir des Féraz dans une maison de change spéciale. La somme créditée est inscrite sur un registre. En principe, un Féraz vaut un Nurâm. Mais, dans les faits, le cours du Féraz est toujours un peu plus élevé, dans la Maison du change, et il est arrivé qu’entre particuliers il atteigne la valeur de deux Mérygs, soit deux fois l’étalon d’argent équivalant au Nurâm. La monnaie de Zaref est rare et chère, parce qu’elle seule permet d’acquérir les esclaves et les pierres en quantité, diversité et qualité.
À l’évidence, Zaref préparait un coup d’État. Destituer Santem en tant que détenteur du pouvoir monétaire, cela passe par une dislocation de l’espace économique, fondé sur l’association de Mérode et des Terres bleues. Par quoi Ygrem est autant visé que Santem. Le pouvoir royal parait même représenter la première cible stratégique.
Aussi Oramûn décida-t-il de rentrer sans attendre à Syr-Massoug pour prévenir son beau-frère de ce qui se tramait. Il fit part de sa décision à ses deux frères ainsi qu’aux trois forgerons. Mais Rus Ferghan était absent. Il était entre temps reparti à la recherche de la toute jeune femme. Il voulait la revoir. En arrivant à l’endroit où la rivière est large et jalonnée de rochers ronds et lisses, il la vit, couchée, ou plutôt, lovée sur une petite berge. Elle se tournait et se retournait, afin de stimuler sa peau sous l’effet du sable. Son corps effectuait des circonvolutions gracieuses, incroyablement agiles. Ferghan eut l’impression d’assister au jeu de ces chatons, lorsqu’il leur prend de se rouler sur l’herbe ou la terre. Elle le vit et plongea. Ferghan resta longtemps sans la voir émerger. Puis elle poussa une sorte de cri, un appel, depuis le milieu de la rivière. Elle l’invitait à la rejoindre. Ferghan n’hésita que le temps qu’il fallut à deux battements de son cœur. Il se déshabilla et plongea, nageant vigoureusement dans sa direction. Elle s’accrocha à lui, les bras autour de son cou, disparut sous l’eau, toujours collée à lui. Il craignait de se noyer et cela le fit rire. Elle le prenait dans ses bras, passa ses jambes autour de son corps, et lui n’y tint plus. Il la pénétra en l’embrassant avec passion, resta ainsi longtemps en elle. Il l’aimait déjà. Il n’avait pas le courage de la quitter. Il lui prit doucement le visage entre ses mains, lui expliqua qu’il allait trouver Oramûn et ses compagnons pour leur annoncer qu’il ne rentrerait pas avec eux ; ce qu’il fit.