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06. La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre III - Guerres et pacification de l'espace - 1, 2

06. La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre III - Guerres et pacification de l'espace - 1, 2

Publié le 22 févr. 2023 Mis à jour le 24 févr. 2023 Culture
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06. La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre III - Guerres et pacification de l'espace - 1, 2

 

… Les Aspalans, comme prévu, s’étaient emparé des Terres basses de Mérode, largement désertées par la population. De moi, Nil, de ma mémoire qui éveille et qu’abondent tous les esprits de la planète, apprenez que villages, rivières, terres à blé tendre : tout cela tombait aux mains de l’ennemi, ainsi que les villages de l’île principale. Furent réduits en esclavage ceux qui, étant demeurés sur place pour n’avoir pas écouté l’avertissement de Santem, avaient refusé d’entendre l’exhortation de ses fils, espérant garder leurs avoirs, vergers et fermes à volailles. D’autres prirent le maquis avec le vain espoir d’y soutenir une résistance. Cependant, les Aspalans renoncèrent à attaquer les gens de Mérode réfugiés sur les Hautes terres.

Embarqué sur un navire de sa flotte marchande, Santem arriva au fjord qu’il avait choisi pour refuge. Il devait trouver une solution. Avec Oramûn il se rendit à terre et, la nuit même, entreprit le voyage à pied, à travers les sentiers de montagne, pour prendre contact avec les forgerons, habitants traditionnels des Terres volcaniques. Il réussit à convaincre quatre d’entre eux d’embarquer à l’aube avec Oramûn et lui-même sur trois bateaux de pêche, pour aller mettre le feu à la flottille des Aspalans. Les six hommes étaient servis par une brise de grand largue. La nuit était belle et calme, lorsqu’ils parvinrent en vue de la rade des Terres basses de Mérode. Ils affalèrent les voiles et firent le reste à la rame, afin d’aborder les navires ennemis aussi discrètement que possible. À trois barques de pêcheur et grâce au savoir-faire des forgerons qui avaient enduit les flèches de pâte inflammable, le feu envoyé par les arcs de Santem et Oramûn eut vite fait de gagner les navires que les Aspalans avaient laissés au mouillage. L’effet dépassa les espérances : toute la flotte fut anéantie en moins de deux heures de temps. Les Aspalans restés à bord des navires furent contraints de se jeter dans la mer pour échapper aux flammes, tandis que la grande majorité, qui occupait les Terres basses de Mérode, ne s’aperçut de l’attentat que trop tard pour tenter d’arrêter l’incendie. De toute façon les occupants n’auraient rien pu faire depuis la côte. De la rade on entendait des clameurs provenant de feux de camp. Il s’agissait de bruits de fête, et c’est seulement le lendemain que les Aspalans réalisèrent pleinement les conséquences de la catastrophe : de vainqueurs ils étaient d’un coup passés prisonniers dans l’île principale de Mérode. Tous leurs navires avaient disparu dans les flammes et, hormis leurs chaloupes, ils n’avaient aucun moyen de fuir, tandis que déjà deux navires armés par les gens de Mérode étaient sortis du fjord pour aller surveiller la rive des Terres basses, afin que personne ne s’en échappe.

Les occupants n’avaient plus qu’à négocier leur reddition. Santem était disposé à offrir aux chefs Aspalans un traité d’armistice : les envahisseurs garderaient chacun avec eux une seule arme de poing, longue épée, courte dague ou simple couteau, suivant leur rang, mais lui remettraient javelots, haches de lancer, arcs et arbalètes, ils laisseraient leurs chariots en dépôt et sous escorte emmèneraient le reste avec eux sur les Terres volcaniques. Ils embarqueraient sur des navires marchands de Mérode. Oramûn les accompagnerait et l’on garderait des chefs en otage.

Cependant, ceux des hommes de Mérode qui n’avaient pas suivi Santem en Terres volcaniques, préférant rester sur leur île, arrivaient de toutes parts dans l’île principale où avait lieu la reddition, et ils n’entendaient pas traiter avec l’envahisseur. Santem n’avait jamais vu autant de haine sur des visages. Les plus cléments voulaient passer tous les Aspalans présents au fil de l’épée. D’autres prétendaient les mutiler avant de les égorger, d’autres encore, les empaler à des pieux et les exposer en bord de mer, face aux Terres bleues. Au lieu de se reprocher leur erreur : être demeurés sur leurs terres, ils se targuaient d’être plutôt les seuls résistants de Mérode, ce qui, à les en croire, constituerait en leur faveur le droit de disposer de l’ennemi vaincu comme bon leur semble.

Santem sentit monter en lui la colère jusqu’à ce qu’il n’y tînt plus :

— Vous êtes d’autant plus haineux et assoiffés de vengeance qu’en vérité vous en voulez à vous-mêmes d’avoir trop présumé de vos capacités. Au lieu de résister aux Aspalans, les armes à la main, vous êtes allés vous réfugier sur les Collines escarpées, laissant vos filles et vos femmes seules à la merci des barbares. Ce qu’ils leur ont fait subir est par votre faute et c’est cela que vous ne voulez pas avouer. Voilà pourquoi vous avez la haine au cœur. Mais est-ce autre chose qu’un comportement d’enfants ? Est-ce en cachant vos fautes aux autres et à vous-mêmes que vous deviendrez plus dignes ?

Les hommes, pleins de gêne et de rage, protestaient qu’ils avaient cru mettre leurs femmes et leurs filles en sûreté, en les conduisant dans l’île de Sarmande, la plus riche en fruits et profuse en cours d’eau, bien protégée, surtout, par des récifs sur le pourtour de ses côtes ; et que s’ils n’avaient pas emmené filles et femmes avec eux dans l’île des Collines escarpées, c’est parce qu’elles n’y auraient pu tenir plus de quelques jours, étant donné qu’eux-mêmes y avaient déjà peine à subvenir chaque jour à leur propre survie. Santem entendait. Il voyait les visages contrariés. D’un autre côté, il ne voulait pas laisser s’accomplir une tuerie qui compromettrait à tout jamais les chances de paix future et tout commerce avec les Aspalans. Il ne pouvait cependant se départir d’une impression d’opacité : la situation lui échappait en partie. Il pria les gens de Mérode de lui accorder un temps de réflexion et se retira avec son fils, Oramûn, afin de délibérer. Il lui fallut un long moment de réflexion muette. Puis, se tournant vers Oramûn, il lui demanda d’enquêter. Santem tenait à savoir comment les Aspalans avaient pu s’emparer des filles et des femmes pour les ramener sur l’île principale, et quelles exactions ils avaient commises durant l’occupation. D’abord Oramûn escorterait les Aspalans prisonniers jusqu’aux Terres volcaniques, afin de les présenter aux forgerons et de transmettre à ceux-ci d’utiles consignes. Cela fait, il mènerait une enquête discrète auprès des femmes. Santem lui faisait confiance : Oramûn n’avait jamais manqué de tact.

 

2

 

 

Oramûn prit le premier bateau en partance pour l’île de Sarmande. Il pensait que c’est l’endroit logique pour commencer l’enquête. Il était certes moins connu que Santem, mais sa bonne réputation avait fait le tour de l’archipel. On le sait avisé, calme et d’humeur égale, sachant écouter. Il suscite la confiance. Malgré sa relative jeunesse on lui demande conseil. Ceux qui le connaissent le prennent souvent en sympathie et les femmes aiment sa compagnie, non pas tant parce qu’il est beau, qu’en raison de sa gentillesse profonde.

En arrivant à Sarmande, Oramûn se rendit dans la demeure d’une vieille femme qu’il connaissait et admire sans trop savoir exactement pourquoi. Elle vit en retrait du village principal de l’île, au milieu des collines, élève des volailles et possède quelques porcs qui vagabondent dans les châtaigneraies alentour. On la soupçonne d’être sorcière. Les gens se méfient d’elle, car elle est solitaire. Mais Oramûn admire sa vivacité d’esprit, son énergie rayonnante, l’intensité de son regard, lorsqu’elle vous fixe dans les yeux comme pour percer à jour votre être profond. Il lui demanda sans détour ce qu’il s’était passé sur l’île, et qu’apparemment les gens taisent.

La vieille femme le fit asseoir face à elle de l’autre côté de l’unique table de sa maison. Elle le regarda intensément en gardant le silence. Puis de sa voix incisive :

— Je ne te dirai rien moi-même. Je sais qui tu es, fils de Santem. Ton père est célèbre et tu n’es pas un inconnu. Je crois que tu iras loin. Je crois aussi que tu as besoin d’une femme, à ton âge. Tu en as envie, n’est-ce pas ?

Oramûn ne répondit pas, et de toute façon la vieille n’attendait aucune réponse :

— Tu te rendras à Is. C’est une île proche de Sarmande, et de grandeur comparable. Il n’y a là qu’un seul village. Tu y trouveras une jeune femme. Yvi, elle se nomme. Mais tu ne demandes à personne où la trouver. Tu te débrouilles. Elle est belle ; autant que tu es beau. Elle est intelligente et n’a pas froid aux yeux. Elle ne veut pas laisser impunies les brutalités des Aspalans maudits. Elle te racontera tout.

Trouver Yvi n’allait pas de soi, s’il fallait vraiment opérer dans la discrétion la plus parfaite. Oramûn se rendit à l’unique auberge de l’unique village de l’île d’Is, fit rapide­ment la connaissance du patron, un célibataire qui trouve son plaisir à organiser de grandes fêtes où se mêlent tous les âges. La prochaine était programmée pour le premier jour du mois suivant et il n’y avait alors plus que cinq jours à patienter durant lesquels Oramûn nouait les contacts au gré des rencontres. Il se rendit ainsi familier aux villageois mais essaya en même temps d’imaginer la jeune femme, dévisageant celles qu’il croise comme s’il allait par-là se faire d’Yvi une image par élimination de ce qu’elle ne peut pas être. Évidemment, c’était une recherche vide, car Oramûn n’avait pour ainsi dire aucun indice.

Pourtant, le jour de la fête, son regard s’attacha en tout et pour tout à trois jeunes femmes. Il les étudie, mobilisant ses ressources de perspicacité, bien qu’il ne dispose pas d’autre information que la description parcimonieuse de la « sorcière ». Entre les trois jeunes femmes, cependant, il en « choisit » une sans réfléchir plus avant ; « choisit », c’est-à-dire qu’il désigna une certaine jeune femme à l’attention du patron de l’auberge pour lui demander son nom. C’est bien elle : Yvi au visage ravissant dont l’expres­sion lumineuse corroborait la description.

Oramûn alla droit à sa rencontre. Il la regarda dans les yeux sans avoir à forcer sa bienveillance. La jeune femme était quelque peu surprise quand Oramûn lui déclara qu’il était heureux de la voir. C’était sincère. Doucement, comme il convient lorsque l’on fait connaissance, Oramûn parle avec elle de choses et d’autres. La conversation est naturelle, fluide, devient amicale. Après la collation du soir, Yvi s’installa avec une amie à une table à laquelle elle invita Oramûn avec simplicité. Son ton était enjoué. Elle aime la compagnie et recherche davantage que des relations superficielles. Oramûn avait beaucoup à raconter. Les expériences récentes lui offraient une abondante matière romanesque. Cependant, il déteste la vantardise et il n’évoqua ses aventures que pour étayer des réflexions sur les gens, les destins, les illusions. Puis il se fit plus person­nel, parlant de ses espoirs, et cela le rendit attachant, car de ses récits transparait sa générosité.

Le lendemain matin, Oramûn demanda à la jeune femme si elle accepterait de lui montrer les alentours du village, les endroits qu’elle aime. Yvi lui fit savoir qu’elle s’était tout juste séparée de son ami et souhaite maintenant quitter Is. Peut-être s’installerait-elle pour quelques temps sur la Grande Île de Mérode. Oramûn n’y tint plus et lui avoua qu’il était venu à Sarmande, puis à Is, afin de savoir ce qu’y avaient fait les Aspalans. Il expliqua par le menu la situation politique qui motive cette enquête. Yvi était attentive. Manifestement la politique l’intéresse. Elle était tout aussi troublée. Oramûn comprit que des événements graves avaient eu lieu. La nuit tombait. Yvi et Oramûn se tenaient dans la pénombre et, comme pour mieux s’entendre et se voir, ils se rapprochent l’un de l’autre.

Elle lui raconta d’une voix qui trahissait son émotion :

— Tu sais, Oramûn, que beaucoup d’hommes du village ont refusé d’écouter ton père. Ils ne voulaient pas abandonner ainsi leur maison, leur ferme, leurs terres. Ça leur faisait trop mal. Pourquoi les gens de Mérode ne voulaient-ils pas prendre les armes pour aller combattre les Aspalans sur les Terres bleues, ou, du moins, se préparer à une défense solide sur les rivages de la Grande Île ? Voulait-on donner raison aux Aspalans qui se plaisent à proclamer que les gens de Mérode sont des lâches ? Depuis Is, vois-tu, nous ne comprenions pas bien la situation. Nos pères et nos frères ont décidé de mener la résistance dans l’île des Collines escarpées, qui jouxte la nôtre. C’est une tradition, chez nous, qui remonte à un passé lointain : on raconte que des envahisseurs venus du Nord n’ont jamais pu demeurer longtemps sur l’île, car nos hommes les harcelaient, descendaient à l’improviste des Collines, franchissaient le mince bras de mer qui sépare les deux îles, et tuaient tous les occupants qu’ils pouvaient trouver à portée de leurs flèches ou de leur hache. Ils ont cru qu’il en irait de même, cette fois. Les femmes ne voulaient pas suivre. La région des Collines escarpées est rude, criblée d’épineux. C’est pourquoi les hommes les ont emmenées à Sarmande. Sarmande et Is sont liées depuis toujours. Elles appartiennent aux mêmes familles. Nous pouvons y circuler comme chez nous, à l’exception de la Montagne Sacrée, au centre de l’île, où seuls les initiés de l’ancienne religion ont droit de séjourner. Enfin, les hommes nous ont expliqué que jamais les Aspalans ne seraient en mesure d’accoster à Sarmande. Il y a trop de récifs et il faut connaître les fonds marins vraiment par cœur pour ne pas sombrer.

Yvi respira profondément, et se rapprocha encore d’Oramûn :

— Je vais te dire, Oramûn, des choses que je n’ai jamais dites. J’ai honte. Même mes deux frères ignorent, et mon père aussi, bien sûr. Ma mère et moi gardons cela secret dans la famille. D’autres femmes en font autant, chez elles. C’est terrible ce qu’ont fait les Aspalans avec nous.

Oramûn lui posa la main sur son bras. Il aurait aimé la serrer contre lui. Elle lui prit la main et continua :

— Ils ont débarqué à Sarmande. Je ne sais pas comment ils ont fait. Personne chez nous ne sait. Je pense que nous avons été trahis. Mais qui oserait le dire ? Ce serait jeter le soupçon mortel entre nous. Les Aspalans sont entrés dans les maisons, dans les fermes. Ils se sont amusés à courser les volailles. Ils les tuaient pour le plaisir en les lançant de toutes leurs forces. C’était un jeu. Ils ont tout saccagé et quand ils n’ont plus trouvé de vivres, ils sont allés dans les châtaigneraies pour tuer les petits cochons qui y vivent en semi-liberté. Bientôt, il n’y en avait plus un seul. Je les regrette, ils étaient mignons. Alors, ils s’en sont pris aux chèvres sauvages. Elles nous protégeaient des incendies, parce qu’elles broutent les épineux.

Oramûn écoutait en s’exhortant intérieurement à la patience. Il savait que l’essentiel restait à dire. Il se souciait modérément du sort des petits cochons et voulait savoir ce que les femmes gardaient secret. Cependant, Yvi avait besoin d’être encouragée. Au lieu de se rapprocher encore, Oramûn se recula légèrement afin de se montrer à elle bien en face. Il la regarda dans les yeux, laissant venir ses sentiments. Son regard droit, sa présence forte, son visage dont les expressions traduisent l’intelligence et la sensibilité eurent raison des dernières réticences. Yvi regarda Oramûn, résolut de lui faire entièrement confiance, pas simplement à moitié. Elle allait maintenant tout lui dire :

— Ils ont voulu faire la fête avec nous, seulement celles qui n’étaient pas mariées. Garde le pour toi, Oramûn : les Aspalans n’avaient pas eu à forcer les femmes mariées. Elles disaient qu’il vaut mieux subir le plaisir de l’Aspalan, quand on lui cède, que son courroux, quand on lui résiste ; et qu’à tout prendre sa verge est plus douce que sa dague. Mais ça n’empêchait pas les matrones de nous comprendre et de nous plaindre, surtout celles qui parmi nous risquaient de faire leur première expérience avec ces « barbares sanguinaires », « ces bêtes immondes », disaient-elles. Elles les ont pourtant supportés dans leur lit.

Avec nous, les Aspalans essayaient d’être agréables. Le soir de leur fête, ils nous ont invitées à boire avec eux. Nous ne voulions pas. Nous ne les aimions pas, pas du tout. Nous les détestions déjà. Ils sont alors devenus méchants. Un soir qu’ils étaient assis en cercle dans le grand pré, là où mon père a planté les oliviers ; qu’ils avaient tué des chèvres et les faisaient rôtir à la broche, ayant apporté avec eux des barriques de vin, ils buvaient sans arrêt et voulurent coucher avec nous. Nous avions peur. Je suis allée trouver un homme qui connaissait notre langue et je lui ai parlé gentiment. Il semblait comprendre. Mais un autre a voulu forcer May. May s’est débattue. Alors il l’a jetée à plat ventre sur ses genoux et s’est mis à la frapper. Il la battait très fort.

Oramûn demanda s’il l’avait blessée.

— L’homme cherchait moins à faire mal à May qu’à l’humilier, parce qu’elle l’avait insulté. Il s’est amusé à lui claquer les fesses très fort. Chaque fois que May poussait un cri, les hommes se mettaient à rire, et ils décidèrent de tous en faire autant. Ils nous ont prises ainsi pour nous fesser, riaient et riaient. Nous avions mal. Ils nous ont enfin demandé si nous en avions assez et si nous étions maintenant prêtes. Tu comprends, n’est-ce pas, ce que ça veut dire ? Aucune d’entre nous ne céda. Alors ils ont planté des piquets en cercle et nous ont lié les mains, chacune à un piquet. Nos poignets y étaient attachés contre terre, nous obligeant à nous tenir à genoux. L’un d’entre eux tenta de se justifier : « Voilà ce que nous faisons, nous, Aspalans, aux insoumises ! Voyez où vous conduit votre orgueil. Vous nous avez rejetés avec mépris au lieu de vous donner aux vainqueurs. Êtes-vous à ce point avilies que vous nous préfériez des lâches qui ont choisi de fuir au lieu de vous protéger ? A présent, nous nous régalons de ce qui vous offense ».

Yvi respira à nouveau fort, comme pour la dernière épreuve :

— Ils ont relevé nos robes, juste ce qu’il fallait, vois-tu, afin de mieux nous humilier, et nous nous trouvions ainsi dénudées à leur merci. Les Aspalans nous ont demandé par où nous préférions être pénétrées. J’ai alors pris la parole. Je leur ai dit haut que la plupart d’entre nous étaient vierges ; qu’ils allaient commettre un crime abominable. Ils se sont esclaffés : « Qu’à cela ne tienne ! Vous serez pénétrées par ailleurs » … Je dois te dire qu’ils n’ont pas blessé nos corps. Ils ont utilisé l’huile d’olives. Ils prenaient plaisir à nous « préparer ». ça les faisait rire. Pendant ce temps, on attendait…

Oramûn jugea qu’elle avait assez dit. Ses sentiments se trouvaient plongés dans la plus grande confusion : compassion et colère, un besoin puissant de consoler, de protéger, de punir, de faire expier le crime… mais pourtant une excitation sexuelle qu’en écoutant le récit d’Yvi il sentait monter malgré lui. Il en connaît bien les symptômes : d’abord, la mâchoire qui se serre ainsi que les tempes. Le cœur bat vite, le sexe gonfle, et tout le corps est pris. Mais jamais ça n’avait été aussi fort. À sa honte, Oramûn devait s’avouer ce désir. Mais devait-il en avoir honte ?

Cependant, Yvi n’avait pas terminé son récit.

— Je dois te dire encore, Oramûn. Grâce aux dieux les Aspalans avaient tellement bu qu’ils s’effondraient parfois sur nous avant même d’avoir réalisé. Je n’ai jamais vu des hommes aussi ivres. Ils s’écroulaient n’importe où. La nuit était remplie de leurs ronflements, grognements et borborygmes. Nous n’osions cependant pas parler à haute voix et nous commencions tout juste à nous chuchoter des mots d’encouragement, lorsqu’un tout jeune garçon vint vers nous. Il était rapide, adroit, silencieux, tandis qu’avec son couteau il tranchait nos liens. En même temps qu’il nous libérait, nous aidant à nous relever, il nous présentait des excuses. Il nous expliqua dignement qu’il avait honte de ce que les hommes nous avaient fait ; que les Aspalans n’étaient pas tous ainsi ; que beaucoup avaient l’âme noble. Je lui demandai ce que lui feraient les Aspalans en découvrant qu’il nous avait libérées. Avec une assurance d’homme, il me répondit de ne pas m’inquiéter pour lui, ajoutant de façon un peu enfantine : « Je n’ai pas peur. Je suis un Aspalan ». Pourquoi se trouvait-il ici ? Il était sans doute le fils d’un des chefs.

Oramûn resta un temps songeur, puis déclara qu’il allait maintenant se coucher. Alors qu’il se levait pour prendre congé, la jeune femme lui confia sans détour qu’elle ne voulait pas dormir seule ; qu’elle souhaitait, s’il acceptait, dormir auprès de lui, seulement dormir. Oramûn comprenait. Il monta avec elle dans la chambre. Elle s’allongea sur le lit, s’enfila sous la couverture, regarda Oramûn qui n’osait se déshabiller devant elle. Elle lui assura que « c’est tout simple ». Il ne se fit pas plus longtemps prier et vint se coucher à ses côtés. Elle se rapprocha d’Oramûn jusqu’à se lover dans son bras et, à peine cinq minutes plus tard, elle s’endormait contre lui.

 

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