Les Temps modernes (Modern Times, Charles Chaplin, 1936)
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Les Temps modernes (Modern Times, Charles Chaplin, 1936)
La première chose que nous voyons s'afficher sur l'écran, c'est le cadran d'une horloge sur laquelle l'aiguille des secondes se déplace inexorablement vers le haut de l'heure. Aucune miette de ce temps mesuré mécaniquement ne doit être perdue. Car le temps c'est de l'argent. Et plus on contrôle le temps, plus ça rapporte. C'est exactement la démonstration faite par l'ingénieur américain Frederic Winslow Taylor, inventeur de l'organisation scientifique du travail (OST) à la fin du XIX° siècle. Il a l'idée de décomposer la fabrication de l'objet en tâches simples et de mesurer le temps effectué pour l'accomplissement de chaque tâche par un ouvrier spécialisé à l'aide d'un chronomètre. L'industriel Henry Ford décide d'appliquer l'OST dans ses usines en y rajoutant en 1913 la chaîne de montage "aucun ouvrier ne doit avoir plus d'un pas à faire. Aucun ouvrier ne doit avoir à se baisser." Le travail à la chaîne est né "un gain de temps pour un maximum de rendement".
Et l'homme dans tout ça? Il n'est plus qu'un mouton voire un simple rouage de la machine toute-puissante. Son corps et son esprit sont aliénés par la machine au point de le transformer lui-même en machine. Par la pantomime, Chaplin dénonce tout en faisant rire les cadences infernales, les troubles musculo-squelettiques, la vidéosurveillance à la Big Brother jusque dans les toilettes. Très vite, il devient fou et casse son outil de travail. La fin du calvaire? Non ce n'est que le début. Le film s'enfonce toujours plus profondément dans le tourbillon de la grande dépression du système capitaliste, le chômage, les grèves, les boulots précaires, la répression à tous les coins de rue, la prison et l'hôpital psychiatrique. Et Charlot subit, tournoie encore, encore et encore dans le tourbillon à l'image de la scène où il tente sans succès de se frayer un passage dans la foule dansante afin de servir un client.
Face à cet enfer, une seule solution, l'exil, prémonitoire. Et un plan devenu iconique. Celui de deux silhouettes qui s'éloignent vers un horizon incertain.
Quatre ans plus tard, réalisant que la pantomime ne suffit plus à dénoncer l'horreur de l'autodestruction humaine en marche, il fusionnera son alter ego avec lui-même afin de lui donner la parole et lancera l'un des plus vibrants, l'un des plus visionnaires appels à la résistance jamais entendus sur un écran: " Ne vous donnez pas à ces brutes, à un minorité qui vous méprise et qui fait de vous des esclaves, enrégimente toute votre vie et qui vous dit ce qu'il faut faire et ce qu'il faut penser, qui vous dirige, vous manœuvre, se sert de vous comme chair à canon et qui vous traite comme du bétail. Ne donnez pas votre vie à ces êtres inhumains, ces hommes-machines avec une machine à la place de la tête et une machine dans le cœur. Vous n'êtes pas des machines, vous n'êtes pas des esclaves, vous êtes des hommes."