

Épisode 3 : Pourquoi ?
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Épisode 3 : Pourquoi ?
POV Lili
Anny et moi sommes restées enlacées quelques instants, le temps pour moi de retrouver mon souffle et d’apaiser mes larmes. Contre toute attente, pleurer dans les bras d’une amie m’avait fait du bien. Elle n’avait exigé aucune explication, n’avait demandé aucun détail. Elle s’était contenté de m’offrir une épaule bienveillante. Sans jugement. Sans pitié. Jusqu’à ce que la sonnerie stridente marque la fin de notre pause méridienne.
Toujours sans un mot, Anny m’aida à me relever et essuya d’un geste presque tendre mes joues encore humides de chagrin et de douleur. Elle effaça toute trace de maquillage sur mon visage et lissa mes cheveux, me rendant ainsi un air humain.
Après un dernier câlin, elle m’adressa un merveilleux sourire avant de me demander si je tiendrais le coup. Si j’étais en mesure d'affronter seule le reste de la journée. J’acquiesçai d’un simple hochement de tête, ne faisant pas confiance à ma voix rauque et timide, et pris une profonde inspiration. Je regrettai de ne pas avoir plus de cours avec elle, mais j’étais une scientifique et elle une littéraire. Fort heureusement, nous partagions deux options – la photographie et le cinéma – ainsi que les séances de torture – plus communément connues sous le nom « EPS » – tous les mardis et jeudis après-midi.
Anny ouvrit la porte des toilettes, attrapa mon bras droit et le serra fort contre elle. Nous sortîmes ensemble, nous frayant un chemin à travers la foule de lycéens évitant les plus pressés et contournant les plus rebelles. Mais je fus brusquement stoppée par une monstrueuse paire de seins qui apparut devant moi. Morgane. Furieuse pour une raison qui me dépassait. Elle se contenta de me fixer, sans un mot, ses traits d’ange déformés par la haine qu’elle rêvait de me cracher à la figure. Mais elle était plus vicieuse que ça. Elle ne courrait pas le risque de dévoiler son véritable visage ici, dans les couloirs bondés. Elle attendrait la bonne occasion. Elle patienterait jusqu'à ce que je sois seule et vulnérable. Elle m’observa quelques secondes. Ses lèvres se courbèrent en un rictus presque effrayant, comme si mon état pitoyable la satisfaisait, puis elle disparut.
— Je te laisse. Mon prochain cours est juste là, m’indiqua Anny en montrant la porte ouverte devant nous. On se voit plus tard dans les vestiaires ?
Je lui confirmai d’un timide sourire, puis fis tomber mes cheveux devant mon visage pour dissimuler mon malaise. Anny desserra alors son étreinte pour rejoindre son groupe de travail. Avant d’entrer dans sa salle, elle se tourna vers moi pour s’assurer une dernière fois que tout irait bien pour moi.
Sans attendre, je longeai les murs, tête baissée, souhaitant disparaître dans la pénombre. Je me faufilai jusqu’à la bibliothèque pour une heure de révision. J’appréciais l’atmosphère paisible de cet endroit : son silence et son calme ; la luminosité douce et apaisante ; et cette odeur de cuir et de papier vieilli. Depuis la rentrée, ce lieu était devenu mon refuge. Je passais mon temps libre assise à cette table isolée, cachée entre les rayons consacrés aux différentes religions et à leur histoire. À l’abri des regards. Loin des autres.
Absorbée par ma lecture, je n’entendis pas le crissement des chaussures sur le linoléum s’approcher tranquillement de moi. Je ne prêtai pas non plus attention à la personne derrière moi qui se racla la gorge pour m’avertir de sa présence. Je ne voulais pas de compagnie. Je préférai être seule, surtout lorsque je me sentais aussi fragile qu’à cet instant. Alors, je ne bougeai pas, dans l'espoir vain que l’intrus saisisse le message.
— Je peux m’installer là ?
Cette voix. Rauque et douce. Elle faisait vibrer mon corps et frémir mon cœur. Et je savais bien à qui elle appartenait. Nul besoin de lever les yeux de mes notes pour réaliser que Logan se tenait là, patientant que je lui accorde un regard. Ce que je refusai de faire. Non pas que je ne l’appréciai pas. Plutôt que tout ceci me semblait étrangement familier. L’histoire entre le sportif adulé, en pseudo-couple avec la pom-pom girl psychotique, et l’intello coincée. Digne d’une comédie romantique pour ados ou, dans mon cas, d’un passé compliqué et douloureux. J’étais encore beaucoup trop écorchée. Brisée. Mais tout ceci, Logan n’en avait que faire. Ou, pour être exact, il l’ignorait totalement. Il ne devait jamais savoir…
Il interpréta mon silence comme un oui, déposa tout en douceur son sac sur la table puis tira la chaise à côté de moi pour s’asseoir.
Parfait.
Calme-toi. Il n’avait rien fait de mal. Il s’était tout bonnement installé dans la section la plus tranquille de la bibliothèque. Peut-être même qu’il avait l’habitude de venir ici bien avant moi.
Je pris une grande inspiration pour apaiser la tempête qui faisait rage en moi et revins à mes fiches de révision. Nous pouvions tout simplement partager cet espace sans échanger un mot. Une sorte de cohabitation silencieuse dont personne ne souffrirait. La dernière chose dont j’avais besoin était de m’attirer les foudres de Morgan. Et si elle m’apercevait en train de discuter avec Logan ou même de lui jeter un unique coup d’œil, elle deviendrait très certainement folle.
Tandis que je m’efforçais de me concentrer sur ma lecture, je sentais son regard brûlant sur ma peau. Il n’avait pas bougé depuis qu’il était arrivé. Il n’avait rien sorti de son sac. Il me fixait, ce qui me rendait de plus en plus nerveuse. Mais je tins bon. Je parviens à rester immobile alors que tout mon corps voulait se trémousser d’inconfort.
Après quelques minutes qui me parurent des heures, il finit par se détourner en soufflant. Il fouilla dans ses affaires pour en extirper ce que je supposais être son téléphone. Avec un peu de chance, il se lasserait ou oublierait même mon existence.
Drrr… Drrr.
Mon smartphone vibra dans ma poche. Pure coïncidence. Sans doute un SMS de mon père pour savoir à quelle heure je rentrais ce soir. Cela pouvait attendre la fin de ma séance de travail.
Drrr… Drrr. Drrr… Drrr.
Curieux.
Ce n’était pas dans ses habitudes de me harceler. Soit il avait un problème, soit je faisais erreur sur l’expéditeur. Dans un soupir d’agacement, je consultai mon appareil : trois notifications d’un numéro inconnu. Trois messages composés uniquement d’une suite d’émojis dénués de sens, ce qui me fit froncer les sourcils.
Un rire espiègle résonna à ma droite. Logan.
— J’ai enfin capté ton attention ? me demanda Logan tandis que je lui lançais un regard furtif.
— Qu’est-ce que tu me veux ? murmurai-je.
Il me gratifia de son plus beau sourire, celui qu’il gardait pour toutes ces filles en manque d’amour qui défilaient devant notre table durant la pause-déjeuner. Et là, je sus pourquoi toutes devenaient rouge pivoine, sur le point de défaillir. Il était splendide. Ses cheveux bruns légèrement en désordre. Ses yeux verts pétillants. Son allure de bad-boy avec sa veste en cuir noir élimée et son t-shirt blanc impeccable. Logan était séduisant et il en était parfaitement conscient.
Je feignais l’indifférence tant bien que mal et retournai à mes notes, priant pour qu’il réalise que ce jeu bien trop périlleux pour mon humble cœur ne m'intéressait pas. Que j’avais des choses bien plus importantes à faire. Il ne restait que vingt minutes avant mon prochain cours, vingt minutes que je comptais passer seule.
Je l’entendis alors souffler à nouveau. Il ne semblait plus du tout amusé. Et naïvement, j’ai présumé qu’il me laisserait enfin en paix, mais c’était mal le connaître ! Il se leva et posa ses mains autour de mes feuilles, m’emprisonnant entre la table et son torse musclé. Il était si proche que je parvenais à sentir son haleine mentholée.
— C’est quoi ton problème avec moi, Lili ? murmura-t-il à mon oreille.
Son souffle chaud sur ma nuque me fit frissonner. Je maudissais mon traître de corps. Je détestai qu’il réagisse de cette manière en présence de Logan. Comme il l’avait fait pour Éric…
Je fermai les yeux, crispai mes poings, refusant de lui permettre de m’atteindre. Mais je ne pus retenir un sanglot de désespoir.
— Lili…
Dans un accès de colère ou de frustration, il frappa la table avant de se redresser. Puis, il saisit son sac et partit en marmonnant des jurons.
J’avais remporté cette bataille, mais je restais convaincue que mon cœur ne me laisserait pas gagner la guerre.
POV Logan
Impossible de résister à l’envie de retrouver Lili. La voir s’enfuir en courant, la voix rauque chargée de sanglots, m’avait anéanti et c’était une première pour moi.
J’avais la réputation de briser les cœurs sans sourciller. De prendre ce que je voulais et de laisser derrière moi de pauvres âmes en pleurs. Pourtant, je n’ai jamais rien promis. J’ai toujours été clair avec les filles : pas d’attache, pas de sentiment, seulement du bon temps. Mais avec Lili, ça me semblait différent. D’abord, parce que je n’avais pas eu l’occasion de passer plus de cinq minutes avec elle. Je n'avais pas eu l'opportunité de lui parler ni même de réellement l’approcher depuis la rentrée. Depuis que je l’avais vue franchir les portes du lycée avec Anny accrochée à son bras. Depuis que j’avais aperçu ce splendide sourire sur son doux visage.
— Qu’est-ce qui lui prend à celle-là ? gloussa Morgan.
Sa voix stridente m’irritait. Tout chez elle m’agaçait. Je fermai les yeux, tentant de contenir ma colère du mieux que je pouvais, sans quoi je risquais de lui crier dessus et de l’humilier devant tout le monde. Mauvaise idée. Morgan pouvait être une vraie chieuse. Une folle furieuse, même. Et je n'avais aucune envie d'être dans son collimateur. Cette année devait être la mienne et je n’avais pas le temps ni la force de gérer ses conneries.
— Je vais pisser, grognai-je en espérant qu’elle me lâche.
Mais c’était sous-estimer Morgan.
Elle se pressa contre moi et planta un baiser collant sur ma joue avant de prendre un air qui se voulait aguicheur.
— Besoin d’aide ? murmura-t-elle à mon oreille.
— Ça ira ! Je peux me débrouiller seul, maugréai-je.
Elle esquissa une grimace de déception et fit claquer sa langue en signe de mécontentement, mais je ne lui donnai pas l’occasion de répondre. Je saisis mon plateau pour le déposer sur le chariot et quittai la cafétéria d’un pas raide. J’espérais pouvoir rattraper Lili. Pouvoir la réconforter. Je ressentais le besoin absurde de la prendre dans mes bras. De lui embrasser le front et de lui promettre que rien ni personne ne la blesserait plus jamais.
— Eh, mec ! Ça va ?
Ryan. Mon meilleur ami. Nous nous connaissions depuis le jardin d’enfants. Inséparables. De véritables petits démons. Toujours prêts à pousser les limites, quitte à se mettre en danger en affrontant plus grands, plus forts et plus nombreux. Juste pour s’amuser. Avant de briller sur le terrain de football, nous étions les deux terreurs de l’école.
Il posa sa main sur mon épaule, m’incitant à ralentir et à me détendre un peu. Je perdis de vue Lili au détour d'un couloir, et c'était sans doute la meilleure chose pour le moment. Je n’étais probablement pas la personne la mieux placée pour l’aider. Pas celle à qui elle aurait aimé se confier. Et cette idée me faisait bouillir de colère et me brisait le cœur.
— C’est quoi cette histoire avec Morgan ? T’as vraiment couché avec elle ?
Je me tournai vers mon ami qui souriait, malgré les reproches silencieux dans sa voix.
— Ouais… avouai-je dans un soupir. J’ai merdé.
Mes épaules s’affaissèrent de lassitude.
— Putain, oui t’as merdé, mec ! pesta Ryan. C’est Morgan, bon sang ! Tu pensais à quoi ?
— À rien, putain ! Lâche-moi…
Il m’observa attentivement puis secoua la tête. On continua à marcher sans un mot avant de s'arrêter à côté de la porte des WC, à l’écart des regards et des oreilles indiscrets. Je pris appui sur le mur et passai une main sur mon visage. Je brûlais d'évacuer ma frustration. De frapper quelqu'un. De hurler.
— Tu veux en parler ?
— Y’a rien à dire, rétorquai-je. J’étais bourré, elle m’a chauffé. On est allé dans les chiottes à l’étage et elle m’a sucé.
— C’est tout ?
Ryan me connaissait par cœur. Il m’était impossible de lui cacher quoi que ce soit.
— Non. Morgan a beau avoir une bouche de pipeuse, crois-moi, elle n’est pas douée ! Alors j’ai fini par la retourner sur le lavabo, enfiler une capote et la prendre par-derrière. Voilà, t’es content ?
Ryan commença à faire les cent pas devant moi. J'étais presque en mesure d'imaginer les engrenages s’activer dans son esprit. Son inquiétude était manifeste et je lui en étais reconnaissant, mais aucun de ses plans tordus n'était en mesure de me sortir de la merde dans laquelle je m’étais foutu tout seul.
— Bon. Je vois qu’une solution. Faire semblant de t’intéresser un peu à elle en espérant qu’elle passe rapidement à autre chose… proposa Ryan.
— Quoi ? Non. Impossible, râlai-je. Pas moyen…
— T’as une meilleure idée ?
— Je vais l’ignorer, jusqu’à ce qu’elle comprenne !
— On parle de Morgan, là, s’exclama Ryan. Elle est à fond sur toi depuis des mois. Même si tu te réveillais PD demain matin, elle te lâcherait pas…
Il avait raison. Voilà pourquoi faire semblant n’était pas une solution. Peut-être que si nous en discutions calmement. Si je tentais d'arranger les choses en douceur... Elle verrait qu’elle et moi étions parfaitement incompatibles.
La sonnerie a retenti et une foule envahit les couloirs qui étaient jusqu’alors déserts. Morgan nous dépassa, Ryan et moi, toujours suivie de ses groupies, sans même nous accorder un regard, ce qui me soulagea. Je savais qu'elle aussi avait une heure de libre et je craignais qu’elle ne me fasse une scène et ne me lâche pas une seconde.
Alors que je m’apprêtais à rejoindre le terrain de football pour courir un peu, j’aperçus Lili sortir des toilettes, les yeux gonflés et les joues rouges. Morgan la percuta violemment, mais ne s’attarda pas. Heureusement.
Après quelques instants, Anny entra en salle 101 pour son cours de littérature et Lili prit la direction de la bibliothèque. Je ne connaissais pas son emploi du temps. Je savais seulement que nous avions quelques matières en commun : mathématiques, informatique et sciences sociales. Je n’étais même pas sûr qu’elle ait déjà remarqué ma présence. Je m’installais toujours au fond de la classe, alors qu’elle préférait s’asseoir au premier rang, près du professeur.
— Au fait, mec, m’interpella Ryan. J’ai le numéro de Lili. Anny a accepté de me le donner en pensant que c’était pour moi…
— Merci, Ryan. Tu peux me l’envoyer ?
— C’est fait, grogna-t-il. Mais fais gaffe. Elle est pas comme les autres. Lili, je veux dire. Elle a souffert. Ça se voit…
Mes mâchoires se crispèrent et mes poings se serrèrent d'eux-mêmes. Je soufflai pour évacuer ma frustration. Pour qui se prenait-il ? Il ne s’était jamais intéressé aux filles avec lesquelles je couchais jusque-là. Il n’en avait rien à foutre, parce qu’il se comportait exactement comme moi. Juste de l’amusement. Aucun sentiment. Alors qu’il se permette de me faire la leçon me rendait dingue. Avait-il des vues sur elle ?
Je l’attrapai par la gorge et le pressai contre le mur, furieux à l’idée qu’il ose poser ne serait-ce qu'un regard sur ma Lili. Ryan ne résista pas. Il leva les mains en signe de reddition et afficha un sourire triomphant.
— OK, mec. C’est noté, elle est à toi…
Connard.
Je le relâchai et m’éloignai précipitamment. Je me dirigeai vers la seule personne qui serait capable de m’apaiser : Lili.
Depuis que j’étais au lycée, je n’avais jamais franchi le seuil de la bibliothèque. Si ce n’était pas pour elle, je n’y aurais jamais mis les pieds de toute ma scolarité. Comment pouvait-on apprécier de passer des heures enfermé ici pour étudier ? Une odeur de poussière et d’encre flottait dans l’air. La lumière blanche était une agression pour mes rétines. Et ce silence pesant une véritable torture !
Je parcourais les allées, à la recherche de sa chevelure châtain éclatante et de ses yeux d’un ambre envoûtant. J’ignorais encore ce que j’allais lui dire. Peut-être même que je me contenterais de l’observer de loin sans jamais l’approcher, faisant semblant de lire un livre pour les cours dans un rayon voisin. Mais lorsque je l’aperçus installée à une table reculée, à l’abri de tout, je n'ai pas eu la force de résister. Je brûlais de lui parler. De la toucher.
Je m’avançai timidement et toussai légèrement pour signaler ma présence. Elle feignit de ne pas m’entendre. Mais je n’étais pas dupe, conscient que ma compagnie n’était pas souhaitée. Pourtant, je ne pouvais me résoudre à partir. À quitter cette bibliothèque poussiéreuse et angoissante sans avoir écouté sa douce voix.
— Je peux m’installer là ? demandai-je.
Aucune réponse. J’attendis quelques secondes avant de poser mon sac sur la table et de tirer la chaise à côté d’elle. Hors de question que je me laisse si aisément décourager. J’aspirais à la connaître. Tout savoir d’elle.
Je m’assis et la contemplai, tentant de graver dans ma mémoire chaque détail de son visage, chaque tache de rousseur. La manière dont elle mordillait sa lèvre inférieure lorsqu’elle se sentait intimidée ou dont elle fronçait les sourcils quand elle était agacée.
Après quelques minutes, je décidai d’adopter une nouvelle stratégie. Je sortis mon téléphone et cherchai le dernier SMS de Ryan qui contenait le numéro de Lili. Je l’enregistrai sous le nom « Ma déesse » et ouvris une conversion avec elle. J’ai dû recommencer à plusieurs reprises mon premier message, incapable de trouver les mots justes. J’avais l’impression d’être un gamin en mal d’amour, un jeune puceau effrayé. Je finis par opter pour une suite d’émojis – un ange, des mains jointes, un cœur, un LOL – avant d’appuyer sur « Envoyer ».
Elle ne bougea pas, toujours concentrée sur sa lecture. Mais j’étais déterminé. Je ne renoncerais pas. Après lui deux nouvelles notifications, elle céda finalement et sortit son smartphone.
— J’ai enfin capté ton attention ? lui demandai-je tandis qu’elle posait son regard sur moi.
Ses yeux ambrés, encore pleins de larmes, me touchaient au plus profond. Je m’efforçai de ne pas accourir vers elle pour la prendre dans mes bras. La pensée de l’enlacer et de la garder à mes côtés me tourmentait. Plus que tout, je désirais la bercer tout contre moi et lui susurrer des paroles apaisantes pour chasser à jamais cette tristesse dans son regard.
— Qu’est-ce que tu me veux ? murmura-t-elle.
En réponse, je lui offris mon plus beau sourire, celui qui faisait tomber toutes les filles, dans l’espoir qu’elle ne pourrait y résister et qu’elle se focaliserait sur moi. Malheureusement, sa réaction fut aux antipodes de mes attentes. Elle me dévisagea longuement, ne laissant transparaître la moindre émotion. Aucun halètement. Aucun rougissement. Elle se contenta de soupirer, manifestement agacée, levant les yeux au ciel avant de se replonger dans ses notes.
Une douleur aiguë me serra la poitrine. Mon ego souffrit d’un sérieux revers. Je n’étais pas habitué à l’indifférence. C’était même tout le contraire. Et pour une fois que je m’intéressais sincèrement à une fille, elle demeurait totalement fermée à mon charme. Étais-je le seul à ressentir cette incroyable connexion entre nous ? Ce lien inexplicable qui pulsait entre nos deux cœurs ?
J’étais devenu un véritable idiot amoureux, mendiant pour un sourire de sa part. Pour un simple regard… Je frôlais la folie. Où que j’aille, quoi que je fasse, elle était toujours présente dans mon esprit. Le besoin primitif d’être proche d’elle, de la protéger grandissait chaque jour en moi, devenant de plus en plus irrésistible. Surtout lorsque ses yeux étaient embués, que ses joues affichaient encore les traces de ses larmes et que sa voix était marquée par l’émotion.
Une brusque colère me submergea. Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ? Pourquoi était-elle aussi insensible ? Ne comprenait-elle pas que je ne jouais pas ? Que j’éprouvais de véritables sentiments ? Sa froideur à mon égard me faisait souffrir comme jamais. Prenait-elle du plaisir à me torturer ainsi ? À me voir me ridiculiser dans le seul but d’obtenir une minuscule marque d’attention ?
Je soupirai bruyamment en fermant les yeux quelques instants, pour évacuer ma frustration. Puis, sans vraiment m’en rendre compte, je me levai et vins plaquer mes deux mains sur la table de chaque côté de son corps chaud. Je pressai mon torse contre son dos, le nez dans ses cheveux chatoyants. Son délicieux parfum de jasmin et de vanille m’enveloppa. M’envoûta.
— C’est quoi ton problème avec moi, Lili ? chuchotai-je à son oreille.
Un frisson parcourut sa peau lisse et pâle. Bien. Elle pouvait me repousser, faire comme si je la laissais totalement indifférente, mais au fond, je savais. Je savais qu’elle ressentait cette attirance hors du commun. Cette attraction mystérieuse et soudaine entre nous. Et bientôt, elle serait mienne.
Elle ferma les yeux et son corps tout entier se crispa. Pas d’attente. Pas d’excitation. Mais de peur. De détresse. Un gémissement silencieux et désespéré s’échappa de ses délicates lèvres, comme si l’idée d’être ainsi près de moi lui était insupportable et terrifiante. Un sanglot qui m’atteignit, tel un coup de poignard.
— Lili… murmurai-je comme une supplique avant de frapper la table et de m’éloigner.
Il était impératif que je m’éloigne d’elle. Que je l’ignore pour la faire disparaître de mon esprit. Mon équipe était ma priorité, mon unique objectif. Mes coéquipiers comptaient sur moi et je n’avais pas le droit à l’erreur. Je ne pouvais me permettre d’être distrait.
Je me maudissais pour ça. Je maudissais Morgan pour son obsession envers moi. Et je la maudissais, elle, pour l’emprise inexplicable qu’elle avait sur moi.
Texte de L.S.Martins (120 minutes chrono, sans relecture).
Image par Michal Jarmoluk de Pixabay

