Épisode 3 :Pourquoi ?
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Épisode 3 :Pourquoi ?
POV Lili
Anny et moi sommes restées enlacées quelques instants, juste le temps pour moi de retrouver mon souffle et d'apaiser mes larmes. Jusqu'à ce que la sonnerie ne nous oblige à nous séparer pour rejoindre nos salles de classe respectives.
Nous avions peu de cours en commun. J'étais une scientifique et elle, une littéraire. Nous partagions seulement deux options - la photographie et le cinéma - ainsi que les séances de torture, plus communément appelées EPS, des mardis et jeudis après-midi.
- Ça va aller ? me demanda Anny avant d'ouvrir la porte des toilettes des filles.
Je hochai la tête, ne faisant pas confiance à ma voix rauque et timide, et sortis la première pour me frayer un chemin à travers la foule de lycéens, Anny accrochée à mon bras droit. Une paire monstrueuse de seins me frappa dans les côtes, me stoppant net dans ma progression, et je me retrouvai face à une Morgan furieuse qui me fixait. Elle ne prononça aucun mot, mais je pouvais lire clairement dans son regard toute la haine qu'elle rêvait de me cracher à la figure. Elle était bien trop maligne pour ça. Elle attendait la bonne occasion. Elle attendait que je sois seule.
- Je te laisse, m'informa Anny. Mon prochain cours est juste là. On se voit dans les vestiaires à 4 heures ?
- OK. À toute.
Elle relâcha mon bras, m'adressa un sourire rassurant et s'éclipsa dans la salle 101, juste en face. Je me faufilai dans la bibliothèque, au bout du couloir, pour réviser pendant une heure avant le cours d'informatique.
J'appréciais l'atmosphère paisible de cet endroit. Depuis la rentrée, c'était mon havre de paix où je m'évadais à chaque moment libre, assise à une table reculée, entre les rayons consacrés à l'archéologie. À l'abri des regards. Isolée des autres.
J'entendis quelqu'un s'approcher et se racler la gorge comme pour attirer mon attention. Je ne bougeais pas dans l'espoir qu'il comprenne le message. Que je voulais rester seule et qu'il devait se trouver une autre place. En vain.
- Je peux m'installer là ?
Cette voix. Je savais pertinemment à qui elle appartenait. Pas besoin de lever les yeux de mes notes pour comprendre que Logan se tenait là, devant moi, attendant patiemment que je lui accorde un regard.
Devant mon silence et mon absence de réaction, il tira la chaise pour s'asseoir et déposa son sac sur la table calmement. Il avait décidé de me rendre les choses difficiles, mais j'étais plus forte que ca. Je persistais à l'ignorer, m'efforçant de me concentrer sur ma lecture alors qu'il continuait de me dévisager. J'ignorais quel était son problème, mais je n'allais pas lui donner satisfaction.
Il finit par sortir son téléphone et pianota dessus pendant quelques minutes. À ma grande surprise, je sentis le mien vibrer dans ma poche. Simple coïncidence. Sans doute un message de mon père me demandant à quelle heure je comptais rentrer ce soir. Il pouvait attendre la fin de ma séance de révision. Mais mon smartphone se remit à vibrer plusieurs fois. Ce n'était pas dans les habitudes de mon père de me harceler. Soit il avait un problème, soit je faisais erreur sur l'expéditeur. Poussant un soupir d'agacement, je sortis enfin mon appareil : trois notifications d'un numéro inconnu. Trois messages composés uniquement d'une suite d'émojis dénués de sens.
- J'ai enfin capté ton attention ? me demanda Logan tandis que je lui lançais un regard furtif.
- Qu'est-ce que tu me veux ? murmurai-je.
Il me fit son sourire de tombeur, celui qu'il gardait à toutes ces filles en manque d'amour qui défilaient devant notre table durant la pause déjeuner. Et là, je compris pourquoi elles devenaient rouge pivoine et manquaient de défaillir. Il était splendide. Ses cheveux bruns légèrement en désordre. Ses yeux noirs pétillants. Son allure de bad-boy avec sa veste en cuir noir et son t-shirt blanc. Logan était séduisant, et il en était parfaitement conscient.
Je levai les yeux au ciel et retournai à mes notes, espérant lui faire comprendre qu'il ne m'intéressait pas et que j'avais des choses bien plus importantes à faire. Il ne me restait que vingt minutes avant mon prochain cours, vingt minutes que je comptais bien passer seule.
Je l'entendis souffler et, naïvement, je pensais qu'il allait enfin me laisser en paix, mais c'était bien mal le connaître. Il se leva et posa ses mains autour de mes feuilles. Il était si proche de moi que je pouvais sentir son haleine mentholée.
- C'est quoi ton problème avec moi, Lili ? murmura-t-il à mon oreille.
Son souffle chaud sur ma nuque me fit frissonner. Je maudissais mon traître de corps. Je détestai qu'il réagisse de cette manière en présence de Logan. D'Éric... Je fermai les yeux, crispai mes poings, refusant de lui permettre de m'atteindre.
- Lili...
Il frappa la table, saisit son sac et partit en marmonnant des jurons. J'avais remporté cette bataille, mais je savais que mon cœur ne me laisserait pas gagner la guerre...
POV Logan
Je n'ai pu résister à l'envie de retrouver Lili. La voir s'enfuir en courant, la voix rauque chargée de sanglots, m'a anéanti. C'était une première pour moi. J'avais la réputation de briser les cœurs sans sourciller. De prendre ce que je voulais et de laisser derrière moi des pauvres âmes en pleurs. Pourtant, je n'ai jamais rien promis. J'ai toujours été clair avec les filles : pas d'attache, pas de sentiment, seulement du bon temps. Mais avec Lili, c'était différent. D'abord, parce que je n'avais pas eu l'occasion de passer plus de cinq minutes avec elle. Je lui avais à peine parlé depuis la rentrée, depuis que je l'avais vu franchir les portes du lycée avec Anny accrochée à son bras. Depuis que je l'avais vue sourire...
- Qu'est-ce qui lui prend celle-là ? s'interrogea Morgan.
Sa voix stridente m'irritait. Tout chez elle m'agaçait. Je fermais les yeux, tentant de contenir ma colère du mieux que je pouvais, sans quoi je risquais de lui crier dessus et de l'humilier devant tout le lycée. Mauvaise idée. Morgan pouvait être une vraie chieuse, une folle furieuse. Et je ne voulais certainement pas être dans son collimateur !
- Je vais pisser, grognai-je espérant qu'elle me lâche.
Mais c'était sous-estimer Morgan. Elle se pressa contre moi et déposa un baiser collant sur ma joue avant de prendre un air qui se voulait aguicheur.
- Besoin d'aide ? murmura-t-elle à mon oreille.
- Ça ira ! Je peux me débrouiller seul, maugréai-je.
Elle afficha une grimace de déception et fit claquer sa langue en signe de mécontentement, mais je ne lui donnai pas l'occasion de répondre. Je saisis mon plateau pour le déposer sur le chariot et quittai la cafétéria. J'espérais pouvoir rattraper Lili. Pouvoir la réconforter... ou peut-être juste l'apercevoir.
- Eh, mec ! Ça va ?
Ryan. Mon meilleur ami. Nous nous connaissions depuis le jardin d'enfants. J'en avais fait des conneries avec lui. Avant de briller sur le terrain de football, nous étions les terreurs de l'école. Toujours en train de nous battre et de nous faire remarquer.
Il posa sa grande main sur mon épaule, m'incitant à ralentir et à me détendre un peu.
- C'est quoi cette histoire avec Morgan ? T'as vraiment couché avec elle ?
Il souriait, mais je pouvais entendre les reproches dans sa voix.
- Ouais... Lâchai-je dans un soupir. J'ai merdé.
- Putain, oui t'as merdé, mec. C'est Morgan, bon sang ! Tu pensais à quoi ?
- À rien, putain ! Lâche-moi...
Il m'observa attentivement puis secoua la tête. On s'arrêta juste à côté de la porte des WC, à l'écart des regards et des oreilles indiscrets. Je pris appui sur le mur et passai une main sur mon visage. J'avais besoin d'évacuer ma frustration. De frapper quelqu'un. De hurler.
- Tu veux en parler ?
- Y'a rien à dire, rétorquai-je. J'étais bourré, elle m'a chauffé. On est allé dans les chiottes à l'étage et elle m'a sucé.
- C'est tout ?
Ryan me connaissait par cœur. Il m'était impossible de lui cacher quoi que ce soit.
- Non. Morgan a beau avoir une bouche de pipeuse, crois-moi, elle n'est pas douée ! Alors j'ai fini par la retourner sur le lavabo, enfiler une capote et la prendre par derrière. Voilà, t'es content ?
Ryan commença à marcher de long en large devant moi. Je pouvais presque voir les engrenages s'activer dans son esprit. Son inquiétude pour moi était évidente, et je lui en étais reconnaissant, mais aucun de ses plans tordus ne pouvait me sortir de la merde dans laquelle je m'étais foutu tout seul.
- Bon. Je ne vois qu'une solution. Faire semblant de t'intéresser un peu à elle en espérant qu'elle passe rapidement à autre chose... expliqua Ryan.
- Quoi ? Non. Impossible, râlai-je. Pas moyen...
- T'as une meilleure idée ?
- Je vais l'ignorer, jusqu'à ce qu'elle comprenne !
- On parle de Morgan, là, exclama Ryan. Elle a des vues sur toi depuis des mois. Même si tu réveillais PD demain matin, elle te lâcherait pas...
Il avait raison. Voilà pourquoi faire semblant n'était pas une solution. Peut-être que si je lui parlais. Si j'essayai d'arranger les choses, elle comprendrait...
La sonnerie a retenti et une foule a envahi les couloirs qui étaient jusqu'alors déserts. Morgan est passée devant nous, suivie de ses groupies, sans me dire un mot ni même m'accorder un regard, ce qui me soulagea. Je savais que, tout comme moi, elle avait une heure de libre et je craignais qu'elle ne me fasse une scène pour passer du temps ensemble.
Alors que je m'apprêtai à rejoindre le terrain de football pour courir un peu, j'aperçus Lili sortir des toilettes. Morgan la percuta violemment, mais ne s'attarda pas plus longtemps. Heureusement.
Après quelques instants, Anny s'éclipsa en salle 101 pour son cours de littérature et Lili prit la direction de la bibliothèque. Je ne connaissais pas son emploi du temps. Je savais seulement que nous avions quelques matières en commun : mathématiques, informatique et sciences sociales. Je n'étais même pas sûr qu'elle ait déjà remarqué ma présence. Je m'installai toujours au fond de la salle, alors qu'elle, elle préférait s'asseoir au premier rang, près du professeur.
- Au fait, mec, m'interpella Ryan. J'ai le numéro de Lili. Anny a accepté de me le donner en pensant que c'était pour moi...
- Merci, Ryan. Tu peux me l'envoyer ?
- C'est fait, grogna-t-il. Mais fais gaffe. Elle est pas comme les autres. Lili, je veux dire. Elle a souffert. Ça se voit...
Mes mâchoires se crispèrent. Je soufflai pour évacuer ma colère. Pour qui se prenait-il ? Il ne s'était jamais intéressé aux filles avec lesquelles je couchais jusque-là. Il n'en avait rien à foutre, parce qu'il se comportait exactement de la même manière. Alors qu'il se permette de me faire la leçon me rendait dingue. Avait-il des vues sur elle ?
Je l'attrapai par la gorge et le pressai contre le mur, furieux à l'idée qu'il ose poser ses mains baladeuses sur ma Lili. Ryan ne résistait pas. Il leva les mains en signe de paix et afficha un sourire.
- Ok, mec. C'est noté, elle est à toi...
Je le relâchai et m'éloignai précipitamment. Je me dirigeai vers la seule personne capable de m'apaiser : Lili.
Depuis que j'étais au lycée, je n'avais jamais franchi le seuil de la bibliothèque. Si je n'étais pas certain de la trouver là, je serais reparti aussitôt. Comment pouvait-on apprécier de passer des heures ici pour étudier ? Une odeur de poussière et d'encre flottait dans l'air. La lumière blanche était une agression pour mes rétines. Et ce silence pesant une véritable torture !
Je parcourais les allées, à la recherche de sa chevelure châtain éclatante et de ses yeux d'un ambre envoûtant. J'ignorais encore ce que j'allais lui dire. Peut-être même que je me contenterai de la regarder de loin, sans jamais l'approcher. Mais lorsque je la vis installée sur une table reculée à l'abri de tout, je n'ai pas pu résister. J'avais besoin de lui parler. De la toucher.
Je m'approchai doucement pour ne pas l'effrayer et toussai légèrement pour capter son attention. Elle feignit de ne pas m'apercevoir. Je n'étais pas dupe, conscient que ma présence n'était pas souhaitée, mais je ne voulais pas partir. Je ne pouvais pas.
- Je peux m'installer là ? demandai-je.
Aucune réponse. Ce n'était pas grave. Je ne me laisserais pas décourager si facilement. Je tirai la chaise en face d'elle et posai mon sac sur la table avec précaution. Je m'assis et la contemplai, tentant de graver dans ma mémoire chaque détail de son visage. De mémoriser la manière dont elle mordillait sa lèvre inférieure lorsqu'elle se sentait intimidée, ou fronçait les sourcils quand elle était agacée.
Après quelques minutes, je décidai d'adopter une nouvelle stratégie. Je sortis mon téléphone et ouvris le dernier message de Ryan qui contenait le numéro de Lili. Je l'enregistrai sous le nom "Ma déesse" et commençai à lui rédiger un SMS. J'ai dû recommencer à plusieurs reprises, incapable de trouver les mots justes. J'avais l'impression d'être un gamin en mal d'amour, un jeune puceau effrayé. Finalement, j'optai pour une suite d'émojis - un ange, des mains jointes, un cœur, un LOL - avant d'appuyer sur envoyer.
Elle ne bougea pas, toujours concentrée sur sa lecture. Mais j'étais déterminé. Je ne renonçais pas. Après lui avoir envoyé deux autres messages, elle céda enfin et sortit son smartphone.
- J'ai enfin capté ton attention ? me demandai-je tandis qu'elle posait son regard sur moi.
Ses yeux étaient rougis d'avoir pleuré. J'avais envie de l'enlacer. De la presser contre moi. De lui murmurer des paroles apaisantes.
- Qu'est-ce que tu me veux ? murmura-t-elle.
C'était comme une supplication. Une douce caresse à mon cœur. Je lui offris mon plus beau sourire, celui qui faisait fondre toutes les filles, dans l'espoir qu'elle ne puisse y résister. Cependant, sa réaction fut bien différente de celle que j'attendais. Elle soupira et leva les yeux au ciel avant de se replonger dans ses notes. Étais-je donc le seul à ressentir cette connexion entre nous ? J'avais l'impression de devenir fou. Où que j'aille, je la voyais. Et à présent, je mendiais pour un sourire de sa part. Pour un simple regard.
La colère m'envahit. Pourquoi était-elle si insensible ? Pourquoi devait-elle me faire autant souffrir ? Je soufflai bruyamment avant de fondre sur elle tel un faucon sur sa proie. J'étais si proche que je pouvais sentir son parfum délicat.
- C'est quoi ton problème avec moi, Lili ? murmurai-je à son oreille.
Un frisson parcourut sa peau lisse. Elle pouvait me repousser, mais je savais qu'elle n'était pas indifférente. Bientôt, elle serait mienne.
- Lili... susurrai-je comme une promesse avant de frapper la table et de m'éloigner.
Je me maudissais. Je maudissais Morgan. Et je la maudissais, elle... Pourquoi avait-elle une telle emprise sur moi ?
Texte de L.S.Martins.
Image par Michal Jarmoluk de Pixabay