POV Logan

La voir s'éloigner me déchirait le cœur. C'était sans doute la dernière occasion de la tenir dans mes bras, de respirer son parfum. De goûter à la douceur de ses lèvres. Son corps, blotti contre le mien, comme s'il avait été créé pour moi.

La tristesse qui brillait dans ses yeux, alors qu'elle réalisait que nous ne pourrions jamais être ensemble, faisait écho avec ma propre douleur. Un poids lourd me comprimait la poitrine et un bourdonnement désagréable résonnait à mes oreilles. Une prise de conscience soudaine m'assaillit et mes épaules se tendirent en réponse. J'avais cette fille dans la peau. Peut-être que toute cette merde qui coulait dans mes veines et me rendait si faible n'était rien d'autre que de l'amour. Merde ! J'étais un Conhrad. Je n'avais pas le droit à l'amour. Mon père me le répétait depuis mon plus jeune âge et il s'assurait que cela reste vrai. J'avais déjà vendu mon âme au diable, mais jamais je ne ferais marche arrière. Rien ne m'empêcherait de protéger Lili.

— Putain ! criai-je alors que Ryan se glissait à travers l'ouverture de la porte.

— Comment ça s'est passé ? me demanda mon meilleur ami l'air inquiet.

— Aussi bien que j'aurai pu l'espérer, concédai-je. Sans cri ni pleurs...

Ryan hocha la tête sans me quitter du regard. Le bruit sourd de la musique qui pulsait juste en bas battait à travers les murs, reproduisant les bruits de mon cœur contre ma cage thoracique. Quelques secondes de silence s'écoulèrent, puis il demanda :

— Et maintenant ?

Je déglutis difficilement.

— Je vais continuer à être le gentil toutou de Morgan jusqu'à ce qu'elle ne représente plus un danger pour Lili. Et ensuite, je jouerai le jeu de mon père. Avec un peu de chance, ma dulcinée ne sera pas aussi insupportable que cette garce qui me colle au cul actuellement.

Ryan se laissa tomber sur le lit, à mes côtés, le visage empreint d'incrédulité.

— Tu vas vraiment le faire ? Accepter toute cette connerie de mariage, je veux dire.

Je soufflai et passai une main sur mon visage. Je ravalai ma salive en dépit du goût désagréable que j'avais dans la bouche.

— Je n'ai pas vraiment le choix. On ne peut pas rompre un contrat avec Philip Cohnrad sans y laisser sa peau. J'ai encore quelques années pour m'amuser. Tout ce que j'ai à faire c'est de m'éloigner de Lili et d'enterrer profondément mes sentiments. De l'oublier...

La douleur me serra la gorge. Je forçai mes lèvres à se courber en un sourire glacial avant d'ajouter :

— Du sexe et du football ! Le paradis !

Ryan se retourna vers moi, les yeux plissés. Il n'était pas dupe. Il était le seul à connaître le véritable Logan, celui que je dissimulais derrière cette façade écœurante de play-boy égocentrique.

— Et tu sais déjà qui tu vas devoir épouser ?

Je fronçai les sourcils en secouant la tête.

— Non... Son nom doit bien figurer sur le contrat que j'ai signé, mais j'ai pas lu le paragraphe sur le mariage. Je m'en fous. Et tant que j'ignore qui sait, ce n'est pas réel... Tu comprends ?

Il hésita. Un silence tendu s'installa, jusqu'à ce qu'il décide de le rompre.

— Ou alors tu découvres qui c'est, tu vas la trouver et tu la convaincs d'annuler cette alliance ridicule. Qui sait, elle ne...

— Pas maintenant, le coupai-je brutalement. Je vais pas tout faire foirer avant d'avoir obtenu ce que je veux de cet accord.

Ryan acquiesça sans insister davantage. Il se leva et se dirigea vers la porte. Alors qu'il s'apprêtait à sortir, je l'interpellai pour une dernière faveur.

— Prends soin d'elle, s'il te plaît.

Son regard croisa le mien et je n'eus point besoin de mots. Je savais que je pouvais lui faire confiance. Je savais que, quoi qu'il advienne, il la protégerait.

POV Lili

— T'étais passé où ?

À peine avais-je franchi le seuil de la bibliothèque qu'Anny me tomba dessus. En sortant de la chambre, j'avais pris quelques minutes pour me calmer, trouvant refuge dans la fameuse salle de bains à l'étage. Celle qui avait été témoin de notre premier baiser avec Logan. Je me devais de ravaler mes larmes. De réprimer mes sentiments. Devant la glace, le cœur gonflé d'émotions, j'avais passé les mains sur mes joues rougies par la chaleur pour les enrouler ensuite autour de ma nuque. La fraîcheur de mes doigts avait apaisé les tensions sans éteindre les flammes qui dansaient dans mes yeux dorés.

Je lançais un regard aux garçons vautrés sur le canapé, une bière à la main, les yeux rivés sur les corps dénudés des pouf qui se dandinaient sur la piste de danse. Ryan avait rejoint Steve et Ethan avant que je ne descende, laissant Logan seul là-haut. Mon corps mourait d'envie de le rejoindre, de lui dire de ne pas rentrer dans le jeu de Morgan et de son père. De nous laisser une chance. Mais mon esprit, lui, me hurlait de fuir, sachant pertinemment que je ne survivrai pas à une nouvelle humiliation.

— Pas ici, Anny. Je te raconterai tout, mais pas ici. Ni maintenant.

Ma meilleure amie manifesta son mécontentement avec une moue boudeuse ridicule avant de céder. Peut-être à cause de la fureur dans mes yeux ou du désarroi dans ma voix.

— Ok, comme tu veux, soupira-t-elle.

Je glissai mon bras sous son coude et l'entraînai au milieu de la foule de lycéens éméchés. J'avais besoin d'oublier. De me calmer et de me laisser aller. J'avais envie, le temps d'une soirée, de me comporter comme une fille de 17 ans : inconsciente et heureuse. Ma vie était un véritable chaos. J'avais quitté la Californie pour tourner la page, pourtant rien n'avait changé. Je restais encore et toujours la victime de ces pervers. La pute de service qui avait menti soi-disant parce qu'elle refusait d'admettre qu'elle n'était qu'une allumeuse en manque. Mon cœur battait la chamade et j'étais en sueur. Ce cauchemar s'accrochait à moi comme une seconde peau inconfortable. Quoi que je fasse, jamais je ne pourrai m'en débarrasser.

— Hey ! Ça va ? s'inquiéta Anny. Tu étais où à l'instant ?

Je lui offris un sourire crispé avant de lui assurer que j'allais bien. Je fermai les paupières et laissai les battements rythmiques s'emparer de mon corps. De mon être. La liberté que me procurait la danse était grisante et, pendant un instant, tous mes soucis semblaient s'évanouir.

Mais alors que la musique me transportait loin de la piste, loin de mes camarades de classe ivres, je ne pouvais ignorer la réalité : Logan avait accepté des fiançailles pour me protéger. Il avait renoncé à sa propre vie pour sauver la mienne. Et je n'avais pas le droit de rester sans rien faire. On jouait notre avenir sur un putain d'échiquier, et je n'étais pas en position de force. Je devais réfléchir à mon prochain coup. Parler au père de Logan ? Inutile, je n'avais rien à lui proposer en échange. Si ce qu'Anny m'avait raconté sur sa famille était vrai, je n'avais aucune chance de le faire changer d'avis. Philip Cohnrad était un homme d'affaires redoutable.

Les minutes défilèrent et les chansons se succédèrent jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'Anny et moi. Des corps inconscients gisaient dans le salon et sur la pelouse devant la maison. Des cris et des rires provenaient de la piscine. Les gars avaient presque tous disparu aux bras de leur conquête de la soirée. Tous, sauf Ryan, Steve et Ethan, qui discutaient en nous surveillant du coin de l'œil. Ils savaient. Pour Logan. Pour les vidéos. Pour Morgan. Ils savaient, pourtant ils ne m'avaient pas tourné le dos. Mon regard croisa celui de Ryan, et du bout des lèvres, je lui murmurai un merci. Il parut d'abord surpris, puis haussa les épaules, non sans un magnifique sourire.

— On rentre ? me proposa Anny qui se trémoussait encore sur une chanson de Taylor Swift.

— Oui, je suis prête. On embrasse les gars et on décolle. Tu dors à la maison ?

— Évidemment, s'empressa-t-elle de dire. Tu me dois des explications sur votre absence, toi et Ryan, en début de soirée. Ne va pas croire que j'ai oublié !

En levant les yeux au ciel je soupirai, résignée. Nous ne dormirions pas de la nuit.

***

— Tu te fous de moi ?! Il a accepté toute cette merde ? s'égosilla Anny après que je lui aie raconté ce qui s'était passé dans la chambre avec Logan. Et cette salope de Morgan a vraiment les vidéos de sa cousine ? Pourquoi ? Un matin, elle s'est réveillée en se disant "tiens et si je demandais les images pornos que ma cousine a tournées des fois que la pauvre fille ne débarque dans mon bahut et me vole mon mec !".

— Hey ! C'est moi la pauvre fille ? demandai-je dans une tentative vaine de détendre l'atmosphère.

— Oui, désolée, souffla Anny. Mais tu vois ce que je veux dire. C'est une vraie psychopathe. Il faut aller voir les flics.

— Ah oui ? Et pour leur dire quoi ? Nous n'avons aucune preuve. Ils n'ont rien fait ces neuf derniers mois, tu crois qu'ils feront quelque chose aujourd'hui ? Je n'étais pas de taille à me battre contre Éric et toute sa bande. Malgré la notoriété et l'influence de mon père. Et rien n'a changé. C'est même pire.

La colère et la douleur montaient en spirale dans mes entrailles, comme un tourbillon. Elles me comprimaient la gorge et me faisaient trembler de l'intérieur. Anny, quant à elle, ne tenait pas en place. Elle tournait comme un lion en cage autour du lit, mais lorsqu'elle aperçut les larmes briller dans mes yeux, elle s'arrêta net, vint s'asseoir et me serra dans ses bras.

— Je suis désolée. Je... et... bredouilla-t-elle en étouffant ses propres sanglots. Qui est la fille que Logan doit épouser ? Elle pourrait peut-être nous aider à lutter contre Morgan. Si ça se trouve elle ne veut pas de ça non plus. Elle pourrait parler à son père et ...

— J'en sais rien. Je ne suis pas sûr que Logan le sache. Il n'a rien dit et j'étais trop mal pour lui demander.

Anny demeura silencieuse pendant plusieurs minutes, perdue dans ses pensées. Un calme bienvenu. J'étais épuisée. Je n'avais pas fermé l'œil depuis 24 heures. Mon corps était douloureux et mon esprit confus. Dormir me ferait le plus grand bien, mais je savais que je n'y arriverais pas. Pas avec toutes ces pensées qui se bousculaient dans ma tête. Toute cette histoire était absurde. Totalement folle. Et ma discussion avec Anny n'avait fait que confirmer mes craintes : rien ne pourrait annuler l'accord entre Logan et son père.

— Nous devons parler à ma tante. Elle est la seule à pouvoir raisonner mon oncle. Et, avec un peu de chance, elle saura qui est la future Mme Logan Cohnrad.

— Ça ne peut pas faire de mal... et quand prévois-tu de le faire ?

— Dimanche. Au repas de famille. Et tu seras mon invitée, annonça-t-elle d'un air résolu.

Texte de L.S. Martins (120 minutes chrono, sans relecture).

Image par Niek Verlaan de Pixabay