Épisode 61 : Lendemain de veille
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Épisode 61 : Lendemain de veille
Comme ils se sont endormis, comme ils se réveillent, malgré les heures de sommeil. Comme des nageurs échoués sur une berge après avoir lutté des heures contre le courant et la montée des eaux lors d'une inondation. Quelle heure est-il ? Ils n'en ont aucune idée. Ils savent juste qu'il fait encore jour - pour combien de temps ? - et que les torches ont brûlé toute la journée.
Ils ont à peine encore envie de bouger. Ils se sentent juste bien. Pas envie de parler, pas envie de rien faire. Il leur faut du temps avant de ressentir les premiers inconforts qui les poussent à se remuer et les sortent de leur torpeur.
Un regard, un sourire, un "bonjour", un baiser rapide. Premiers rituels d'un couple qui se réveille et qui commence sa journée. Siegfried tire sur la corde à la tête du lit selon un code précis, et des domestiques apportent et laissent devant la porte de quoi faire leur toilette, frappant trois coups avant de repartir. Pendant que Mélusine se recouvre d'un drap, Siegfried rentre le matériel tout en se dissimulant à moitié derrière la porte. C'est lui qui se lave le premier pendant que Mélusine, toujours dissimulée sous son drap, regarde ailleurs et se perd dans ses pensées. Puis, après avoir fait sa toilette à son tour pendant que Siegfried s'habille, Mélusine se rappelle qu'elle n'a plus rien à se mettre, au sens le plus littéral du terme.
- Les domestiques ont toujours laissé deux robes à toi dans la garde-robe depuis tout ce temps. Au cas où, je suppose.
Il sourit.
- Apparemment ils n'ont jamais cru que je tiendrais le coup aussi longtemps.
Quelques secondes de silence.
- Tu vois que je n'avais pas tout à fait tort quand je te disais que tout le monde sait depuis toujours ce que nous sommes vraiment l'un pour l'autre.
Il la regarde par en dessous, de ce regard légèrement taquin qui lui rappelle le Siegfried d'antan. Siegfried de Koerich et de Feulen. Le jeune seigneur affable et lumineux qui était attiré par son chant, qui venait lui demander son chemin et lui faire la causette dans sa grotte. Le jeune homme qui déposait ses armes à l'entrée et qui s'asseyait à distance pour ne pas l'effaroucher. Celui qui l'a demandée en mariage vingt-deux ans auparavant.
Une image qui se superpose au Siegfried d'âge mûr d'aujourd'hui. Siegfried de Lucilinburhuc. L'amant obscur qui la surprend dans l'ombre, qui lui déchire sa robe avec son épée d'apparat - d'apparat peut-être mais fonctionnelle quand même - et qui lui grave sa marque dans le cou avec l'équivalent d'un couteau.
Entre les deux, comme pour faire le pont, le fiancé qui voulait absolument lui construire un château, le mari qui lui a fait sept enfants, qui gouverne ce château et qui a fondé cette ville... et qui l'a reniée sept ans auparavant au nom d'un vœu expiatoire qu'aujourd'hui encore, elle ne comprend pas très bien. Le Siegfried de cette nuit qui vient de lui affirmer, il y a à peine quelques heures, que leur union est sacrée, au terme d'une invraisemblable nuit qu'elle n'aurait jamais crue possible.
Siegfried, c'est tous ces hommes ensemble, et chacun d'entre eux. C'est un Siegfried de Lucilinburhuc, vieillissant, avec ses traits creusés, ses plaques de cheveux blancs et son côté obscur, qui lui adresse le regard taquin, un peu joueur et affectueux du jeune Siegfried de Koerich avec ses cheveux châtain foncé, sa lumière et son innocence. C'est là qu'elle comprend qu'elle ne peut pas aimer, ou avoir aimé, Siegfried de Koerich, sans aimer aussi aujourd'hui Siegfried de Lucilinburhuc. Elle ne pourra pas aimer le plus lumineux sans aimer aussi le plus obscur. D'ailleurs le plus obscur, cette nuit, est entré dans son cœur. Et cette idée la rend grave et songeuse alors qu'elle enfile plus ou moins au hasard l'une des deux robes que les domestiques avaient laissées par précaution, à tout hasard, dans la garde-robe de ce qui fut autrefois leur chambre conjugale.
Sage précaution de leur part, soit dit en passant. Une précaution à laquelle aucun de leurs maîtres n'a jamais pensé. Tout de même frappante, cette idée que leurs domestiques, eux, n'ont jamais vraiment douté qu'ils redeviendraient un jour un couple comme avant. Tôt ou tard. Alors qu'eux-mêmes, chacun de leur côté et certes pour des raisons différentes, étaient persuadés que cela ne pourrait jamais être le cas... Qu'y a-t-il en eux qui semble frapper à ce point tout le monde extérieur mais qu'eux-mêmes ne remarquent pas ?...
Mélusine ramasse par terre sa robe déchirée qui traîne là depuis hier soir, l'étale sur le lit et évalue les dégâts. C'était pourtant une de ses préférées, mais elle est dans un tel état que toute réparation est inenvisageable. Dans le meilleur des cas, même confiée aux mains les plus expertes, toute recouture laisserait des traces, des cicatrices qui à elles toutes seules raconteraient l'histoire. D'ailleurs, oserait-elle même confier cette robe à des mains étrangères ? donc par le fait même à un regard étranger ?... Elle la replie rapidement et la fourre dans un drap qu'elle noue en besace. Tout comme elle remonte les draps à la hâte sur le lit.
- J'ai faim, pas toi ?
Oh si, elle aussi. Ils ont bien besoin de reprendre des forces après... De nouveau, la corde tirée selon un code pour qu'on leur monte une collation.
Elle a à peine envie de bouger, entre la fatigue de la veille, son corps zébré par la foudre et le souvenir de leurs gestes qu'elle se repasse dans la tête. Siegfried n'est pas beaucoup plus vaillant, mais il lui propose quand même de prendre l'air un moment sur le chemin de ronde. Elle accepte - ne serait-ce que pour voir à quel point la journée est avancée. Besoin de reprendre des repères. Peu de monde circule dans les couloirs, donc il se permet de lui passer le bras autour des épaules.
Dehors, le ciel est gris, plein de nuages dont la couleur blanche est étonnamment aveuglante. Mais d'après l'activité aux alentours, le soleil doit avoir bien dépassé son zénith.
En bas, dans la cour, leurs enfants sont en train de jouer. Ils se penchent tous les deux, côte à côte, pour les observer par-dessus le mur garde-fous, en prenant appui sur leurs coudes. Elle sourit de fierté.
- Les joyaux de nos couronnes.
- Les joyaux de notre couronne. Il n'y en a qu'une, et elle est sur nos deux têtes.
Elle se tourne vers lui, sourit, lui donne une petite tape sur l'épaule.
- Arrête, tu dis n'importe quoi.
Pour toute réponse, il lui passe le bras autour de la taille, et elle sent sa main la lui enserrer dans une prise possessive.
* * *
Qui es-tu, Siegfried ?
Tu blesses puis tu guéris.
Tu renies puis tu revendiques.
Tu tues, puis tu ressuscites.
Qui es-tu ? Que veux-tu ? Oui, que veux-tu au juste ?
Je t'aime malgré moi, mais si souvent j'ai du mal à te suivre.
Ressuscites-tu pour mieux tuer ?
Revendiques-tu pour mieux renier ?
Guéris-tu pour mieux blesser ?
Ne soulages-tu que pour faire encore plus mal ensuite ?
N'as-tu affirmé que notre union est sacrée que pour mieux la profaner un jour ?
Êtes-vous donc tous ainsi, vous les humains ?
Ton épée, de ton propre aveu, tu ne la maîtrises pas. Tu es pourtant si adroit, si habile, pour la manier. Et pourtant tu ne la maîtrises pas. Pourtant elle blesse, et même elle peut tuer, tu sais ça ?
Comment veux-tu que je te fasse confiance ? Pourtant j'aimerais tant le faire... et je finis toujours par le faire malgré moi. Sera-ce à chaque fois pour me retrouver une fois de plus sous le tranchant de ton épée ? Ou bien à sa pointe...
Pourquoi le creux de ton épaule est-il si accueillant ?
Pourquoi ta chaleur est-elle si douce ? Même pour moi, qui suis aguerrie au froid ?
Pourquoi ta voix sait-elle se faire si douce, elle aussi ?
Pourquoi tes bras savent-ils se faire si forts et si rassurants ?
Tu m'y accueilles, tu me dis que tu m'aimes, et oui, tu m'aimes, réellement, à ta façon...
Mais tu n'es pas prêt à aimer qui je suis vraiment.
Si tu sais tout de moi, tu t'enfuiras...
Tu ne le supporteras pas.
De nous deux, c'est toi le plus fragile, depuis toujours...
Toi qui pourtant as l'air si fort...
Je veux bien être ta louve, mon loup, et m'enrouler autour de ton cou pour te protéger des morsures de tes ennemis...
Mais moi aussi, j'ai besoin de me savoir à l'abri au creux de ta force...
Siegfried ?...
***
- Tu as l'air bien pensive, ma sirène...
- Ne m'appelle pas comme ça.
- Et pourquoi pas ? Je te l'ai dit cette nuit, tout en toi m'évoque une sirène.
Pourquoi pas ?... Parce que je suis réellement une sirène. Parce que si j'ai l'air humaine aux yeux de tous ici, c'est parce que je suis aussi fée et parce que j'use d'un sortilège. Parce que si un jour tu viens à savoir tout cela, d'un seul coup, tu me regarderas avec dégoût et tu te détourneras de moi. Tu me verras dans le camp du mal et tu me rejetteras. Et moi non plus je n'ai pas envie de te perdre, Siegfried... Même si t'aimer ressemble à se coucher sur un lit de roses dont on n'a pas enlevé les épines.
- Allez, viens là.
- Nous ne sommes pas seuls, Siegfried. Il y a du monde en bas.
- Alors suis-moi ici et viens là.
Il va s'appuyer un peu plus loin le dos contre le mur près de la porte, là où le garde-fous est plus haut et les cache des regards des gens qui s'affairent dans la cour. Alors elle se laisse aller dans le creux de son épaule. Quand l'a-t-elle jamais vu aussi détendu ? Calme ? Souriant ? Est-ce l'effet de la fatigue ? Ou bien de... Quoi qu'il en soit, c'est un moment de grâce. Un moment qu'on s'en voudrait de gâcher.
Musique : Taylor Swift - State Of Grace
Épisode 62 : Nuages
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos