Le Père Adalbéric, désemparé, s'approche d'elle. Sa réserve de prêtre lui interdit de la prendre dans ses bras ou de lui passer un bras autour des épaules, mais il lui saisit les poignets, tente de la consoler.

- Ne vous en faites pas, comtesse Mélusine. Ce n'est pas votre faute. Vous n'avez rien fait de mal. Au contraire, vous avez fait ce qu'il fallait. Par la grâce de Dieu, il regrettera son geste, et aussi les paroles si dures qu'il a eues envers vous... Tout cela va passer. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer, c'est tout... Je prie déjà pour que Dieu vous donne la force de résister à cette épreuve. Et je prie aussi pour qu'il fasse revenir le comte Siegfried de son égarement.

"Ce n'est qu'un mauvais moment à passer"... Je crois avoir déjà entendu cette phrase. Tout dernièrement en plus. Où était-ce encore ? Et qui le disait ? Ah oui. Mais bien sûr... En tout cas j'espère que vous prierez plus, cette fois-ci, ou mieux, ou les deux, ou alors que cette fois-ci vous aurez vraiment l'oreille de ce Dieu en qui vous croyez tous les deux et tout le monde semble croire ici... parce que si j'en juge par le résultat, vos prières jusqu'à présent n'ont guère été efficaces...

Le Père Adalbéric fait asseoir Mélusine sur une chaise, s'en va chercher des mouchoirs, lui en tend quelques-uns.

Mélusine met du temps à se calmer. Elle arrive à peine à se retenir de hurler à sa propre façon - à celle qui révèlerait immanquablement qui elle est.

Puis, une fois calmée - oh, si peu... - une fois capable de respirer, elle se lève et se tourne vers le Père Adalbéric.

- Merci d'être resté.

- C'était bien naturel. Je suis vraiment désolé de la façon dont les choses se sont passées.

Mélusine avale sa salive.

- Ce n'est pas grave. Ce n'est pas votre faute non plus.

- Si je peux me permettre... pour votre propre sécurité, faites chambre à part. C'est sans doute plus prudent.

Une pause, puis :

- J'y réfléchirai.

Elle avance vers la porte.

Mais au moment de sortir, elle se retourne.

- Ce n'est pas votre faute, Père Adalbéric. Mais maudit soit le moment où j'ai décidé de faire appel à vous pour m'aider.

Un moment de silence. Puis elle se retourne vers la porte.

- Merci quand même d'avoir essayé.

Puis elle sort.

Abattu, le Père Adalbéric se dirige vers la chapelle, trempe la main dans le bénitier, fait un signe de croix, remonte le transept puis va s'agenouiller sur un des bancs.

Lui aussi est désemparé. Il se dit que parfois, en essayant de réparer les choses ou de résoudre les problèmes, on fait encore plus de mal que de bien.

Il ne comprend pas ce qui s'est passé, pourquoi il a échoué, pourquoi il n'a pas réussi à convaincre le comte Siegfried. Cette tête de mule de comte Siegfried.

En plus, s'il y était arrivé, cela aurait probablement gagné dans le même mouvement la véritable conversion de la comtesse Mélusine. En voilà une qui a fait preuve de bien plus de compassion que bien de ces gens qui prétendent être de bons chrétiens. Pourquoi semble-t-elle avoir été punie plutôt que récompensée pour son courage héroïque ? Y aurait-il encore, là aussi, des éléments qui lui échappent ?...

En plus, il a fait, même très brièvement, connaissance avec Siggi le Fou. Une présentation dont il se serait bien passé, même si elle n'a pas eu la gravité spectaculaire à laquelle on aurait pu s'attendre. Même si - et cela lui étreint le cœur quand il y pense - la réaction extrême du comte Siegfried semble bien être le fait du vrai Siegfried, pas de Siggi le Fou...

Au moins cet entretien n'aura pas été tout à fait vain : même s'il n'y a été amené que contraint et forcé par l'enchaînement des événements, le comte Siegfried a bien fini par admettre qu'il a bel et bien quelque chose à cacher. Mais s'il faut en croire la façon dont il l'a avoué, et la façon dont la comtesse Mélusine a réagi, elle aussi semble cacher quelques secrets inavouables dans sa manche - et au total, la situation se complique au lieu de se simplifier.

Le Père Adalbéric se demande si tout bien réfléchi, il a eu raison de se laisser entraîner dans cette aventure, et où tout cela va les mener. Il prie Dieu de lui accorder la lumière et à lui-même, comme à eux tous, la paix.

Musique : Poolz - Consolation

Épisode 83: Échos et vibrations

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