Épisode 56 : Maturation
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Épisode 56 : Maturation
C'est effectivement loin d'être la première fois que Siegfried remet un aspirant rival à sa place. Les multiples longues tresses, les courbes sveltes, les formes élancées et les gestes fluides de Mélusine ont toujours attiré les convoitises.
Mais cela fait désormais bien des années qu'aucune scène comparable à celle d'aujourd'hui n'avait plus eu lieu.
La scène d'aujourd'hui, c'est le retour du Siegfried d'avant. Celui d'avant le coup de vieux. Celui d'avant la maladie, d'avant Koerich, d'avant ce vœu incompréhensible au nom duquel... non, ne plus repenser à ça. Aujourd'hui, c'est du passé.
Sauf que le Siegfried qui s'est manifesté aujourd'hui, lui aussi, a resurgi du passé.
Elle qui a toujours été sensible aux postures, elle a reconnu les siennes au combat à l'épée, et elle s'est souvenue à quel point elle a toujours aimé l'élégance de la tension qui s'en dégageait et le port de tête altier qui lui venait toujours naturellement à ces occasions-là. Mais ces dernières années, ces occasions-là, elles ne s'étaient plus guère produites. Plutôt même plus du tout. En grande partie grâce aux propres techniques d'évitement de Mélusine, il est vrai.
Elle non plus n'est plus la jeune fille étrangère perdue et sans défense d'autrefois. Elle a appris à prendre ses repères parmi les humains. Elle sait en général se débrouiller seule - il faut dire aussi que la vie et sa propre condition d'étrangère clandestine le lui ont enseigné. Devoir prendre les rênes pendant la maladie de Siegfried lui a aussi appris, jusqu'à un certain point, à se faire respecter.
Et puis, les combats d'honneur du genre de celui qui s'est produit aujourd'hui ont-ils encore vraiment un sens si Siegfried et elle ne sont plus un couple que par leur statut ? Que défend-il encore en l'occurrence ? à part sa propre image de vieux mâle encore capable de tenir un rival en respect et de ne pas se laisser évincer ? ni tromper surtout ?...
Même si elle est bien obligée de reconnaître que cette fois-ci, son intervention est tombée à pic et l'a bien soulagée, et qu'elle avait plutôt envie de lui dire "merci".
Mais elle est également honteuse de ne pas avoir mieux su se défendre elle-même. Elle constate qu'elle a encore beaucoup de choses à apprendre si elle veut pouvoir se défendre toute seule par ses propres moyens parmi les humains - et sans être obligée d'apprendre à manier le couteau ou l'épée. Elle préfère quelque chose de moins voyant.
Dans la nature, sa stratégie de défense, c'était la fuite, parce que son meilleur atout, c'est de nager vite. Mais le problème chez les humains, c'est que fuir n'est pas toujours une option. En tout cas pas dans sa condition.
Mais qui est prêt à lui transmettre les secrets d'une forme de défense qui lui paraît tellement plus appropriée à ce que leur couple est réellement devenu ? Après tout, n'ont-ils pas aussi tous les deux passé l'âge du chevalier servant et de la demoiselle en détresse ? Même si l'âge se décline différemment pour elle et pour lui ? Même si sa nature à elle - plus son sortilège... - la fait paraître beaucoup plus jeune que lui... et aussi que ce qu'elle est en réalité ?... Elle se désole de ne pas être devenue la femme indépendante - à défaut d'être la femme de pouvoir - qu'elle devrait normalement être après autant d'années d'une vie humaine adulte... et de n'avoir ici dû son salut qu'à l'intervention d'un homme plus que probablement moins soucieux d'elle à présent que de sa propre image.
Mais ce qui la met le plus en rage, c'est de sentir qu'elle pourrait bien à nouveau tomber pour lui. Précisément pour celui-là.
Bien sûr, elle le sait déjà, rester avec lui présente pour elle des avantages indéniables. Elle y a mûrement réfléchi. Le Bockfiels, sa propre nature, toutes ces choses. Les enfants aussi. Certes. Mais entre ça et... et... et replonger comme autrefois, il y a de la marge tout de même. La résistante en elle se fait professeur de savoir-vivre : il y a des choses qui sont ridicules... ou qui, tout simplement, ne se font pas. Voire les deux à la fois.
Et puis, peu importe la raison : replonger comme autrefois serait dangereux pour elle. Parce qu'aujourd'hui, les choses ne sont plus ce qu'elles étaient autrefois. C'est aussi simple que ça. Trop d'événements se sont produits, trop de temps s'est écoulé, trop de choses ont changé. On ne va pas contre les lois de la nature. On ne revient pas en arrière. On ne remonte pas le fleuve du temps. Alors à quoi bon se laisser impressionner par les postures altières de Siegfried au combat. Quel combat d'ailleurs, diraient les hommes : contre des adversaires même pas armés. Même si apparemment, les adversaires en question avaient sous-estimé sa disposition à réagir. Et surestimé aussi son accessibilité à elle.
Quoi qu'ils aient pu penser, les gens de l'extérieur se sont tous trompés sur leurs comptes à tous les deux. Elle-même n'est pas accessible et Siegfried a réagi - à l'évidence plus en vertu du code d'honneur de la seigneurie (et de la masculinité) qu'en vertu de ses sentiments ou de leur passion désormais éteinte. La réaction de Siegfried a bien arrangé Mélusine parce qu'une fois qu'on lui coupe le chemin de la fuite, faire le mort n'est pas toujours possible dans sa position et elle n'est pas (encore) suffisamment experte en stratégies de combat pour pouvoir s'en tirer toute seule. Et quand on ne sait pas se défendre par ses propres moyens, l'intervention de quelqu'un d'autre peut se révéler bienvenue pour sauver la situation. Voilà tout ce qui s'est passé. Tout le reste n'est que mots et suppositions, tous aussi vains les uns que les autres. Tout comme devrait rester vaine la tension altière des postures de Siegfried.
Tout comme devrait rester vaine, aussi, la pression silencieuse de sa main sur son épaule. Une pression qu'elle porte comme une marque depuis qu'elle l'a reçue. Une marque que, malgré elle, elle chérit. Une marque sur laquelle elle n'a pas pu s'empêcher de poser la main - non pas pour l'effacer comme on essuierait une tache ou une poussière, mais au contraire pour la protéger, pour l'abriter des regards, comme un trésor. Pour en prolonger l'effet, aussi. Une marque qui n'est pas celle du geste d'un frère soucieux qui aurait en même temps demandé à sa sœur si elle allait bien. Non. La marque d'un geste possessif, revendicatif. Celui d'un amant. Celui d'un époux. Un geste qu'il avait systématiquement autrefois après chaque incident de ce genre. Un geste d'autant plus précieux que cela fait maintenant des années qu'il s'interdit vis-à-vis d'elle tout geste d'affection - et tout geste tout court. À quand remonte la dernière fois qu'il l'a touchée ? Même effleurée juste par accident ?...
Et ce qui la rend tellement en colère contre elle-même - et contre lui aussi... - c'est qu'en s'éloignant, juste avant de disparaître derrière un bâtiment et de s'en aller vaquer à ses affaires, il s'est retourné vers elle. Et qu'il l'a vue faire... À ce moment-là, elle aurait tout donné pour se faire avaler par le Bockfiels sous leurs pieds. Elle a tenté de masquer sa réaction par un geste de confusion - sans avoir eu le courage de faire semblant de s'épousseter... - et avant de fermer les yeux pour ne plus voir la scène, elle a eu le temps de remarquer sa réaction. Il a souri. Il a compris. Et mouise... Elle a fermé les yeux. Quand elle les a rouverts, il avait disparu.
Et maintenant, la résistante en elle est en colère contre cette énamourée à l'eau de rose qui est aussi en elle et qui s'émerveille à ce point d'un geste qui ne rime plus à rien. Autrefois, oui, ce geste rimait à quelque chose. Mais plus maintenant. Et depuis longtemps.
La résistante en elle est aussi en colère contre lui pour ce geste. Pourquoi avoir besoin de tant d'hypocrisie ?... Ou alors, dans le meilleur des cas, pourquoi garder aujourd'hui des réflexes qui ont perdu toute raison d'être ? Pourquoi s'y abandonner sans réfléchir ? sans penser à l'effet qu'ils peuvent avoir sur leurs destinataires ? alors qu'on sait très bien qu'on n'en fera plus rien et qu'ils ne seront jamais suivis d'effet ?...
Musique : Whitesand - Strength Within
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos