Épisode 85 : Bilan
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Épisode 85 : Bilan
Étendue dans le bras de l'Alzette qui traverse sa grotte au creux du Bockfiels, Mélusine se repose. Elle retourne, pour quelques heures, à sa vraie nature de sirène. Aujourd'hui, c'est samedi. C'est son jour à elle.
Mélusine se repose, et elle pense aussi. Et en elle se rejoue, encore et encore, le même éternel conflit.
Elle pense à son mariage, à ce qu'est sa vie aujourd'hui. À sa relation avec Siegfried. Et toute une partie d'elle-même se demande si au lieu de prolonger artificiellement cette histoire qui n'en finit plus d'agoniser, elle ne ferait pas mieux de la laisser tout simplement mourir de sa belle mort.
Après tout, tout ne finit-il pas par mourir un jour dans l'univers ? Le mort ne nourrit-il pas le vivant ? L'ancien qui s'en va ne laisse-t-il pas la place à quelque chose de nouveau et, sinon de meilleur, du moins de plus adapté à la réalité du moment ? C'est la loi générale de l'univers. Même dans la religion des humains qu'elle fréquente, ne dit-on pas, si elle se souvient bien de ce qu'elle en a entendu, que "si le grain ne meurt en terre, jamais il ne pourra donner du fruit" ?
Alors pourquoi s'échiner à toute force à maintenir le brillant du reflet d'une histoire qui pâlit inexorablement ? Pourquoi ne pas plutôt laisser ce reflet pâlir naturellement et s'effacer en paix ?... Certes, mourir, sur le moment même, c'est une douleur atroce, mais comme d'autres le lui ont déjà dit, c'est juste un mauvais moment à passer. Ça fait très mal juste pour un moment, et tout de suite après tout est fini. On ne sent plus rien.
L'avantage avec ce qui est mort, c'est que ça repose en paix. Ça appartient au passé et ça y reste. On en prend juste ce qui est utile, on l'emporte avec soi, et on laisse de côté tout le reste qui ne sert plus à rien. On ne prend que ce qui est utile, ce qui aide à avancer, et avec ça dans ses bagages devenus plus légers, on continue sa route. On s'occupe du présent et on prépare le futur. On vit le présent et on se tourne vers l'avenir. Sans être retenu par le passé comme par un fil à la patte ou par un hameçon. Tout le malheur du monde ne vient-il pas de ce qu'on cherche à toute force à retenir ce qu'on devrait au contraire laisser partir ? Ne vient-il pas de l'incapacité à lâcher prise et à accepter que la seule chose permanente dans l'univers, c'est le changement ? Ne vient-il pas de l'incapacité d'accepter que dans le monde, tout passe et ne fait que passer ? Que toutes choses changent et se transforment ?
Alors, au lieu de s'accrocher à toute force à son histoire avec Siegfried, qui ne fait que s'effilocher avec le temps qui passe malgré tous leurs efforts, ne devait-elle pas plutôt la laisser se terminer et passer à autre chose ? Ne serait-elle pas ainsi beaucoup plus en paix ?
C'est là qu'elle se demande pourquoi elle tient tellement à s'accrocher à cette histoire qui n'en finit pas de mourir.
En tout cas, ce n'est pas parce que cette histoire la rend particulièrement heureuse en ce moment. Si c'était le cas, c'est une question qu'elle ne se poserait même pas.
Alors oui, certes, il y a l'attirance qu'elle a toujours éprouvée pour Siegfried, attirance réciproque d'ailleurs, et il y a ce fluide entre eux qui persiste à travers les années. Mais si elle veut être de bon compte, il lui faut bien reconnaître que sa puissance n'est plus que l'ombre de ce qu'elle fut, malgré quelques épisodiques mais épiques retours de flamme. Elle doit bien admettre que leur relation d'aujourd'hui n'est plus que l'ombre de la passion d'autrefois.
Certes, sept enfants, un château, la naissance et le développement de toute une ville à gérer, une intégration problématique parmi les humains, de lourds secrets de part et d'autre et les problèmes de couple qu'ils ont générés sont passés par là, et il est indéniable que tout cela, au cours des années, a prélevé son tribut sur l'amour qui régnait entre eux au départ.
Tant qu'elle y est, autant faire le tri dans tous ces bagages.
S'il y a bien une chose qu'elle ne regrettera en aucun cas, c'est bien sa (non-)intégration dans la société des humains. Si elle a vécu parmi eux, c'est uniquement parce qu'elle a voulu suivre Siegfried et que c'était le prix à payer pour pouvoir le faire. Mais à part Geerty, et peut-être aussi le Père Adalbéric - les seuls à avoir fait preuve envers elle d'un peu d'empathie et de solidarité, et à qui elle pourrait peut-être manquer - elle n'y regrettera personne et elle les oubliera tous bien volontiers. Elle est certaine de toute façon que le plaisir sera réciproque. Ils seront aussi contents de la voir partir qu'elle sera contente de s'en aller. Probablement même encore plus.
Le château sera une autre chose qu'elle ne regrettera pas. D'autant moins s'il est lié au secret de Siegfried et à tous les problèmes qu'il leur a occasionnés.
La ville de Lucilinburhuc, par contre, si elle ne peut pas dire que c'était à proprement parler leur création - après tout, elle est née et s'est développée à l'ombre de ce fichu château et à cause de lui - elle peut quand même dire que d'une certaine manière, ils l'ont construite ensemble. En tout cas ils ont largement contribué à faire d'elle ce qu'elle est aujourd'hui. Et oui, c'est vrai, elle n'est pas peu fière d'y avoir mis la main. Mélusine ne laissera pas Lucilinburhuc derrière elle sans verser au moins une petite larme. Elle fait partie de ce qu'elle et Siegfried ont construit ensemble.
Mais l'essentiel de ce qu'ils ont construit, bien sûr, c'est leur famille. Ce sont leurs enfants.
Elle n'en est pas peu fière, et lui non plus. Trois fils et quatre filles. Tous et toutes bien formés, en bonne santé, pleins de vitalité et avec toute la vie devant eux et un monde de perspectives qui leur ouvrent tout grand les bras. Mais même si partir, ce serait les abandonner et que cela ferait d'elle aux yeux de tous et de sa propre conscience une mère indigne, elle ne se fait aucune illusion sur son indispensabilité auprès d'eux tous. Les cadets ont grandi et atteignent l'âge où ils iront dans des pensionnats et autres institutions parfaire leur éducation, approfondir leur instruction et y apprendre bien des choses que d'autres leur enseigneront bien mieux qu'elle-même pourra jamais le faire, dans des matières dont elle-même ne connaît rien ou alors pas grand-chose et certainement bien moins que ce qu'ils auront besoin d'en savoir. Les aînés, eux, sont déjà autonomes. Ils ont atteint la vingtaine, ou s'en approchent, et tout ce qu'ils attendent encore est un bon parti pour se marier, fonder leur propre foyer et faire leur chemin dans le monde. Mais là, ce n'est certainement pas elle, l'exclue, la rejetée, la réprouvée, la mise sur le côté, avec son cercle de relations inexistant ou alors juste pour la forme, qui pourrait les y aider. Il ne faut pas se faire d'illusions : mis à part les sentiments, mis à part l'amour, l'affection et la vénération que des enfants peuvent avoir pour leur mère, pour tout le reste, elle ne leur manquera pas. Et combien d'enfants chez les humains - comme dans la nature aussi d'ailleurs - perdent leur mère très jeunes et sont bien obligés de se débrouiller avec ça ? Et pourtant ils y survivent - et même, à vrai dire, très bien.
Alors, tout cela une fois trié, que reste-t-il ?
Il reste Siegfried.
Il reste leur couple. Avec tous les problèmes qu'il a rencontrés au cours du temps, et qu'il rencontre encore aujourd'hui.
Il reste, selon la formule du prêtre qui les a unis, "les liens sacrés du mariage" et la promesse qu'ils ont faite dans une cérémonie ad hoc de "s'aimer, se chérir, se soutenir mutuellement et se prêter aide et assistance dans l'épreuve et dans la joie, dans la richesse et dans la pauvreté, dans la santé et dans la maladie, jusqu'à ce que la mort les sépare".
Il reste leurs sentiments. Il reste leur amour.
Il reste leur fluide qui les colle malgré eux l'un à l'autre.
Il reste le fait qu'envers et contre tout, quand l'un souffre, l'autre souffre aussi.
En un mot, comme Siegfried l'a dit plus de deux ans auparavant, il y a leur lien sacré. Leur lien indéfectible, malgré les problèmes et au-delà d'eux. Ce lien sacré au-delà même du fait que le mariage en soi est sacré. Au moins pour les humains. Au moins d'après ce qu'ils en disent.
Ce lien qui serait là même s'ils n'étaient pas mariés selon les us et coutumes en cours.
Ce lien qui fait qu'envers et contre tout, ils sont encore toujours ensemble et que, même si ce n'est plus que par intermittence, ils sont encore toujours un couple, amants et pas frère et sœur.
Lien indéfectible. Lien sacré ? Ou lien maudit ?
Ou lien maudit parce que sans lui, ils pourraient tous les deux sans grand problème laisser filer et mettre fin à une relation qui, il faut bien le dire, ne les rend plus heureux et ne les satisfait plus vraiment ?
Ce qu'ils ont construit ensemble leur survivra. Ce qu'ils ont construit n'a plus besoin d'eux pour subsister. Le château ne va pas s'écrouler. Lucilinburhuc ne va pas disparaître. Leurs enfants ne vont pas mourir. Lucilinburhuc continuera de croître et de prospérer, la Petite Forteresse se dressera toujours en haut du Bockfiels pour veiller sur elle, et leurs enfants seront là pour prendre le relais, pour veiller sur leur comté et étendre son influence. Et pour avoir à leur tour des enfants qui eux aussi, le jour venu, continueront leur œuvre.
Et de toute façon, un jour ou l'autre, tôt ou tard, Siegfried et elle finiront bien par mourir. Siegfried bien avant elle, d'ailleurs, vu la longévité des humains par rapport à la sienne. Et ce jour-là, de toute façon, il vaudra mieux qu'elle-même disparaisse si elle ne veut pas que la sienne, de longévité, commence à attirer les soupçons sur sa véritable nature.
Reste donc Siegfried lui-même. Leur relation. Leur lien. Leur promesse.
Finalement, si elle reste, si elle s'accroche, c'est surtout pour ça.
Pour une relation en ruines.
Ou pour une relation aux allures d'oiseau phénix, qui n'en finit pas de se consumer puis de renaître de ses cendres...
Pour un lien sacré qui est autant une malédiction qu'une bénédiction.
Pour une promesse qui les enchaîne autant qu'elle les protège.
Pour un lien de roses et d'épines...
Jusques à quand ?...
Siegfried la regretterait-il longtemps si elle devait disparaître ?...
Combien de temps prendrait-il avant de se consoler dans les bras d'une autre ?...
Les humains ne sont-ils pas inconstants ? Surtout les hommes (mais les femmes aussi) ?...
Les humains, à la longévité si brève et aux pouvoirs si limités, ont-ils vraiment les épaules qu'il faut pour pouvoir supporter la charge des amours éternelles dont ils n'arrêtent pas de rêver ?...
Ce n'est pas ce qu'elle a observé en regardant autour d'elle.
Les humains, elle les a surtout vus querelleurs, grincheux, malheureux et frustrés.
Siegfried est-il vraiment si différent, au fond ?
Est-il autre chose qu'un grand rêveur dont les capacités réelles ne lui permettent pas de supporter la grandeur de ses rêves ?
Est-il autre chose qu'un grand rêveur à qui la réalisation de ses rêves écorche des épaules trop peu solides pour en supporter le poids ?
Un rêveur au cœur sincère, pourtant... bien plus sincère que beaucoup d'autres... Elle le sait. Elle le connaît assez intimement pour le savoir. Le corps ne ment pas. Le corps ne ment jamais. Et ses paroles n'ont jamais menti non plus.
Du moins quand c'était lui-même qui parlait en son propre nom...
Mais n'est-il pas rattrapé, lui aussi, comme les autres humains, et aussi comme tout ce qui vit, par la nécessité de survivre ?...
Depuis toutes ces années, Siegfried ne lutte-t-il pas pour survivre ? pour se tirer d'un mauvais pas qui menace sa survie à un point tel qu'il ne peut même pas lui dire à elle, ni à quiconque, de quoi il s'agit ?
La vie cherche-t-elle autre chose, finalement, que se survivre à elle-même ?...
Musique : Kelela - Raven
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos