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Épisode 15 : Obscurité rampante

Épisode 15 : Obscurité rampante

Veröffentlicht am 17, Dez., 2024 Aktualisiert am 17, Dez., 2024 Tale
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Épisode 15 : Obscurité rampante

Mélusine n'a jamais vraiment compris les tenants et les aboutissants des efforts de Siegfried à propos de ce château pendant leurs quelques mois de fiançailles, mais s'il y a bien une chose qu'elle ne comprend toujours pas aujourd'hui, c'est comment la Petite Forteresse où ils habitent aujourd'hui a bien pu être érigée en une seule nuit.

Elle a vu la ville se construire, cette ville que les humains appellent aujourd'hui Lucilinburhuc, du nom de la forteresse. Elle a vu les humains construire cette ville de leurs mains et de leurs outils. Les bâtiments qui la composent ne sont pas aussi impressionnants que ce château, aussi petit a-t-il la réputation d'être pour un château, mais il y a une chose qu'elle a vue, de ses deux yeux vue, et c'est que pas un seul de ces bâtiments ne fut construit en une seule nuit. Ni en un seul jour non plus. D'ailleurs, on construisait ces bâtiments-là de la journée, pas pendant la nuit. La lumière de la lune n'aurait jamais suffi à éclairer les travaux, même quand elle était pleine. La lumière des étoiles, n'en parlons pas.

Or s'il est une chose frappante concernant ce château, c'est que non seulement il s'est construit pendant la nuit, et qu'une seule y a suffi, mais qu'en plus, la nuit pendant laquelle il s'est construit - car on ne l'a pas construit, il s'est construit - était particulièrement opaque, obscure, et même dense. On ne voyait ni lune, ni étoiles, ni lumières quelconques d'origine humaine, ni bougies ni flambeaux - rien. Pas même en reflets dans le brouillard. D'ailleurs, il n'y avait même pas de brouillard, elle ne se rappelle pas en avoir senti sur sa peau l'humidité caractéristique. Il y avait juste cette noirceur qui étouffait jusqu'aux sons.

Même la rivière souterraine qui traversait sa grotte semblait figée et ne faisait pas le moindre bruit. Impossible de voir même au bout de son propre nez. On se serait cru sous terre même si on était dehors. Et non seulement on se serait cru sous la terre, mais on aurait presque cru respirer de la terre. On aurait pu se faire attaquer par un renard, un cerf ou un sanglier et ne même pas pouvoir crier - ni de douleur, ni de détresse, ni pour donner l'alerte. On n'osait même pas ouvrir la bouche tant on était sûr que l'on risquait d'avaler de la terre. Et puis l'odeur était bizarre. Elle n'en avait jamais senti de pareille. Ce n'était ni du déchet, ni de la pourriture, mais ça sentait mauvais. Elle n'aurait même pas pu dire ce que c'était.

Mélusine cette nuit-là avait préféré se terrer au fond de la grotte, espérant se mettre à l'abri d'elle ne savait trop quoi. Car c'était bien ça le pire : elle avait peur, mais sans savoir de quoi ni sous quelle forme ça pouvait se manifester. Ni comment elle pourrait y échapper si ça se manifestait.

Et Siegfried n'était même pas là pour la défendre ni pour la rassurer. S'il lui était arrivé quoi ce ce soit, il aurait pu ne jamais rien en savoir. Elle aurait pu avoir été engloutie dans le ventre d'un monstre, ou même de la terre. Sans laisser de trace. Elle n'aurait plus été, au mieux ou au pire, si jamais elle en était sortie, que l'un de ces déchets que les animaux laissent sur leur passage quand ils ont fini leur digestion. Qui aurait vu là-dedans Mélusine, sinon avec dégoût s'il réussissait à l'y voir ? Sa substance aurait passé le reste du temps du monde à nourrir tout le vivant. Qui l'aurait encore vue ? Qui l'aurait reconnue ? Qui aurait jamais pu la sortir de là et la rendre à elle-même ? Qui aurait même eu envie de le faire ? Qui en aurait même l'idée ? Qui aurait pensé qu'elle, ou même quelqu'un comme elle, pouvait constituer désormais une partie de telles matières ?...

Elle pouvait déjà l'imaginer à l'époque, ce destin-là, elle qui dépend d'un sortilège pour rester elle-même et qui sait qu'elle passera de nombreuses années encore à vivre sur le fil d'un couteau. Elle qui doit garder son sortilège secret et qui sait que si quiconque perce à jour son secret - et surtout Siegfried... - une grande catastrophe arrivera, à laquelle elle ne survivra pas.

Elle n'avait jamais autant tremblé, jamais eu autant envie de pleurer, de crier, d'appeler à l'aide. Mais son instinct, plus fort encore que sa peur, lui avait fait étouffer ses cris et ses pleurs. À se demander comment c'était encore possible avec toute cette peur. Avec son corps qui tremblait de froid comme il ne l'avait jamais fait - elle qui d'habitude supportait si bien le froid - avec son sang qui se glaçait littéralement dans ses veines, ce nœud coulant qui lui enserrait l'estomac et qui l'étouffait.

Sans comprendre ni comment ni pourquoi, elle savait que sa survie dépendait de son immobilité et de son silence. Rester recroquevillée pour garder un peu de chaleur. Retenir son souffle. Surtout ne pas se faire repérer. Parfois il faut se battre. Parfois il faut fuir. Mais parfois aussi, il faut faire le mort. Attendre que ça passe. Et ne pas se poser de questions. Les souris savent faire ça. Les renards savent faire ça. Heureusement pour elle que contrairement aux humains, elle peut se contenter de suivre son instinct sans gaspiller ses ressources à se demander le pourquoi du comment ni le comment du pourquoi.

Elle savait juste qu'il n'y avait qu'une seule chose à faire : attendre. Juste être patiente. Tenir plus longtemps que durerait la nuit. C'était une guerre d'usure. La perdante serait celle qui cèderait la première, d'elle ou de la nuit. La nuit avait cédé. La première. Le matin était venu. Mélusine avait gagné.


Musique : Doom


Épisode 16 : L'obscurité au cœur de la lumière


Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos

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