Partie 2 : La remise en question - Chap. 10 : La migration - Sct. IV : Les différents visages de la migration... - Sqc. c : De nouveaux concepts ?
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Partie 2 : La remise en question - Chap. 10 : La migration - Sct. IV : Les différents visages de la migration... - Sqc. c : De nouveaux concepts ?
Comme, après un examen un peu plus approfondi, aucun des fils conducteurs qui a priori me paraissaient pertinents n'apportait de réponse satisfaisante à ma question ("pourquoi un même comportement qui est généralement considéré comme posant problème est-il bien accepté de certains migrants mais reproché à d'autres ?"), j'en suis revenue à la recherche de nouveaux concepts plus appropriés, et j'ai donc tenté de prendre la question par un autre bout, de l'envisager sous un autre angle qui se révèlerait peut-être plus éclairant.
Une tentative de classification pour y voir plus clair
Comme la question me paraissait à ce stade trop complexe pour pouvoir se résoudre par une équation simple, j'ai tenté de regrouper les différentes catégories de migrants au sein d'une classification, en me disant qu'ainsi j'y verrais peut-être un peu plus clair. La répartition que j'ai alors essayée est la suivante :
- la migration par choix de vie : les "réfugiés culturels", les réfugiés politiques : ceux qui votent avec leurs pieds ou avec leur passeport, et qui sont en général bien acceptés, voire revendiqués, par les autochtones du pays d'accueil parce qu'ils ont dès le départ la volonté de s'intégrer et qu'ils le sont même déjà plus qu'à moitié bien avant de se mettre en route : pour ceux-là la migration est une histoire d'amour entre eux et un pays, entre eux et une culture, entre eux et un système, entre eux et un mode de vie (avec tous les illogismes apparents, toute l'incompréhension de la part du monde extérieur, toutes les illusions et toutes les déceptions qui peuvent être liés à une histoire d'amour) - inutile de préciser qu'il ne s'agit là que d'une minorité, voire d'une exception très rare même si elle est spectaculaire, peut-être justement d'autant plus spectaculaire qu'elle est rare
- la migration invasive : les colons et les armées d'occupation, les ressortissants de puissances occupantes et les administrations d'occupation, dont le but est d'investir le pays d'"accueil" (le mot "accueil" étant évidemment entre guillemets dans ce cas-ci) et d'exploiter ses ressources, et qui sont par conséquent combattus et rejetés par les autochtones (et "dominants" certes mais pas toujours forcément "riches" pour la cause : au contraire, ils y recherchent des ressources et une richesse qu'ils n'ont pas dans leur pays d'origine, ne serait-ce que du simple espace vital - qui est déjà une richesse à lui tout seul, il suffit de regarder les prix du foncier pour s'en convaincre)
- la migration touristique : les "retraités au soleil", les "van lifers', les "globe-trotters" : des touristes de longue durée dont le but est de profiter de la vie et de voir du pays (cela comprend aussi les stars qui finissent leur vie à Gstaad, même si Gstaad est plus à la neige qu'au soleil) (et c'est clair qu'il faut bénéficier d'une "richesse" au moins relative pour pouvoir se le permettre, au moins par rapport au pays d'accueil si pas par rapport au pays d'origine, même si le cas des "retraités au soleil" montre qu'il s'agit là d'un comportement qui se démocratise et qui est donc probablement appelé à se répandre)
- tout le reste (et l'immense majorité) étant une migration liée au travail et à la recherche d'une vie meilleure (donc une migration "dominée") (et certains parleront à leur sujet de "réfugiés économiques", en faisant allusion à certains candidats "réfugiés politiques" qui demandent l'asile sans réellement subir de persécutions dans leurs pays au départ mais en tirant parti des différences d'orientation politique entre leur pays d'origine et leur pays-cible et qui, en réalité, sont des travailleurs migrants qui tentent de contourner l'arrêt de l'immigration dans certains pays qui, malgré "la crise" qui sévit et perdure, continuent de passer pour des Eldorados dans beaucoup d'autres pays du monde)
Parmi ceux-ci, on peut distinguer :
- les migrants détachés, "enkystés" dans la société du pays d'accueil (base militaire alliée) ou non (travailleurs de haut niveau - diplomates, fonctionnaires internationaux, cadres de multinationales, chercheurs, professeurs d'université - et travailleurs de l'humanitaire), qui sont envoyés dans leur pays d'accueil soit par une instance ou l'autre de leur pays d'origine - une société privée, une administration publique ou une organisation non gouvernementale - soit par une instance supra-nationale qui chapeaute à la fois leur pays d'origine, leur pays d'accueil et souvent aussi quelques autres avec eux (ONU, UE et leurs différentes agences, et toutes les différentes associations politiques, économiques, culturelles ou même militaires entre pays) - qui à ce titre font leur petite popote dans leur coin sans vraiment s'occuper des affaires de leur pays d'accueil, qui savent dès le départ que sauf accident de la vie, ils ne sont pas appelés à y rester jusqu'à leur décès ni même jusqu'à leur retraite et que leur situation est dès le départ organisée pour n'être que provisoire, même s'il s'agit d'un provisoire de longue durée : il ne prévoient de rester qu'à moyen terme (et puisqu'ils n'interfèrent pas avec les affaires du pays d'accueil, qu'ils ne s'y intéressent d'ailleurs au plus que de très loin, qu'ils se contentent de se mêler de leurs affaires et qu'ils ne sont pas là pour rester, ils sont relativement bien tolérés par les autochtones, d'autant mieux qu'étant relativement bien payés, ils contribuent la plupart du temps à faire tourner le commerce, donc l'économie, du pays d'accueil, même si on leur reproche parfois aussi de contribuer à la hausse des prix, notamment dans l'immobilier - les migrants détachés sont donc souvent des migrants "riches" parce que bien payés)
- les migrants recrutés (migrants "pauvres" mais pas que, sur base de la publication d'une annonce d'offre d'emploi - certains sont des migrants "riches" (par exemple les chefs de projets internationaux) mais malgré cela leur problématique est la même, et c'est le cas par excellence qui montre qu'une distinction entre migrants "riches" et migrants "pauvres" n'est pas vraiment pertinente) qui arrivent dans leur pays d'accueil parce qu'une instance de ce pays les y a appelés, le plus souvent une société privée même si les instances gouvernementales de part et d'autre ont parfois accompagné le processus (comme ça s'est passé en Europe pendant les Trente Glorieuses par exemple)
- les migrants spontanés (migrants "pauvres" que personne n'a envoyés ni appelés à l'étranger mais qui émigrent de leur propre initiative pour se chercher d'eux-mêmes de meilleures opportunités et une vie meilleure (légalement ou clandestinement), ou candidats chefs d'entreprise qui recherchent un environnement économique et administratif favorable)
J'ai ajouté à ce tableau encore une catégorie :
- la migration regroupée, qui en fait traverse toutes celles que je viens d'évoquer, liées ou non à la recherche de travail : il s'agit de tous ceux, conjoints, enfants et familles, qui suivent un migrant dans sa migration quel qu'en soit le mode et quelle qu'en soit la raison en vertu de leur lien conjugal, parental, filial, fraternel ou autrement familial avec lui, sans avoir nécessairement choisi de migrer eux-mêmes mais en s'adaptant à la situation, parfois en y adhérant eux-mêmes et parfois non, mais toujours en essayant d'en tirer le meilleur parti possible.
On peut encore compléter en y ajoutant :
- la migration culturelle : les étudiants étrangers, qui viennent pour faire ou pour compléter leurs études, qui sont en principe censés retourner dans leur pays d'origine une fois leur diplôme obtenu, mais qui parfois, et pas si rarement que ça, trouvent des opportunités d'emploi et/ou un partenaire de vie dans leur pays d'accueil, ce qui leur permet de s'y installer et d'y faire souche en y étant bien acceptés - ou bien, en sens inverse, des autochtones du pays d'accueil qui rencontrent un(e) étudiant(e) étranger (ou étrangère), qui en font leur conjoint(e) et qui décident de le (la) suivre dans son pays d'origine où ils feront leur vie ensemble.
Tout cela, c'est très beau et c'est très bien. Mais même si, sans encore être parfait, cela rend compte de la migration d'une manière qui jusqu'à présent, me paraît exhaustive et surtout selon des catégories beaucoup plus pertinentes pour ce qui est d'expliquer pourquoi les mêmes différences sont acceptées chez les uns mais pas chez les autres, tout cela reste encore fort descriptif. Descriptif, certes - mais pas explicatif. Parce que tout ce descriptif n'explique pas toute la grogne qui peut encore subsister entre les migrants et les autochtones - les premiers reprochant aux seconds de ne pas leur donner leur chance et les seconds reprochant aux premiers de ne pas faire d'efforts pour s'intégrer - et parce qu'il n'explique pas vraiment non plus où le bât blesse en matière d'intégration.
La complexité engendre la confusion
Parce que certes, une classification est moins confuse qu'une simple énumération - mais aussi parce qu'une classification, ça reste malgré tout assez complexe. D'abord, même si elle est moins longue et avec ça moins lourde, une classification reste quand même toujours une énumération. Ensuite, elle donne encore toujours lieu à des explications selon les cas d'espèce, ce qui continue à donner de la situation une image assez complexe. Et d'une image complexe, il est difficile d'attendre une explication simple. On reste quand même encore toujours dans quelque chose d'assez obscur et de passablement embrouillé de par sa complexité. Il est impossible, ou à tout le moins difficile, de dégager une logique commune qui puisse rendre compte de la différence de traitement qui me pose queston et d'y donner une explication cohérente.
Bien sûr, on peut commencer par dire que les "migrants par choix" "réfugiés culturels" sont en général accueillis à bras ouverts (comment ne le seraient-ils pas puisqu'ils ont choisi leur pays d'accueil selon des critères bien précis dont l'intérêt économique venait tout en bas de la liste si même il y figurait - comment n'ouvrirait-on pas tout grands les bras quand on a été pratiquement choisi par amour ?), que la "migration invasive" quant à elle est totalement rejetée voir activement combattue (tout commentaire à ce sujet étant superflu tant la chose tombe sous le sens), que la "migration touristique" est en général bien tolérée (à partir du moment où l'on ne trouve pas matière a se méfier de populations nomades souvent soupçonnées de délinquance), que les "migrants détachés" sont certes bien tolérés mais sans plus, que les "migrants culturels" sont les mieux intégrés de tous avec les "réfugiés culturels" "migrants par choix", que les "migrants recrutés" font l'objet d'une réaction ambivalente parce que s'ils ont été recrutés dans un contexte où il y avait des besoins, ils ne l'ont pas été par toute la population dans son ensemble et ils ont aussi été utilisés comme des pions dans le cadre d'une lutte des classes, que la "migration regroupée" est tolérée comme un moindre mal plus qu'autre chose et que la "migration spontanée" n'est souhaitée par aucun autochtone - à part les "négriers" trop contents de pouvoir exploiter des sans-papiers - mais qu'elle est inévitable quand elle vient de pays où les gens ordinaires n'ont aucune perspective d'avenir et que tout le monde a le droit de se chercher un avenir et une vie meilleure, à moins qu'on les ait attirés en tant qu'entrepreneurs dans l'espoir de bénéficier de leurs services ou des dividendes de leurs entreprises parce qu'on y aura investi.
C'est certes déjà un peu moins obscur... mais c'est encore toujours passablement embrouillé. Et en ayant approfondi pour mon propre compte l'analyse de chaque type de migration et des réactions qu'elle suscite (ce dont je vous fais grâce ici), je me suis aperçue qu'en réalité, le petit résumé de mon paragraphe précédent est encore bien sommaire et qu'il ne rend pas encore vraiment compte de toute la réalité. On est encore toujours sur une gamme de réactions complexes et parfois ambivalentes, dans laquelle il reste difficile de discerner un fil conducteur.
Crédit image : © exposition "Foules", Paris, 2023
Surf Xi 1 mese fa
Je tente une question sur la compréhension de votre question à vous [ne vous sentez pas tenue d'y répondre directement ; j'apprécie de lire le feuilleton de votre recherche et de découvrir au fur et à mesure où cela mène :-]
Quelles sont les catégories de 'mêmes comportements' acceptés (ou pas) ?
Quelles sont les catégories de personnes qui 'considèrent généralement' (ou pas) ?
Quels sont les catégories de 'problèmes' bien acceptés (ou pas)
Quelles sont les catégories de personnes qui les acceptent (ou pas) ? si différentes des personnes qui 'considèrent généralement'
Systématiser votre démarche mènerait peut-être à chercher/trouver des relations [au sens d'une théorie mathématique des ensembles/graphes] entre toutes ces catégories [ce qui serait plus une démarche d'informaticien que de sage, je le reconnais :-]
Arthyyr 1 mese fa
J'avais un peu de retard à rattraper sur l'ensemble de ces textes. Bravo pour le travail de synthèse, d'analyse et de classification (voire presque de modélisation). Et bravo également pour la qualité de la rédaction qui impose le respect, que l'on soit en phase ou pas avec les propos (j'ai croisé un échange intéressant en commentaire d'un des chapitres d'ailleurs 😊. "Agree to desagree", j'adore cette expression.) Merci pour ces partages Jackie.
Jackie H 1 mese fa
Merci à vous Arthyyr, votre retour m'encourage à continuer 🙂