Partie 2 : La remise en question - Chap. 11 : La fragilité des chaînes de valeur - Sct. II : De nouvelles habitudes
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Partie 2 : La remise en question - Chap. 11 : La fragilité des chaînes de valeur - Sct. II : De nouvelles habitudes
S'il y a bien une chose qui a été jugée positive par beaucoup de gens aux tout débuts du confinement, c'est bien la disparition des sempiternels bouchons des heures de pointe. Enfin le silence, enfin le calme, enfin la zénitude, fini le bruit, fini le stress... et fini la pollution. Des paysages qui avaient disparu sous le smog depuis des années, voire des décennies, redevenaient visibles en quelques semaines dans un air limpide (ce qui témoignait de l'extraordinaire résilience de la nature), et leurs photos faisaient le tour des réseaux sociaux. Et puis, que c'était beau un ciel bleu tout pur sans traînées d'avion (quelle que soit leur cause).
C'est là qu'une idée pas vraiment nouvelle, qui couvait depuis l'avènement de l'Internet (et qui était déjà mise en œuvre par les travailleurs freelance) mais qui avait du mal à faire son chemin dans le monde du travail salarié, a enfin réussi une percée majeure : le télétravail.
Télétravail
C'est à ce moment-là que la langue française a inventé deux nouveaux mots pour définir deux façons distinctes d'exercer son activité professionnelle : en "présentiel", c'est-à-dire physiquement présent sur son lieu de travail, à l'ancienne comme au bon vieux temps - en réel pourrait-on dire, en matériel en tout cas - et en "distanciel", c'est-à-dire en virtuel depuis chez soi (ou depuis tout autre lieu), via ordinateur (ou smartphone) et Internet, comme des gens modernes du vingt-et-unième siècle (remarquons d'ailleurs dans les deux cas l'usage du suffixe -ciel comme dans "logiciel")(et si j'hésite à dire "en réel" pour le travail en présentiel, c'est parce que ceux qui travaillent en distanciel fournissent eux aussi un travail bien réel et que je ne voudrais surtout pas sous-entendre que ce n'est pas le cas - parole d'ex-travailleuse free-lance en distanciel bien avant le COVID).
Certes, le télétravail fait partie des solutions possibles au problème de la congestion du trafic aux heures de pointe, donc à celui de la pollution, atmosphérique certes mais aussi sonore, sans parler du stress qu'il occasionne à tous ceux qui y sont coincés ("je vais être en retard", "ça n'avance pas", "je perds mon temps ici - quand je pense à tout ce que je pourrais faire d'utile pendant le temps que je perds à être coincé(e) ici alors que j'ai tant de choses à faire et que je n'arrête pas de courir de rendez-vous en deadline et de tout faire pour optimiser mon emploi du temps parce que je n'en ai déjà pas assez pour arriver à faire tout ce que je dois faire"), mais il est évident que tous les métiers ne peuvent pas s'exercer en distanciel (quid de l'agriculture ? de l'élevage ? des usines de production ? de la restauration ? du bâtiment et des travaux publics ? des cliniques et hôpitaux ? par exemple... de fait, c'est un mode d'activité qui est surtout adapté au travail de bureau. Alors, oui, si déjà tous ceux qui travaillent dans les bureaux n'étaient plus sur les routes parce qu'ils travailleraient désormais en distanciel, cela certes décongestionnerait quelque peu le trafic, mais cela à soi tout seul ne suffirait pas à résoudre l'entièreté du problème des heures de pointe parce que tous ceux dont l'activité exige la présence physique sur leur lieu de travail restent quand même très nombreux).
Puis, comme pour beaucoup d'autres solutions que l'on croit idéales dans un premier temps, on s'est aperçus que le télétravail posait de nouveaux problèmes : difficulté accrue de réunir plusieurs personnes à un même moment dans un même lieu (puisque justement, l'un des avantages du télétravail est une souplesse d'organisation qui à première vue permet de mieux concilier les impératifs professionnels et ceux de la vie privée), difficulté pour les employeurs de contrôler le temps de travail effectivement presté (probablement la raison principale pour laquelle ils se sont tous dépêchés de revenir au présentiel dès que l'OMS a déclaré le COVID endémique), un brouillage aussi de la frontière entre vie professionnelle et vie privée (l'une empiétant sur l'autre et inversement)... si bien que dès que l'OMS a déclaré le COVID endémique et a décrété qu'il ne nécessitait plus de mesures de sécurité sanitaire particulières, tout le monde - aussi bien les employeurs que les employés - s'est dépêché de revenir au bon vieux présentiel, qui a certes ses inconvénients mais dont les limites sont bien connues - et avec lequel l'humanité dispose d'une très longue expérience, aussi longue en fait que son existence elle-même.
Et puis, pour certains - et pour plus de monde qu'on le croit - le travail en présentiel est aussi l'occasion parfaite de sortir de chez soi et de voir autre chose que ses quatre murs... et aussi de rencontrer ses semblables. En tout cas en dehors de son foyer, de sa famille et de ses amis. Sans avoir à se justifier, parce que la justification est toute trouvée !
Donc, certes, il est vrai que le travail en distanciel s'est organisé un peu dans l'urgence au moment du confinement, donc de manière quelque peu brouillonne, et aussi malgré d'assez fortes réticences au départ.
En fait, on n'y est allés que parce qu'on y était bien obligés et forcés par les circonstances, et s'il n'y avait pas eu le confinement, il y a fort à parier qu'au mieux, le télétravail ne se serait développé avec la même ampleur qu'au bout de plusieurs décennies.
C'est aussi un élément à prendre en compte dans l'analyse : dans l'esprit de plus d'un employé, "télétravailler" était lié à "rester enfermé chez soi comme en prison". Le confinement n'était évidemment pas vécu de la même manière quand on vivait à trois ou quatre dans une grande maison avec un grand jardin (ou même un grand terrain), dans une petite maison mitoyenne en ville, isolé dans un petit studio voire une petite chambre, ou en appartement entassés à six ou plus dans soixante mètres carrés - et les conditions de télétravail n'étaient forcément pas les mêmes non plus.
Il y a toute une expérience dont il est sans doute nécessaire de tirer le bilan avant de vouloir aller plus loin. Et il est certain que si le télétravail doit reprendre de l'ampleur sociale, il nécessite aussi toute une organisation spécifique, l'établissement de limites claires et une connaissance des conditions nécessaires à son bon fonctionnement.
Il n'empêche que le télétravail reste une idée intéressante à creuser...
... mais qu'il pourrait aussi entraîner de grands changements dans notre mode de vie. À en croire certaines projections, après l'exode rural entraîné par la révolution industrielle, la révolution cybernétique, elle, pourrait bien entraîner à l'inverse un exode urbain...
Ceux qui le pensent partent du principe que l'exode rural était motivé au départ par le désir des salariés de se rapprocher de leur lieu de travail qui se trouvait en ville et d'éviter de longues navettes entre leur domicile et leur lieu de travail - et qu'il était donc intrinsèquement lié au travail en présentiel, dont le principe n'était à l'époque remis en question par personne. Mais le travail en distanciel, en permettant d'exercer son activité professionnelle à domicile, supprime carrément toute la problématique des trajets et des navettes - et en le faisant, il change la donne. À partir du moment où il cesse d'être indispensable de se rapprocher autant que possible d'un lieu de travail situé en dehors de chez soi, il devient également sans objet d'en supporter les contraintes : éloignement de la nature, environnement pollué, bruyant, stressant et malsain, insécurité, vie dans des appartements mal insonorisés et mal isolés dans de grands ensembles bétonnés à taille inhumaine où les habitants vivent tous les uns sur les autres, promiscuité favorisant les conflits de voisinage... Les télétravailleurs pourraient donc très bien être tentés par un grand retour à la nature, à la solitude (la vraie, pas l'isolement au sein de toute une multitude) et aux grands espaces, vers des environnements de vie plus calmes et plus sereins, et, partant, pour un exode urbain. Si toutefois la densité de population le permet encore sur une planète où nous sommes à présent quelque part dans les huit milliards d'humains et où la croissance de la population ne donne pas de signes majeurs de ralentissement...
Comme toujours, qui vivra verra.
Crédit image : © Alison Toscano