Épisode 7 : Pas de pitié
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Épisode 7 : Pas de pitié
POV Lili
― Ouais… je ne sais pas trop… soufflai-je.
Anny m’observa et me sourit tendrement.
― Tu ne m’as toujours pas expliqué pourquoi tu t’es sauvée si vite la dernière fois. On dansait. On s’amusait bien et tout à coup tu es devenue livide et tu t’es enfuie. Ryan m’a dit qu’il t’avait vu sortir en courant, les larmes aux yeux, et qu’il a décidé de te raccompagner en voiture.
― Ouais… il a été vraiment super sur ce coup-là… murmurai-je en me remémorant ses paroles.
Anny s’installa sur mon lit, juste à côté de moi. Nous avions prévu de bosser un peu puis de se regarder un film. Une comédie, sans histoire d’amour si possible… Un truc badass avec une héroïne sans pitié. Mais apparemment, nous allions faire l’impasse sur les cours et passer directement à la glace.
― Tu veux bien m’en parler ? me demanda Anny d’une voix douce.
Elle attrapa ma main et la posa sur son cœur avant d’ajouter :
― Tu es comme une sœur pour moi. Tu peux me faire confiance…
Sa déclaration me troubla. Non pas que je doute d’elle, bien au contraire, mais je redoutais son regard de pitié ou de colère. Je tenais énormément à notre amitié, si récente et pourtant déjà si intense, et je refusais que mon passé la compromette.
― Je… je…
La sonnerie de mon téléphone retentit. Une notification Facebook qui me retourna l’estomac. Éric. Son nom me fit paniquer. Ma poitrine se comprima, bloquant mon souffle. Ma vue se brouilla et ma gorge se noua. Je fus prise de vertiges et je m’effondrai, incapable de bouger. De respirer.
***
― Ma chérie, tout va bien. Tu es à la maison. Tu ne crains rien…
Je repris conscience dans mon lit, sous les couvertures, mon père et Anny à mes côtés. J’avais la tête qui tournait et j’avais du mal à avaler. Que s’était-il passé ?
― Ma chérie, tu as fait une crise d’angoisse. Bois. Tu dois avoir la bouche sèche après avoir hurlé aussi fort.
Hurler ? Pourquoi avais-je crié ? J’osais alors un regard vers Anny, elle avait les yeux rougis et le teint pâle.
― Je suis désolée, Lili. Je… je ne savais pas… sanglota Anny.
Mon père me prit la main pour attirer mon attention. Il lui avait tout dit. Il avait révélé mon secret. Pourquoi ? Pourquoi m’avait-il trahi ?
― Je devais lui expliquer, Lili. Avec la crise que tu viens de faire, je devais lui dire. Je suis désolé, ma chérie. Quand je suis rentré, tu hurlais au viol. Tu demandais à Eric de te laisser tranquille, de ne pas te toucher. Tu te débattais et tu te frappais. Anny n’arrivait pas à te calmer. Heureusement que j’ai fini plus tôt que prévu, tu aurais pu te blesser…
― Je… je ne me souviens de rien… on discutait et j’ai reçu… un message d’Eric… murmurai-je totalement perdue.
Sans me demander mon avis, mon père ramassa mon smartphone qui était tombé par terre et le déverrouilla. Depuis quand avait-il le code ? Son visage se décomposa et se précipita en dehors de ma chambre. Je l’entendis frapper et casser des objets, en grognant.
― Lili… je savais que tu avais vécu quelque chose d’horrible, mais j’étais loin de m’imaginer un truc pareil. Je suis désolée d’avoir autant insisté pour demain soir… dit Anny.
Son expression avait changé. Son regard était devenu doux, mais j'y décelais de la pitié. Elle ne me voyait plus comme Lili sa nouvelle meilleure amie, mais plutôt comme Lili la pauvre petite victime de viol. Une violente colère s’empara de moi. J’avais quitté ma ville natale pour échapper à tout ça – au mépris, aux jugements… - et je refusais que ça me poursuive jusqu'ici. J’essayais de me réinventer loin de toute cette merde !
― Non… stop ! criai-je. Ce que j’ai vécu ne me définit pas. Je ne suis pas une victime de viol, je suis Lili Menphis. Je ne veux pas de ta pitié. Je n’en veux pas…
Je me suis effondré en larmes. De grosses gouttes ont inondé mon visage. Soudain, j'ai senti Anny m'enlacer et pleurer dans mon cou. Elle pleurait pour moi. Pour nous. Pour elle...
― Je suis désolée… dit-elle en reniflant. Ce n’est pas de la pitié, je te promets. Je suis admirative. Je ne sais pas comment tu fais. Comment tu peux vivre avec ça ?
― J’ai essayé d’en finir, mais je me suis rendu compte que je tenais à la vie malgré tout.
― Tu… tu as essayé de te suicider ? bégaya Anny encore sous le choc.
― Oui, heureusement, mon père m’a trouvé à temps. Ce jour-là, j’ai compris que soit je mourais, soit je vivais. Mais surtout que, si je décidai de vivre, il fallait que je le fasse correctement. C’est pour ça que j’ai voulu partir loin de chez moi. C’est pour ça que je suis ici, aujourd’hui.
Anny se redressa et planta son regard dans le mien. Ce que j’avais pris pour de la pitié brillait encore dans ses yeux, mais je réalisai à cet instant qu’elle ne m’avait pas menti. Elle était fière de moi. Elle admirait ma force et ma détermination. Ce soir, notre amitié s’était trouvée renforcée.
― Un jour, je te raconterai tout en détail. Je te le promets, mais pas aujourd’hui. J’ai envie de manger une tonne de glace devant un bon film d’action complétement débile. Et demain, on ira danser toutes les deux chez Ethan. On se fera belle et on s’éclatera sans se soucier de personne.
― Ce programme me convient parfaitement, m’avoua-t-elle.
Elle jeta un coup d’œil vers le couloir, et après une brève hésitation, elle me demanda :
― Et pour ton père ? On fait quoi ?
― Je vais le voir. Je te laisse choisir le film ?
― Yep ! Je m’en charge ! dit-elle en essuyant ses dernières larmes.
Je pris une grande inspiration. Bien ce que je venais de réaliser était vrai, j’étais encore à vif. Sous le choc. Oui, je voulais vivre. Je voulais être libre et m’amuser, mais mes vieux démons n’étaient pas loin. Ils guettaient la moindre faiblesse. Tapis dans l’ombre, ils attendaient le moment propice pour faire leur retour et m'entraîner en enfer.
― Papa ?
Il ne répondit pas. Il était affalé sur le canapé, dans l’obscurité, les mains sur le visage. Les chaises gisaient au centre de la pièce, l’une d’elle cassée par terre. Mon smartphone reposait sur la table basse, devant lui, l’écran toujours éclairé.
― J’ai supprimé son message et je l’ai bloqué. Il ne pourra plus te nuire. Je te le promets. Je suis désolé d’avoir encore échoué… murmura mon père.
― Échoué ? Quand as-tu déjà échoué ? lui demandai-je en m’approchant de lui.
― J’ai échoué ce soir-là. J’aurais dû comprendre ses intentions. Voir en lui. Merde, Lili ! Je t’ai laissé partir avec l’homme qui t’a violé…
Comment aurais-tu pu le deviner ? Éric était l’exemple même du gendre parfait. C’est moi qui n’ai pas eu la jugeote d’écouter les rumeurs et de méfier. Je n’aurais pas dû accepter le verre qu’il m’a tendu ce soir-là. Je n’aurais pas dû laisser me conduire à l’étage…
Rapidement, mon père m'a attrapé et m'a serré contre lui. Le visage collé à son torse, je pouvais entendre les battements puissants de son cœur et sa respiration sifflante. Il déposa un baiser dans mes cheveux avant de s’excuser une fois de plus.
― Je vais bien, papa. Je te promets. Grâce à toi, j’ai réussi à me relever. Grâce à ta force et ton amour.
― Je t’aime, Lili.
― Moi aussi, papa.
POV Logan
Les entraînements avaient repris officiellement. Et pour cette saison, le coach m’avait nommé capitaine de l’équipe. J’aurais dû être sur un petit nuage, mais la conversation que j’avais eue avec Ryan à l’infirmerie mercredi tournait encore en boucle dans ma tête.
Depuis, je n’avais adressé la parole à aucun de mes potes. Je les observais tourner autour de Lili. J’ignorais à quoi ils jouaient, mais il fallait que ça cesse rapidement. Je ne supportais pas de les voir faire les pans devant elle, de la prendre par les épaules dans les couloirs. En particulier, Ryan. Lui qui disait être à fond sur Camilla. Le salopard ! Dès que la jolie rousse n'était pas dans les parages, il flirtait avec Lili. C’était écœurant.
― Mec, tu viens ce soir ?
Alors que je continuais à faire des tours de terrain pour me vider la tête, j’entendis Steve me rattraper. Il était en sueur et essoufflé, à cause des exercices intenses et de la chaleur de cette fin de journée. Contrairement aux autres, il ne s’était pas précipité dans les douches pour se préparer pour la soirée chez Ethan. Anny et Lili avaient proposé de ranger avant l'arrivée des invités, donc ce n'était pas un problème, mais j'avais entendu Ethan dire que ce n’était pas très galant de sa part de leur laisser faire tout le boulot. Depuis quand il était galant celui-là ?
― Pas sûr, lui répondis-je du bout des lèvres.
En réalité, je crevais d’envie d’y aller, mais je n'étais pas certain d'être le bienvenu.
― Arrête tes conneries ! souffla Steve. Pourquoi tu joues les enfoirés depuis la rentrée ? C’est quoi ton problème ?
Je ne savais pas quoi lui répondre. Depuis qu’Anny nous avait présenté Lili, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Chaque fois qu’elle était là, mes mains devenaient moites et mon cœur s'affolait. D’un seul coup, j'étais incapable d'avoir une pensée cohérente et je ne voulais qu’une chose, être près d’elle. Mais j’avais fait une promesse à ma cousine.
Trois semaines plus tôt
― Salut, cousine ! Comment vas-tu ?
Comme à chaque dernier dimanche du mois, l'ensemble de la famille se réunissait chez mes parents. C'était une coutume à laquelle nul ne pouvait se soustraire. Nos aînés et les autres parents arrivaient le matin. Les femmes préparaient le repas pendant que les hommes parlaient affaires autour d’un verre et d’un cigare. C’était un peu trop misogyne pour moi, alors, je me retirais régulièrement pour aller dans la cuisine épauler ma mère et mes tantes. Leur bonne humeur et leur douceur me touchaient.
Anny était arrivée plus tard dans l’après-midi, sa mère m’avait dit qu’elle mangeait chez une amie. Une première pour elle ! D’aussi loin que je me souvienne, Anny n’a jamais eu que la bande et moi, et ça ne devait pas être facile tous les jours. J’étais content pour elle. Une présence féminine, autre que nos conquêtes d’un soir, serait bien pour elle.
― Logan ! Toujours à trainer loin des hommes ! ria-t-elle en se fondant dans mes bras.
Elle était comme une petite sœur pour moi. Nous n’avions que deux semaines d’écart et avions grandi ensemble. Je me sentais bien plus proche d’elle que de mon propre frère. Kevin et moi étions si différents. Il était la copie conforme de notre père et sa plus grande fierté. Sportif, passionné par la bourse, le marketing… et tout ce qui pouvait un jour lui permettre de prendre les rênes de l'entreprise familiale. En ce qui me concerne, je ressemblais physiquement à ma mère et je préférais consacrer des heures à programmer sur mon ordinateur plutôt que de spéculer et de jouer avec l’argent des autres. J’avais beau exceller au football, cela semblait n’avoir aucune valeur pour mon père.
― Que veux-tu ? Je ne supporte pas leur air insuffisant…
Anny n'a pas pu s'empêcher d'éclater de rire. Bien qu'elle soit la prunelle des yeux de son père, elle ne supportait pas plus que moi leurs discussions sans fin sur les rachats d'entreprise, les stratégies de restructuration et les secrets du management pour optimiser la rentabilité… tous ces échanges entre requins en costume-cravate.
― Ouais… je te comprends…
― Alors, où tu étais passée ? Tu as manqué le fameux tajine de ma mère…
Elle m'a adressé un sourire. Elle était parfaitement consciente que j'avais mis de côté une assiette pour elle. J'ai levé les yeux au ciel en allant lui chercher son repas.
― Merci, Logan. T'es un amour, dit-elle après avoir avalé une énorme fourchette de semoule. En fait, j’étais avec Lili. C’est notre nouvelle voisine. Elle est arrivée la semaine dernière et je lui ai proposé de lui faire une petite visite guidée. Elle est vraiment géniale. Elle ignore qui je suis et ne s’intéresse pas à moi pour mon argent ou pour mon statut…
― Super ! Je suis content pour toi. Elle est dans quel bahut ?
― Le nôtre… répondit-elle lentement. Je l’aime vraiment beaucoup, alors je voudrais que tu me promettes de ne pas la faire fuir.
― La faire fuir ? riai-je. Tu sais que c’est plutôt le contraire avec moi… Les nanas ont tendance à être très collantes avec moi.
Anny me fit une grimace avant de soupirer. Elle abhorrait cette image de séducteur que je m'efforçais d'entretenir en dehors de cette maison. Je n'étais pas non plus convaincu d'apprécier cela, mais c'était hélas inévitable… Un peu comme un héritage familial. Mon frère avait adopté ce mode de vie de sportif play-boy, à l'instar de mon père et de mes oncles avant lui. C’était l’unique chose que je partageais avec eux. Et même si c’était d’une connerie sans nom - j’en avais pleinement conscience – i ls m'avaient fait clairement comprendre que l'honneur des hommes de la famille Cohnrad était en jeu. Je ne pouvais pas faire les « tapettes », dixit Kevin, et je devais profiter de ma gloire et de ma belle gueule pour m’amuser au maximum avant de devoir épouser celle qu'ils avaient déjà dû choisir pour moi.
Eh oui ! Nous étions ce genre de famille. Les alliances étaient commerciales. Aucun sentiment, que du faux semblant. Voilà pourquoi j’avais accepté d’agir comme un connard. De ne jamais coucher deux fois avec la même fille. Pour me protéger… pour ne jamais m’attacher.
― Pas après être passée dans ton lit… finit-elle par avouer.
― OK… soupirai-je. Si je te promets de ne pas la toucher, ça te va ?
Son visage s’illumina et elle me remercia.
― Super ! J’ai hâte de la présenter à toute la bande… s’exclama Anny en terminant son assiette.
***
Je m'étais finalement laissé persuader par Steve et, à mon arrivée, la fête battait son plein. À peine 22 heures et la maison était déjà bondée de crétins bourrés, mais il n’était pas difficile de deviner où se trouvaient les autres. Je fis un détour par la cuisine pour me prendre une bière avant de sortir et de m’approcher de la piscine.
Anny avait connecté son téléphone sur l’enceinte à l’extérieur et la terrasse avait été transformée en piste de danse. J’ai tout de suite remarqué Lili, debout au centre, pieds nus, dansant avec Anny sur une vieille chanson de Sean Paul. Elle portait un jean blanc et une chemise vaporeuse parme qui mettait en valeur ses courbes gracieuses. Ses cheveux étaient attachés en un chignon désordonné. Elle était magnifique.
― T’es vraiment accro, mec… dit Ryan en posant sa main sur mon épaule.
Il me connaissait par cœur. Lui seul était capable de lire au-delà de ma carapace. De ce masque immonde que je m’obligeais à porter depuis tant d’années. Inutile de protester ou d'essayer de le duper. Ce n'était pas une question, mais une pénible certitude car nous savions, lui et moi, que je ne devais pas l’approcher. Même si mon cœur ne pouvait s’y résoudre.
Texte de L.S.Martins.
Image par Valentin Tikhonov de Pixabay
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