Episode 12 - Cruelle
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Episode 12 - Cruelle
POV Lili
Dimanche matin, déjà. J’avais passé toute la journée du samedi enfermée dans ma chambre, luttant contre tous ces flash-back, ces sensations et ces sentiments qui m’assaillaient sans me laisser le moindre répit. Il avait fallu quelques minutes de bonheur, de félicité, pour que le voile laissé par la drogue se lève. Pour que l’amnésie se dissipe et que tous les souvenirs de cette soirée s’abattent sur moi. J’avais été abusée, de bien des manières, cette nuit-là et les vidéos et photos qui avaient tourné au lycée après étaient loin de révéler l’horreur de ce que ce garçon si gentil, si parfait, m’avait fait subir.
Un nouveau haut le cœur me secoua et je courus pour la troisième fois en moins d’une heure vomir aux toilettes. Et, comme chaque fois, Anny me suivit et m’aida à me redresser et à retourner dans mon lit.
Nous n’avions pas parlé. Elle ne m’avait pas forcé. Simplement demandé si Logan m’avait fait du mal sans oser me regarder. Par peur d’affronter une vérité qu’elle n’était pas prête à entendre. Avant de me perdre à travers un torrent de larmes, j’avais tout de même réussi à lui jurer qu’il ne m’avait pas touché. Ses épaules s’étaient alors affaissées de soulagement, mais la crainte et la douleur n’avaient pas quitté ses douces prunelles pâles.
Après leur entraînement hier matin, les gars s’étaient tous pointés, m’apportant de quoi soulager ma gueule de bois. Heureusement, Anny les avait tous gentiment renvoyé chez eux avant qu’ils ne puissent atteindre ma porte. Tous sauf Ryan qui faisait encore les cent pas devant la maison quand mon père était rentré du boulot plus tard dans la soirée.
Je faisais bonne figure, en me glissant sur le canapé du salon pour fixer la TV éteinte, un sourire feint fixé sur le visage. Les yeux bouffis, les cheveux ébouriffés, mes vêtements de la veille froissés. J’avais prétexté un simple mal de crâne lié à un syndrome prémenstruel, mais devant l’insistance et le désarroi de Ryan et Anny, mon père avait fini par comprendre que mes démons étaient de retour. Qu’ils s’étaient invités d’une manière ou d’une autre depuis la victoire de Faucon, hier soir. Il était effrayé. Je pouvais l’entendre dans le timbre de sa voix. Effrayé et impuissant.
Alors, quand je suis remonté pour me coucher, il était resté devant ma chambre. Parfois en silence. Parfois en pleurant. Parfois en criant. Sans le regard anxieux de mes amis. C’était désarmant.
Derrière ma porte, je percevais leurs murmures. Anny expliqua ce qu’elle avait compris. Steve. Son maillot. La soirée. Le coup dans le nez de Logan. Ma disparition. Mon air hagard… Ryan était fou de rage.
― Entre, Ryan, l’intimai-je ne supportant plus ses allers-retours incessants et ses éclats de voix.
Il passa la tête par l’embrasure, timide et troublé. Les traits tirés, l’air débraillé. Comme s’il n’avait pas dormi depuis deux jours. Comme s’il était rongé par la fièvre et l’angoisse.
― Hé ! Je ne voulais pas te réveiller, marmonna Ryan en s’approchant. Comment te sens-tu ? Je t’ai vu partir en courant, hier… enfin vendredi soir. Tu avais l’air si mal, si perdue, que tu ne m’as même pas vu…
Lentement, je l’invitai à s’asseoir sur mon lit. Il hésita, penaud, avant d’enlever ses baskets et de prendre place sur la couette, juste à mes côtés. Il s’allongea et m’offrit refuge sans ses bras. C’était étrange. Je me sentais parfaitement en confiance avec lui, un peu comme avec un grand frère. Il n’y avait pas de malaise entre nous. Aucune tension sexuelle. Aucun non-dit équivoque. Je posai ma tête sur son torse et il me serra contre lui.
Nous sommes restés ainsi, dans un silence agréable, pendant ce qui me parut une éternité. Jusqu’à ce que les mots sortent. Que les maux jaillissent. Le récit commença avec le mentorat d’Éric. Nos heures à la bibliothèque. Ses sourires. Sa gentillesse. Lui, le footballeur star de l’école et moi l’intello coincée. Et puis cette soirée. Son invitation innocente. Charlène. Les verres. La drogue. Puis tout ce qui s’était passé dans cette chambre. Les autres. Éric. Les semaines qui suivirent. Les vidéos. Les insultes. Les jugements. Le harcèlement. Le bébé. L’avortement. Ma tentative de suicide. Et mon nouveau départ.
Je sentais le corps de Ryan se crisper au fur et à mesure de mon histoire. Il pleura. Jura. Resserra son emprise. Embrassa mon front. Sans un mot. Et moi, la voix claire et posée, les yeux secs et irrités, je laissai échapper ma douleur et ma colère, exprimant pour la première fois tout haut ce que j’avais traversé ces derniers mois.
― Et vendredi ? demanda Ryan brisant le nouveau silence serein qui s’était installé entre nous.
― J’ai reçu mon premier vrai baiser, mais mon passé m’a rattrapé. J’ai paniqué et je me suis enfuie. Je ne voulais pas vous inquiéter. Je suis désolée…
― Désolée ? Lili, regarde-moi, me pria-t-il.
Je levai la tête et mes yeux rencontrèrent les siens. Son amour pour moi enflammait ses prunelles bleues. Un amour fraternel et inconditionnel. Protecteur et bienveillant.
― Tu n’as pas à être désolée. Tu n’as rien fait de mal. J’avais dit à Logan de te laisser tranquille. Je savais que tu avais vécu quelque chose de difficile et je ne voulais pas qu’il te fasse du mal, mais j’étais loin du compte. Putain, Lili ! Je vais avoir une discussion avec lui et s’il ne comprend pas alors j’opterai pour la manière forte.
Il crispa ses mâchoires et ferma les poings s’imaginant déjà frapper la belle gueule de son meilleur ami. Son petit côté prince charmant me réchauffa le cœur et un sourire se dessina malgré moi sur mes lèvres.
― Quoi ? s’empressa-t-il de demander un peu sur la défensive.
― Logan n’a rien fait. Rien que je ne voulais… lui confiai-je. Je crois que j’avais besoin d’un déclencheur pour déverrouiller ma mémoire. Lui ou un autre, ça n’aurait rien changé.
Devant son air renfrogné, je me surpris à rire. Un rire franc et agréable. Et lorsqu’il m’observa de ses grands yeux bleus écarquillés, je repartis de plus belle. Si bien que mon père et Anny, qui étaient restés dans le couloir, nous rejoignirent, tout aussi perplexes que Ryan.
Je partageais mon lit avec un garçon aussi beau qu’un dieu, habillée seulement d’un vieux t-shirt difforme et d’une petite culotte en coton, hilare et étrangement sereine. Un tableau qui aurait dû choquer voire énerver mon père, mais contre toute attente, il sourit, m’embrassa et sortit, suivi par ma meilleure amie, nous laissant une intimité qui n’était pas nécessaire et pourtant bienvenue.
― Merci, soufflai-je une fois calmée.
― Pourquoi ?
― Pour m’avoir écoutée sans rien dire, sans poser de questions ni de jugement. Ça fait du bien, réalisai-je. Je me sens plus légère.
Il posa un baiser dans mes cheveux et me serra à nouveau contre lui.
― Je suis désolé que tu aies subi toute cette merde, finit-il par me dire. Par contre, je te promets que cet enfoiré perdra plus que quelques dents si jamais je le croise !
Je ne dis rien. Le remerciant silencieusement. La tête posée sur son torse, bercée par son rythme cardiaque puissant et lent, je m’endormis. Un sommeil sans cauchemar. Sans démon.
POV Logan
L’entraînement avait été un véritable cauchemar. Le coach était déchaîné et s’était montré impitoyable, malgré la victoire de la veille. D’ordinaire, on se contentait de quelques tours de terrain avant de se retrouver dans les vestiaires pour analyser la vidéo du match. Mais pas cette fois-ci. Il nous avait fait cracher nos poumons, nous forçant à enchaîner les exercices, comme s’il cherchait à nous punir.
― C’est quoi son problème, putain ! grogna Steve, alors que le coach venait de nous ordonner de refaire une autre série de pompes.
Je haussai les épaules en guise de réponse et me laissai tomber au sol pour entamer l’exercice. Contrairement à tous mes coéquipiers qui puaient encore l’alcool, cela ne me dérangeait pas. Je n’avais pas réussi à fermer l’œil de la nuit, pourtant je débordai d’énergie… Je repensais à ce baiser. Je pouvais encore sentir ses lèvres sur les miennes. Son souffle rauque sur ma peau. Son goût sucré et envoûtant.
Même le tête-à-tête de ce matin avec mon paternel n’avait pas entaché ce souvenir brûlant. Il m’avait parlé de ses affaires récentes. De ce nouvel associé et de mes responsabilités en tant que futur héritier. Il avait presque réussi à me faire perdre ce sourire béat qui ne m’avait pas quitté depuis que Lili avait posé ses mains sur moi. Et dire que ce con a cru que j’étais heureux de le voir et de le laisser m’exposer ses plans d’avenir. Grand bien lui fasse ! Si cela pouvait dissiper tous ses doutes et me simplifier la vie jusqu’à la fin du lycée, soit.
― Ce sera tout pour aujourd'hui ! cria le coach. Logan, je veux te voir dans mon bureau après ta douche !
Avant que je ne puisse réagir, il disparut dans les vestiaires, suivi de près par les gars. Aucune discussion possible. Et vu sa tronche, j’allais sans doute passer un sale quart d’heure. Mais pour une fois, j’ignorais totalement ce qu’il me reprochait.
― Hé, Logan… Mon chéri !
La voix insupportable de Morgan retentit à travers le terrain et parvint à m’agresser les tympans. Elle était avec son équipe de pom-pom girls, juste en bas des tribunes, se trémoussant dans son uniforme ridiculement court. Sérieux ? Elles ont vraiment le droit de porter ce genre de tenue devant un public de moins de 18 ans ? Elle me souriait et minaudait, comme si rien ne s’était passé la veille. Mauvais signe… Ryan avait raison, j’avais intérêt à surveiller mes arrières si je ne voulais pas me retrouver avec de la crème dépilatoire dans mon shampooing, du colorant dans mon gel douche ou du laxatif dans ma gourde. Je connaissais Morgan depuis des années, et je savais qu’elle était prête à tout pour obtenir ce qu’elle voulait, ou pour s’assurer que personne d’autre ne touche à ce qu’elle considérait lui appartenir. Malheureusement pour moi, elle avait jeté son dévolu sur moi et j’avais merdé. Gravement merdé !
― Elle va plus te lâcher, mon pote, souffla l’un de mes coéquipiers. Mais tu aurais pu tomber sur pire. Je parie qu’elle est super chaude…
Sans lâcher Morgan du regard, il esquissa un sourire carnassier en se léchant les lèvres. Je soupirai, puis enroulai amicalement mon bras autour de son cou avant de lui répondre :
― Si elle t’intéresse, je te la laisse. Beaucoup trop vulgaire pour moi…
― Pourtant, j’ai entendu dire qu’elle était déjà passé sur ta queue !
Je serrai mon emprise et sifflai :
― Une fois de trop, dans un moment d’égarement. Alors, fais-toi plaisir, Éric. Et débarrasse-moi d’elle !
― Et risquer les foudres de Morgan ? ria-t-il en me repoussant. Jamais ! Je sais bien que je n’ai aucune chance. Je n’ai pas envie de me ridiculiser !
Il partit en courant rejoindre les autres, me laissant comme un con au milieu de terrain. Je rangeai rapidement le matériel avant de me diriger à mon tour vers les vestiaires… et de faire face à Morgan, qui m’attendait en faisant les yeux de cocker. Impossible de passer à côté d’elle sans qu’elle ne se jette sur moi et ne me fasse une scène. Merde ! Je fixai un sourire sur mon visage et me préparai à affronter la furie aux ongles rouge sang.
― Logan… ronronna-t-elle alors que j’arrivai à sa hauteur. Tu m’as manqué hier…
― Vraiment ? Pourtant, tu étais en très bonne compagnie quand je t’ai laissé sur le so…
Elle se précipita sur moi et plaqua ses lèvres gluantes de gloss contre les miennes. Je me raidis et tentai de la repousser, mais elle me mordit et s’écarta d’elle-même. Ses pupilles étaient dilatées et ses joues rougies par la colère, et non par le désir. Une grimace déformait ses traits habituellement si lisses et parfaits.
― Je te déconseille de continuer cette petite phrase… Pas si tu veux que ta chère petite Lili continue à jouer les ingénues, menaça Morgan à voix basse.
Je l’observai, cherchant une faille dans son masque de garce. En vain.
― J’ai toute ton attention ?
― De quoi tu parles ? lui demandai-je en reculant d’un pas.
― Tu te souviens de ma cousine ? Celle qui est venue en fin d’année dernière ?
Personne en ville n’avait oublié sa cousine. Une grande blonde au corps de rêve, mais dont la personnalité vaniteuse et manipulatrice, la rendait aussi attirante qu’une sorcière. Elle avait fini l’année scolaire dans notre établissement et avait provisoirement rejoint l’équipe de pom-pom girl.
― Et bien, il s’avère qu’elle vient du même lycée que Lili. Et elle m’a raconté des histoires passionnantes à son sujet. Mais le plus intéressant, ce sont les photos et les vidéos qu’elle m’a envoyées. Tu veux voir ?
Elle déverrouilla son smartphone et me le tendit. Sur l’écran défilait une vidéo, sans le son, montrant une fille totalement nue, à genoux dans une chambre. Elle se caressait fiévreusement la poitrine tout en titillant de la langue la bite turgescente d’un mec. Au début, j’étais incapable de la reconnaître. L’image était de mauvaise qualité, mais lorsque la vidéo fit un gros plan sur son visage, j’étais stupéfait. Malgré son maquillage dégoulinant et ses cheveux ébouriffés, aucun doute possible, c’était Lili.
― Elle cache bien son jeu, n’est-ce pas ? se moqua Morgan en rangeant son portable.
― Qu’est ce que tu veux ?
Morgan m’adressa une moue aguicheuse qui me donnait envie de gerber et passa ses doigts sur mon torse lentement jusqu’à la ceinture de mon short. Je lui attrapai la main pour l’empêcher d’aller plus bas, ce qui la fit sourire.
― Tu ne l’as pas encore compris ? C’est toi que je veux… Soit un gentil petit ami et je ne diffuserai pas ces images. Qu’est-ce que tu en penses ?
― Va te faire foutre ! marmonnai-je.
― Avec plaisir, mon chéri… roucoula Morgan en se frottant à moi. Et dès lundi, je veux que tu officialises notre relation. Je ne veux plus voir Lili à notre table. Dis ce que tu veux aux autres. Si jamais je la vois, j’envoie à tout le lycée cette incroyable vidéo.
Et elle partit. Elle me planta devant les tribunes, sous le choc. Je savais qu’elle était folle, mais j’étais loin de m’imaginer qu’elle serait capable d’une telle cruauté…
Texte de L.S. Martins (120 minutes sans relecture).
Image disponible sur Pixabay : Fille Dépression Tristesse - Photo gratuite sur Pixabay - Pixabay