Épisode 1 - Les yeux océan
Sur Panodyssey, tu peux lire 30 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 29 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
Épisode 1 - Les yeux océan
Je n’aime pas les débuts. Ils portent toujours une promesse incertaine : « cette histoire sera belle ». Comment en être persuadé alors qu’elle n’est pas encore écrite ? Peut être changerais-je ce début, une fois arrivée … à la fin. Même si tout cela, je l’ai déjà vécu.
« Put your hands into the fire » … l’odeur de la mélancolie est parfois évidente dès les premières notes d’une chanson. Je l’écoutais en boucle alors que j’avais à peine quatorze ans. Elle me répétait de venir et de mettre mes mains dans les flammes et quelque part, c’est exactement ce que j’ai fait.
J’étais rêveuse et jeune rebelle, persuadée d'appartenir à un grand avenir. Je cherchais le frisson du désir et aspirais à l'étincelle, ou plutôt à l'incendie, qui embraserait tout mon être.
La pluie s’agitait sur le velux alors que la musique m’invitait encore à jouer avec le feu. Je pianotais avec lenteur sur le clavier de mon ordinateur, portée par la mélodie.
J’avais pour habitude d'écrire tous les soirs, après les cours, à ma meilleure amie dont j’étais séparée par la distance. Mais ce jour là, Maëlle ne répondait pas.
Je commençai à m’égarer dans les abîmes d’Internet lorsque je tombai sur un tchat pour adolescent. Quoi de mieux pour tuer le temps que converser avec quelques inconnus que je ne rencontrerais jamais !
En quelques secondes, mon profil était créé gardant un peu de mystère pour ceux qui le consulterait. Quelques lignes à peine, la première lettre de mon prénom suivie d’un point « L. » et une photo en noir et blanc qui laissait apparaître subtilement les traits de mon visage.
Je parcourus les portraits des autres utilisateurs, naturellement attirée par les profils masculins. A 14 ans, on s'imagine encore rencontrer le parfait inconnu et vivre une histoire idyllique à ses côtés, comme dans les films.
Alors que je me laissais porter par mes rêveries, l’ordinateur émit un son pour me signaler un nouveau message. Un utilisateur du tchat, Tristan, m’adressait un simple « Slt sava ^^ » naturellement orthographiée pour un adolescent des années 2000. Je gardai mes doigts en suspens au dessus du clavier, réfléchissant à la réponse que je pourrais apporter.
C’était une question banale à laquelle je ne savais répondre sans chercher à tout prix quelque chose d’original. J’aimais me démarquer des autres personnes de mon âge mais je m’infligeais parfois une anxiété inutile. À trop réfléchir comment paraître originale, j’en perdais mon naturel.
Après quelques hésitations, je répondis « hello :) je vais et c'est dja bien, & toi ? ». A peine avais-je appuyé sur le bouton entrée que je regrettais déja cette réponse ridicule. Le retour de Tristan fut court et concis : « Pareil ^^ ». Puis il précisa rapidement : « Chui en manque de seXx ». Je trouvais ce message un peu grossier mais j’aimais me prêter à ces jeux là, m’inventant une personnalité de rebelle decomplexée. Je décidai de poursuivre la conversation, amusée :
- Ah ouais ? t'es pas l'seul
- pk toi ossi ? tes célib ?
- disons ke c tout kom
- ok ^^ ta kel age ?
- 14 et toi ?
- pareil
Notre conversation dura des heures, pimentée par quelques allusions érotiques souvent maladroites. Quelque chose d'étonnant était en train de se produire : nous nous faisions du bien. Dans le chahut de l'adolescence et de tous ses maux, nous trouvions dans cet échange un refuge.
La lune inondait ma chambre et je n’avais pas vu le temps passer. Il était déja 2h40 du matin et mon réveil ne manquerait pas de sonner trois heures plus tard. A contre-coeur, je conclus l'échange avec Tristan, promettant de le rejoindre sur le tchat le lendemain soir. A peine mon ordinateur était-il éteint que j'imaginais déja de nombreux scénarios dignes des films les plus fous.
Les yeux grands ouverts, perdus sur le bleu des murs, j’inventais les courbes de Tristan, l'imaginant grand et élancé, les cheveux bruns en bataille et ... évidemment, les yeux océan.