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Reznyk et le Temple Maudit

Reznyk et le Temple Maudit

Publié le 8 nov. 2022 Mis à jour le 8 nov. 2022 Musique
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Reznyk et le Temple Maudit

2 heures de souffrance au rythme de Caifanes, le cœur battant du Mexique.

CDMX, le 5 novembre 2022. Il est 20 h 40.

À part quelques agents de sécurité et des stands de merchandising calés le long des grilles d’enceinte et vides de tout client, il n’y a pas âme qui vive autour du Palacio de los Desportes quand on descend du taxi.

Vu de l’extérieur, je ne mesure pas vraiment la taille du bâtiment.

On passe les contrôles et on est accompagnés à nos places dans une salle immense plongée dans le noir, alors que résonnent les premières notes du show.

En fait, si les abords du palais étaient étonnamment déserts, c’est simplement parce que tout le monde est déjà à l’intérieur. Selon Mme Reznyk on est arrivé « pile à l’heure », c’est-à-dire très en retard.

Elle s’est occupée d’acheter les places. Nous sommes donc assis sur des gradins abrupts suspendus au-dessus d’autres gradins. Sous le dôme. Je veux dire littéralement contre le plafond. On surplombe un gouffre énorme en forme de cuvette de chiottes. J’ai le vertige et je commence à psychoter. Si la terre tremble, il va se passer quoi ? Putain…

Cette structure a été construite en 1968 pour les Jeux Olympiques. Elle a résisté à deux séismes majeurs. Ça devrait tenir, non ? Il faudra juste se cramponner aux sièges pour ne pas tomber dans ce foutu ravin. Je teste la solidité de la chaise en plastique sommairement arrimée au béton. OK. Ça ne tiendra pas.

J’écoute Maná, j’adore Molotov, j’ai été traîné de force au concert de Cafe Tacvba à Paris il y a quelques semaines, mais je ne connais pas Caifanes, ou quasiment pas. Ce groupe de rock né dans les années 80 est pourtant un incontournable de la culture populaire mexicaine, comme la tequila, la lucha libre ou les tacos al pastor. Alors, comment refuser cette grande messe dans le mythique Palacio de los Desportes de Mexico City ?

Mon calvaire va durer deux heures. Deux heures au milieu de 17000 personnes dont aucune ne s’emmerde autant que moi.

Sous le plafond, l’acoustique est horrible. Je fais remarquer que le chanteur n’est quand même pas top et mériterait quelques séances avec Armande Altaï. On me répond : « c’est normal, il a eu un cancer de la gorge ». Ah OK. C’est cool alors.

Après s’être mollement échauffé sur des morceaux chiants dans une ambiance intimiste en multipliant les hommages convenus et les leçons morales, le frontman nous lit un poème d’Octavio Paz. Non, il ne le récite pas : il le lit.

El Sol se levanta de su lecho de huesos

El aire no es aire

Ahoga sin brazos ni mano

El alba desgarra la cortina

Ciudad

Montón de palabras rotas.

Octavio Paz (Vuelta)

Le mec se produit devant des milliers de personnes qui ont payé leur place entre 400 et 1200 pesos, et il n’est pas foutu de retenir six pauvres lignes comme un élève de CP. Il lit un putain de papier ! Tout le monde a l’air de trouver ça totalement cool. Alors pour éviter un incident diplomatique dans une période internationale déjà tendue, je fais comme tout le monde : je prends une tête de philosophe humaniste et je fais mine de m’imprégner des vers fumeux du prix Nobel mexicain.

Les chansons s’enchaînent. Je n’en connais aucune. J’aurais clairement dû étudier le sujet avant de venir. Au moins me taper le very best of deux ou trois fois. Mais les choses se sont enchaînées à un rythme effréné ces derniers jours et je n’ai pas eu le temps. Toute l’assistance connaît les paroles par cœur. C’est un délire de hurlements à chaque intro. Je ressens ce sale truc, la sensation d’être le seul couillon à ne pas être bourré à la fête.

Le chanteur, qui s’appelle Saul et qui a une tête à jouer dans CHiPs, interrompt à nouveau son récital pour nous faire une diatribe féministe à la con avec un air de faux cul. On sent bien qu’il essaie de se racheter pour pouvoir gratter une gâterie en coulisses. D’ailleurs, il s’éclipse le temps de nous passer un clip de Vivir Quintana, une chanteuse engagée dans la lutte pour les droits de femmes.

En fait, c’est pas mal du tout. L’activiste nous prend aux tripes et le son est meilleur que celui du live.

Le concert reprend après cet intermède. Et au bout d’un moment, alors que je commence à m’habituer et à ne plus trouver ça si mauvais, que vois-je sur scène là en bas tout au fond ? Un barbu avec une putain de guitare-clavier ! En 2022 ! Le Charlie Oleg du barrio ne peut pas rester sagement derrière ses Bontempi ? Non, apparemment il faut qu’il aille se balader avec ses copains sur le devant de la scène avec son instrument ridicule. Mais je suis où là ? Finalement, je ne suis plus contre un petit tremblement de terre pour mettre fin à ce cirque.

Les morceaux s’enchaînent. L’énergie monte crescendo. L’ambiance est incroyable. Les Caifanes sont à domicile et la foule chante plus fort qu’eux. Cette salle est leur maison et ils jouent à guichet fermé deux soirs de suite. Ils pourraient se contenter de lancer l’amorce de chaque morceau et se tourner les pouces pendant que les fans font le job.

Moi, je vis ça un peu de loin. Je suis le spectateur des spectateurs. Totalement hermétique à la bouillie musicale que je reçois par réverbération sur le toit du dôme, mais fasciné par ce moment de communion et de magie populaire.

Je suis en pleine contemplation quand une nouvelle angoisse m’envahit. Décidément… Mon cerveau a certainement besoin de s’activer pour se protéger dans cet environnement hostile.

Notre appartement est situé à l’autre bout de la ville, à l’opposé du quartier de Granjas où se trouve le Palais des Sports. Un quartier que je qualifierais pudiquement de très populaire pour ne pas être désagréable. J’appréhende le retour au moment où on va tirer la chasse pour vider la salle. Si on attend la fin du concert : on est mort. On se retrouvera coincé dans la foule sans pouvoir rentrer dans un métro, sans pouvoir choper un taxi.

Alors je tente le coup pour la jouer comme Marc Maron au concert des Stones dans le désopilant Too Real.

« Il faut se casser avant les rappels.

— Quoi ? Mais non…

— C’est quoi ton plan pour rentrer ?

— Ben, on improvise.

— C’est une blague, tu as vu le quartier ?

— Mais ils ont pas joué ma chanson préférée, si ça se trouve elle sera dans les rappels.

La fin du concert approche. Le saltimbanque qui jouait de la guitare-clavier (et du saxo) et qui a l’air de s’appeler Diego (comme Zorro et les tartelettes) profite de ma négociation pour prendre le micro à son copain qui chante moyen. Il dit un truc de vieux sur le DF (distrito federal) qui selon lui n’aurait pas dû changer de nom. Les gens approuvent et poussent des cris. Y compris probablement le bureaucrate qui a décidé de rebaptiser la ville CDMX en 2016 et qui n’a pas envie de se faire tabasser par la fanbase de Diego.

De toute façon, le clavier aurait gueulé « viva la crotte en sachets » tout le monde aurait hurlé « on en veut carramba ! ».

— Je me suis tapé deux heures de cette soupe infernale sans broncher. Explique-moi comment on va faire, une fois coincés au milieu de 17000 pékins pour se barrer de ce bidonville sans servir de piñata à la racaille locale ?

D’accord c’est moche et un peu exagéré. Mais l’argument fait mouche.

En courant pour l’un et en traînant des pieds pour l’autre, nous nous faufilons pendant que les fans en délire demandent du rab. J’appelle un Uber et quelques minutes plus tard, on s’évade pépouze en zigzaguant sur Río Churubusco.

Sauvés !

Une fois en lieux sûrs, je regagne quelques points en transférant à Mme Reznyk deux ou trois vidéos enregistrées sur mon téléphone pendant le concert.

Je vérifie discrètement la setlist pour voir si la Negra Tomasa, sa chanson préférée était ou non dans les rappels.

Aïe merde.

— Tu regardes quoi ?

— Rien rien. »

Caifanes, Palacio de los Desportes, CDMX 5/11/2022

Pour des avis beaucoup moins objectifs que je le mien :

Caifanes convierte el Palacio de Deportes en un crisol monumental par Kevin Aragón | El Sol de México.

Los Caifanes deberían ser eternos : Tremendo concierto en el Palacio de los Desportes par Alvaro Cortes | Sopitas.

 

Article original publié sur le site reznyk.com.

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Commentaires (7)

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Luce il y a 2 ans

Comme les témoins de Jehovah mon cher Stéphane !!!

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Stéphane Hoegel il y a 2 ans

Monsieur Reznyk, tu as toute ma considération. Pour le calvaire enduré, et pour le talent de conteur. Merci à toi d'avoir pris tous ces risques pour nous en divertir par ton récit au cordeau.

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Benjamin Mimouni il y a 2 ans

Cette fois ça va trop loin, Paul Reznyk : critiquer ouvertement la guitare-clavier, c'est indécent. Des carrières fabuleuses se sont bâties sur cet instrument (bon là tout de suite, je ne vois plus lesquelles, mais ça ne prouve rien).
Heureusement que la philosophie humaniste est là pour adoucir toute cette aigreur.
Continue comme ça, on te kiffe.

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Paul Reznyk il y a 2 ans

Merci !
il faudrait consacrer un article à cet instrument dont l’inutilité fait certainement tout le charme. Qui d’autre que toi peut faire ce sale boulot ?

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Luce il y a 2 ans

Chips !!!! Les deux couillons avec les lunettes de soleil qui mangent tout leurs yeux!!!!!
Charlie Oleg le mec avec un faux piano et une vraie moustache ... ou serait ce l'inverse ???
Don Diego des gros dégâts !!!
Arrête ton char Ben Hur tu as passé une soirée de rêves avec de vrai héros veinard!!!!
Pleasure to see you... like always ;-)

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Paul Reznyk il y a 2 ans

J’ai passé une soirée mémorable, ça c’est sûr. De rêve… c’est peut-être un peu au dessus du ressenti.

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Stéphane Hoegel il y a 2 ans

Poncherello et Baker sur leurs Kawasakis, en lunettes de soleil oui, mais des couillons ? Madame Luce, how dare you ? C'est parce qu'ils vont toujours par deux, c'est ça ? :-)

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