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Le spectre du Funi

Le spectre du Funi

Publié le 12 nov. 2020 Mis à jour le 12 nov. 2020 Environnement
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Le spectre du Funi

Cette petite nouvelle inédite avait été écrite à l'occasion du concours 2019 des  excellentes  éditions Montsalvens (www.montsalvens.ch)

On était déjà mi novembre, l’air était froid et les brumes matinales recouvraient la Sarine et le quartier de l’Auge d’un voile laiteux. Depuis le pont de Saint-Jean, on distinguait à peine la tour de la Cathédrale Saint-Nicolas, émergeant de cette atmosphère cotonneuse. Fribourg semblait endormi.

Sabine venait de réveiller ses deux aînés de 5 et 8 ans, espérant que son troisième fils, encore bébé, lui laisserait le temps de préparer le petit déjeuner. Pour Jérémie, l’aîné, c’était un jour d’école comme les autres. Sauf qu’il avait dessiné la veille de merveilleux dinosaures − dont les détails minutieux auraient bluffé n’importe quel paléontologue − et qu’il brûlait de désir de les montrer à sa maîtresse, à ses copains et à ses copines, surtout à Clio dont il était visiblement amoureux.  

Maxime, lui, une sorte d’ouragan permanent avait jailli de sa chambre en criant « Maman, j’ai faim ». Quant au bébé Alexandre, il ne s’était heureusement pas réveillé, ce qui laissait un peu de temps à Sabine pour s’occuper des deux grands et se préparer à l’allaiter. Gérard, son mari, était déjà parti tôt car il travaillait à Neuchâtel, la laissant ainsi seule maitresse de toute la fratrie.

Après avoir quitté son appartement de la rue de Lausanne, Sabine sortit la voiture et emmena la petite famille les uns à l’école, et le bébé chez la nounou à quelques centaines de mètres de là. Puis elle rejoignit le collège Saint-Michel où elle enseignait le français.

Vers dix-sept heures, elle récupéra ses enfants, fatiguée mais heureuse de sa journée.

— Maman, je sais compter jusqu’à vingt ! Et je sais lire, même, s’exclama Maxime.

— Wahou, c’est bien, dis-moi, répondit Sabine. Et toi, Jérémie, ça a été à l’école ? Tu as montré tes dessins ?

— Oui, et la maîtresse m’a dit que c’était aussi bien que dans les livres. Elle nous a parlé aussi pourquoi les dinosaures ont disparu. Il paraît que c’est à cause d’une météorite qui aurait explosé, mais on sait pas trop, et que la température de la terre aurait augmenté.

— Oui, on ne sait pas vraiment, on n’a que des hypothèses…

— C’est quoi des hypothèses, reprit Jérémie, avec une moue dubitative.

— Ben, c’est une idée qui peut expliquer quelque chose quant on n’a pas de preuve. Tiens, par exemple, si tu sors de l’école avec le nez qui saigne je peux penser soit que tu t’es battu avec un autre enfant, soit que tu es tombé, soit que tu es malade. Voilà trois hypothèses.

Jérémie plissa le front, semblant perplexe. Puis, soudain, Maxime éclata.

— Ben oui, c’est quand on n’est pas sûr.

— C’est ça, reprit Sabine.

Jérémie, un peu vexé de la célérité de son petit frère, enchaîna en donnant de multiples exemples. Puis, Maxime, passant du coq à l’âne :

— La maîtresse nous a dit que la banquise était en train de fondre à cause que la terre se réchauffe. C’est vrai, Maman ? Même que le niveau de la mer va monter et qu’il n’y aura plus de neige bientôt. C’est vrai ?

— Hélas ! C’est vrai. Les glaciers des Alpes aussi rapetissent.

— Mais alors, et si la neige ne revenait pas à Noël ?

— J’espère que non, répondit Sabine. D’ailleurs, elle ne devrait pas tarder car il commence à faire froid, maintenant. Et souviens-toi, il y avait plein de neige l’année dernière à Noël.

— Nous aussi, on a parlé de ça. On appelle ça le réchauffement climatique, ajouta Jérémie pour montrer sa grande culture. C’est à cause des voitures, des avions, tout ça…

La conversation fut animée jusqu’au seuil de l’appartement. Sabine, son bébé dans le dos bien calé dans l’écharpe de portage, installa les deux aînés pour le goûter.

— Allez ! Ne traînez pas. Et si vous êtes sages, demain on ira voir le funiculaire.

— Ouais ! Super ! Répondirent en chœur Jérémie et Maxime. 

Le lendemain soir, Sabine emmena ses enfants au Funi, toujours vert comme neuf, alors qu’il avait plus d’une centaine d’années.

— Vous voyez, les enfants, ce funiculaire est parfaitement écologique. Il n’a pas de moteur, ne pollue pas, et ne réchauffe pas la planète. Et pourtant il a été construit il y a plus de cent ans.

— C’est quoi « écologique », demanda Maxime.

— C’est tout ce qui permet de prendre soin de la planète et de la vie, répondit Sabine.

— Ben oui, Maxou, tu sais quand on trie les poubelles, c’est ça, c’est écolo. Puis, fronçant les sourcils : dis, maman, mais alors comment ça marche le Funi ?

— Voilà, quand il est en haut il remplit un gros réservoir des eaux usées de la ville, ça fait contrepoids et il descend en même temps que la cabine du bas monte car son réservoir est vide. Quand il arrive en bas, il vide son réservoir et c’est l’autre cabine, arrivée en haut, qui remplit le sien. Astucieux, non ?

— Wouhaou ! C’est génial ! S’exclamèrent en chœur les deux aînés.

Sabine acheta les tickets et la famille s’engouffra dans la plateforme haute de la petite cabine.

Puis la sonnerie de départ se fit entendre. Il faisait presque nuit à cette heure automnale. Les enfants étaient émerveillés et enthousiastes malgré la brièveté du voyage. Soudain, Jérémie poussa un cri.

— Maman ! J’ai vu une tête à l’envers là devant. Maman, j’ai peur…

Maxime, lui n’avait rien vu et commençait à se moquer de son frère.

— Mais je ne vois rien, mon cœur, répliqua Sabine.

— Mais si, si, je te jure, là, devant moi. C’était un monstre, un fantôme…

Sabine était dubitative et comme Jérémie avait une forte tendance à rêver de choses impossibles, elle pensa qu’il s’agissait encore d’une de ses illusions. Maxime, lui, était calé sur un siège et regardait par la fenêtre défiler les arbres et les maisons.

— Là, Maman, regarde ! Cria une nouvelle fois Jérémie.

Sabine, occupée à endormir Alexandre, tourna la tête à nouveau vers l’avant.

— Mais je ne vois rien mon chéri. Tu es sûr que ce n’est pas ton imagination qui …

— Bon, tu crois que je suis fou, c’est ça ? Je l’ai vu en une seconde et il a disparu.

Sabine, bien qu’incrédule au premier abord, avait tout de même un doute. Les quelques minutes du trajet s’étaient vite déroulées et la cabine touchait maintenant le fond de la petite station. Par curiosité, Sabine sortit la première et observa la petite voiture du Funi d’un œil aiguisé. En se reculant, elle vit un jeune garçon perché sur le toit en forte pente, les deux mains accrochées au bord avant du toit. Elle saisit la main de Jérémie et le fit descendre. Elle montra de son index le toit du véhicule.

— Tiens regarde, Jérémie, et toi aussi, Maxime. Vous voyez, c'était juste un gamin qui était grimpé sur le toit.

Le jeune garçon descendit de son perchoir en se faisant glisser lentement jusqu’au sol. Il arborait un grand sourire un peu niais.

— S’cusez-moi, M’dame. On est encore en période d’halloween, alors j’m’amuse à faire peur aux gens et leur faire croire que j’suis un fantôme en passant la tête à l’envers pendant une seconde. S’adressant à Jérémie : j’t’ai fait peur, hein, petit ?

— Bof ! Non ! répondit Jérémie. De toute façon j’vous avais vu en partant, mentit-il.

— Moi, c’est pareil, ajouta Maxime. Même pas peur ! Je voyais vos doigts accrochés au bord du toit, alors…

— Bon, allez les enfants, on remonte et on rentre à la maison. Il faut que je change la couche à Alexandre.

Tous se mirent à rire. Même le bébé Alexandre, du haut de ses 6 mois, tout emmitouflé dans sa doudoune, éclata d’un rire joyeux.

 

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