Les nuits durant
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Les nuits durant
On a repêché le corps d’Édouard dans le canal, c’est Pierrette qui me l’annonce, je suis anéanti et je ne veux pas y croire. Je refuse cette triste réalité, surtout, je ne comprends pas, je suis perdu, il se serait jeté à l’eau… il se serait suicidé.
Pierrette parle vite et beaucoup, elle est tout aussi désemparée que moi, le silence l’insupporte, elle le comble par des mots, des questions auxquelles je n’ai pas de réponses, et qui, malheureusement, appellent d’autres interrogations. Je sais qu’il était à un tournant de sa vie, sa séparation avec Agnès, la rupture avec Émilie, et puis, je dois bien m’interroger, me remettre en cause, admettre ma trahison, ma relation avec son ex-femme, notre amitié qui vacillait, qui n’était plus ce qu’elle avait été. Je l’ai abandonné, nos chemins se séparant, nous allions désormais dans des directions opposées. J’ai tenté de lui expliquer, enfin, je crois, je ne sais plus, mon besoin de changer de vie, le non-sens de l’existence que nous menions, que nous avions construit. Il ne comprenait pas ma décision, ne voulait pas admettre que l’on s’était trompé, mais je crois aussi que cela m’arrangeait, il était le témoin de mon évasion, le mètre-étalon de mon évolution, je pouvais ainsi mesurer le chemin parcouru.
Mourir est terrible, se donner la mort l’est encore plus. Il n’a laissé aucune lettre, ni message expliquant son geste. Depuis quelques jours, il avait disparu, ne vivait plus chez Pierrette et Arnold. Ils ne s’étaient pas inquiétés, Édouard avait sa vie de son côté, certes, il ne se confiait pas ou très peu, mais l’essentiel de leur relation ne résidait pas dans l’échange de mots, non, ils s’aimaient les nuits durant.
Pierrette est en pleurs, Arnold la soutient difficilement, son visage se cache, se détourne de mon regard, je peux sentir son désarroi, sa souffrance. Ses larmes creusent ses joues, elles sont incessantes, jaillissent d’un puits sans fond, et s’accroissent à chaque nouveau sanglot ; il pleure en silence, presque honteusement. J’aimerais l’imiter, sentir ma tristesse me déborder, me vider de tout ce chagrin, mais rien ne sort, rien ne rugit au grand jour, pourtant, au fond de moi, je suis tout simplement dévasté. J’ai aussi cette colère qui gronde, que je sens poindre, mais que pour l’heure, je contiens. Édouard, pourquoi as-tu fait ça ? Tu ne me le diras jamais, je serai le restant de ma vie à me poser cette question, c’est ton dernier pouvoir sur moi et je le déplore. J’aurais préféré garder de toi, nos éclats de rire, notre jeunesse insouciante, nos sales blagues de petits morveux découvrant la vie, oui, mais, tous ces souvenirs auront désormais le sale goût de ton suicide. Je t’en veux, tu as tout gâché, la mort est un passage, mais le plus dur est pour ceux qui restent, tu n’as pas pensé à Agnès, Pierrette, Arnold ou encore à moi, tu n’as pas pensé à tous ceux qui t’aimaient, ni au bébé que tu as réussi à faire à Pierrette…
[À suivre…]
Initialement publié sur Medium le 6 février 2023 [ici]