Baby
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Baby
Ce n’est pas ma femme qui revient à la maison, c’est Pierrette, son amie antillaise du 2ᵉ étage. Dans son regard, je lis l’inquiétude que je lui inspire, ce que je peux comprendre. De mon front perle des gouttes de sueur, mes yeux sont ceux d’un fou, surpris en pleine crise de démence, à vrai dire, je suis gêné autant qu’elle.
Méfiante, elle fait quelques pas dans le salon, ne me quittant pas de son champ de vision. Elle constate le chamboulement qui règne dans l’appartement, les objets renversés, les fringues qui traînent au sol… mon désespoir cloué au mur, bien en évidence, trophée de ma défaite, trop criarde à mon goût.
Je me ressaisis, je n’ai pas l’intention de lui faire de mal, mais ça elle le sait. Elle comprend ce qui se passe, c’est ma volonté de cacher mon désespoir qui l’effraie. Je suis de ces cons, convaincus, qui s’imaginent tout maîtriser, même les sentiments des autres.
Je finis par m’asseoir sur le divan, elle m’y rejoint, à bonne distance tout de même, son regard toujours rivé sur moi.
— C’est elle qui m’a demandé de passer te voir, lâche-t-elle.
Je me ressaisis et à mon tour, je la détaille, étonné. Elle esquisse enfin un sourire :
— Elle a peur que tu fasses une bêtise et elle m’a demandé de vérifier que tout allait bien.
Ma femme s’inquiète pour moi ? A-t-elle des remords ? Je représente encore quelque chose à ses yeux. Une chose qui pourrait faire une bêtise, qui pourrait attenter à sa personne. Je dissimule un sourire, elle me tend une perche que je pourrais utiliser contre elle. Et si je me tranchais les veines, reviendrait-elle à la maison ? Encore, je cache mon plaisir malsain.
Pierrette n’est pas femme à s’apitoyer, ni sur son sort, ni sur le mien, et puis je me suis muré derrière une carapace d’acier, désormais, elle n’a plus accès à moi. Elle est intime avec ma femme, je l’apprécie, sans plus, enfin toujours beaucoup plus que son mari, qui est un âne patenté.
— Tu sais que l’on ne peut pas avoir d’enfant, Arnold et moi ?
J’en ai vaguement entendu parler, ils essaient depuis des années, mais toutes tentatives s’avèrent vaines.
— La vérité, c’est qu’Arnold est impuissant.
C’est le comble pour un Antillais, j’éclaterais presque de rire, mais je persiste à me renfrogner.
— Si tu le veux, hésite-t-elle encore, je peux passer te voir plus souvent, maintenant que tu es seul.
Elle se rapproche de moi, pose sa main sur mon genou.
— C’est très important pour moi ce bébé, bientôt, j'aurai dépassé l’âge, ensuite il sera trop tard.
Dans le brouillard rampant de mon cerveau, quelques neurones s’électrifient, elle, la meilleure amie de ma femme, me propose, à peine à demi-mots, de l’engrosser. Le cauchemar continue, j’ai envie de lui crier, non, pas moi, je ne veux pas d’enfant, ni avec toi, ni avec personne.
Mais je n’ai su lui répondre que ça :
— Et Arnold ? Si le bébé est blanc ?