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La circulation du désir : Récit 1996 - 2ème épisode- 1er et 7ème niveau

La circulation du désir : Récit 1996 - 2ème épisode- 1er et 7ème niveau

Publié le 2 mars 2020 Mis à jour le 2 mars 2020 Culture
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La circulation du désir : Récit 1996 - 2ème épisode- 1er et 7ème niveau

à coeur ouvert

A coeur ouvert - gouache sur papier 50x70 - 1990

LA CIRCULATION DU DESIR : RECIT 1996

2ème épisode.

 

 

 

1er niveau :

Des années s'étaient écoulées. Le temps avait fait son office ; un lent travail de sape sur les corps, les mots, les pierres, les murs ; toutes ces rues innombrables que sa silhouette nubile avait parcourues, sur lesquelles d'impérieuses empreintes avaient été inscrites, tracées à même le bitume, à force s'étaient évaporées.

D'autres silhouettes, déjà, différentes d'elle, aux formes plus lourdes s'essaimaient en ce lieu sans âme. C'est que, depuis sa disparition, rien ne pouvait être semblable.

Yaël avait disparu du monde. De cette réalité commode qui nous sert en toutes choses à nommer chaque parcelle, la moindre unité du monde... qui sans cela conserverait son aspect étrange et rude.

Il y avait eu un tunnel qui était apparu dans son existence et, sans aucune cérémonie, elle s'y était engouffrée. La chute avait été brutale, sans rémission aucune. Pourtant, cela lui avait servi d'échappée. Elle ne s'était pas rendue face au monde et cette disparition, somme toute, n'était qu'un leurre.

Derrière les mots, elle avait porté ses dernières empreintes. C'était cela qui se ruait à la suite du récit, ses propres mots s'emportaient et conduisaient ici d'autres sens, d'autres significations. Il s'agissait bien d'une histoire mais si faible, point structurée, sans but, sans final. L'histoire d'une origine si l'on veut.

 

Il aurait été nécessaire de placer sur ces pages un repère. En quelque sorte, pour que l'on s'y retrouve, il faudrait pouvoir imaginer la portée du moindre mot, ce qu'ils nomment et énoncent. Non plus des sentences mais des litanies.

2ème niveau :

Je suis si faible, écrivait Yaël, que je ne parviens plus à sentir mes mots. Ils s'échappent tant de mon corps que de mon esprit. Ils désiraient pourtant entrouvrir tant de brèches, asséner contre des murailles fermes des coups de boutoir mortels. Mais rien n'y fait... l'écriture se délite. Mais je ne me rendrai pas. Coûte que coûte, il convient que cela surgisse et que, tel un diable dissimulé dans sa boite, celui-ci jaillisse brutalement et s'étire si haut, si longuement, qu'on ne saurait en rien trancher le ressort qui le maintient si fermement au sol.

Je cherche... cherche... je sais qu'à force je trouverai ce que je souhaite. Il s'agit de cette image indéfectible qui ne cesse de ratisser ma mémoire.

Ici, il y a un corps blanc, mouvant, qui dès l'abord prend une fluidité sans pareille. Ce pourrait être l'énoncé d'un commencement, d'une origine. Pourtant, je n'y crois guère. Tant d'autres teintes se sont déplacées sur cette forme. Tant d'autres empreintes et tant de traces sur la peau qu'à force tout cela est irrémédiablement indénombrable. Les couleurs ont été mélangées. Des pigments savoureux se sont trouvés mêlés à la substance charnelle.

C'est un corps... cela je peux l'écrire. C'est également une rencontre. Mais que peuvent bien décrire tous ces pauvres mots que j'esquisse ?

3ème niveau :

La disparition avait été irrémédiable. Yaël s'était engouffrée dans ce tunnel noir avec le faible espoir d'y rencontrer enfin ce fantôme qui n'avait eu de cesse de s'enfuir.

A la fin, prise de scrupules, elle s'était laissé anéantir par tous ces souffles qui l'entouraient. Car autour, sur les parois du tunnel qui l'enveloppaient davantage au fur et à mesure de son avancée, des espaces de vies s'animaient. Des corps innombrables apparaissaient. Des corps sans nom et sans origine. Des corps blafards et lustrés par la sueur qui s'y amoncelaient. Mais, même affaiblie, elle ne cessait d'avancer. On pouvait bien s'efforcer de lui barrer la route, cela ne pouvait en rien anéantir sa volonté ni son courage. Elle désirait partir. S'éclipser. Il s'agissait déjà d'une autre route à suivre. Au fond, les lignes étaient blanches. Elle était si pâle.

4ème niveau :

La rencontre... C'est incroyable la portée que ce mot peut avoir sur moi. Dès son tracé, lorsque celui-ci existe enfin sur l'étendue de la page, je sais alors que j'ai atteint une de ces limites de prime abord indiscernable mais qui, si l'on s'en donne la peine, nous apparaît au détour d'une ligne ou d'une autre.

Il s'agit bien de la formation du récit. Coude à coude, les mots s'emportent et moi avec. J'existe alors avec ce sentiment inexpugnable en moi.

C'est qu'il faut s'efforcer de concevoir la réalité et de l'habiller à l'aide d'habits moins ternes. Pénétrer en elle par effraction pour la surprendre. Alors là, parvenu à ce point indéfectible où l'expression se trouve cernée, dévisager avec assez de justesse le visage qui paraît se dessiner.

C'est effroyable comme les efforts que l'on arrache de son être supplicié peuvent coûter. Je me sens défaite. La matinée commence à peine et j'ai déjà envie de rugir. Je voudrais rompre ce sac d'os qui me constitue afin que toute la liqueur contenue s'épande avec fracas et me noie.

Il est bien question de sentiment. Mais si étrange, iconoclaste même... On voudrait tirer sur la corde afin qu'elle rende enfin un son brut, libéré de la moindre contingence. Un son pur, il faudrait... Quelque chose de rude et d'abrupt. Quelque chose qui m'emporterait loin... si loin... qu'alors je ne pourrais plus décemment affirmer mon existence. Je me serais enfin éloignée.

5ème niveau :

Les rues s'étaient agrandies derrière elle. A force de volonté, un astre un peu fou s'était maintenu au-dessus du sol. A l'aide de quelques ruades soutenues, elle était parvenue à s'extraire du tunnel opaque. Il ne l'aura pas dévorée. Pourtant, Yaël n'existe plus ni à nos yeux ni pour autrui. C'est qu'elle s'est dérobée subtilement. Le monde ne posera plus sur elle un quelconque poids affligeant. Elle est libre. Aucune contrainte. Seuls les mots la dirigent. Etant donné que leur conception est de son fait, elle n'a plus lieu de craindre l'oppression pesante que ceux-là faisaient peser sur son âme.

A force de coup, elle s'était disjointe de leur monde. Elle n'appartenait qu'à elle-même. C'est pour cela qu'elle dansait, que ses longs cheveux sombres enlaçaient son corps, lui faisant comme une carapace indestructible où sa peau nue jouait de temps à autre à apparaître.

Apparition-disparition : c'est tout l'art de la danse. Il s'agit de s'élancer dans l'espace, de se ruer au-delà, ainsi de s'enfuir et de s'échapper. Les bras se balancent, des mains équilibrent la pose, le corps est arc-bouté. Sa sensualité est imparable.

Abandonnant le tunnel, elle avançait et ses pas l'emmenaient vers d'autres régions où les mots étaient plus souples. Son regard s'était libéré. Comme pris d'une certaine ivresse, ses yeux roulaient à l'intérieur des orbites et tout en muant ils paraissaient même s'en déjeter furieusement. Des trous blancs, des trous vides. Elle n'abandonne ici qu'une absence.

6ème niveau :

Sortir de tout son corps ce qui pèse et vous empêche de vous mouvoir davantage. Je sors chaque mot et je sens qu'avec eux le sang rude jaillit. C'est pour cela que je n'écris plus des mots sombres mais plutôt des vocables rutilants, sauvages, quelque chose d'écarlate teinte mes doigts. Ce pourrait être l'ensemble de ma vie qui se déjette ici-bas.

C'est mon sang, bien sûr. J'attends avec lui que circule mon désir. Il faut qu'il bout, qu'il attise cette folie en moi, autrement, je le sens, je ne saurais échapper à cette rumeur sourde qui désirerait m'enfoncer profondément sous la terre meuble.

J'ai passé mon crâne par la fenêtre et une chaleur furieuse s'est ruée sur mon occiput. Je me sens si lasse. A bout, je pourrais rompre et me rendre. Cela est possible. D'autant que cet amour me lie à son corps plus sûrement encore qu'aucun autre lien. Pourtant, je ne lui appartiens pas. Tout juste puis-je lui accorder le droit de me palper, de sonder tous ces abîmes. Mais je ne me livre pas.

J'ai les mains enserrées autour de la balustrade bouillante. Je me brûle et c'est un délice. Micha est venu hier soir. Après... lors de son départ, je me ruais vers ma fenêtre et je respirais. De grandes goulées. M'abrutir. M'évanouir. Je ne désirais rien d'autre. Trop de brèches, de vannes entrouvertes. Des puits immenses en lesquels plonger mais si opaques. Je n'écrivais plus alors. Seuls l'absence et le vide.

7ème niveau :

La disparition agissait. Elle n'était plus de ce monde. Elle n'écoutait plus que ces rumeurs infimes. Rien d'autre n'aurait su la porter. Sa danse s'était achevée abruptement. Ses yeux s'étaient déroulés, avides. Elle avait suivi un autre chemin. Sa jambe droite l'élançant, elle boitait. Elle était à la dérive. Un pauvre bateau à voile subissant les caprices des éléments. Elle ne suivait plus aucune route. Ses pas ne la menaient nulle part.

Derrière... un signe. Quelque chose d'ineffable. Encore un corps de perdu. Du moins son enveloppe.

(A suivre).

Début du récit avec le 1er épisode suivre ces liens :

1ère séquence

https://panodyssey.com/fr/article/culture/la-circulation-du-desir-recit-1996-1er-episode-1ere-sequence-sfep6wvbgd52

2ème jusqu'à 15 séquence

https://panodyssey.com/fr/article/culture/la-circulation-du-desir-recit-1996-1er-episode-2eme-et-3eme-sequence-v5uhgr8f6age

 

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