Chapitre 13 : le royaume de Séraphin (roman)
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Chapitre 13 : le royaume de Séraphin (roman)
Cela fait plusieurs semaines maintenant qu’Elisa est arrivée au royaume. Son petit frère lui manque beaucoup, mais elle s’est faite à l’idée qu’il ne pourra plus jamais l’écouter lire ni se faire cajoler dans ses bras. De son côté, elle sait qu’elle va retourner sur Terre pour des missions mais elle ne sait pas encore lesquelles. Ce sera l’occasion de le revoir.
Thibaut, Titouan et moi aimons beaucoup Elisa. Nous sommes même devenus accros à ses histoires. Un lien particulier s’est tissé entre nous. Elle est traumatisée par la trahison de ses anciens amis, mais elle a bien compris qu’ici, elle ne craint plus rien. Aujourd’hui, elle est bien décidée à faire connaissance avec les ados du royaume. Nous avons hâte de lui présenter Sébastien et Julie et d’en apprendre davantage sur leurs projets d’intelligences artificielles. Elisa se demande bien quel superpouvoir elle a. En ce jour spécial, elle se sent prête à poser la question à d’autres adolescents. Elle est d’humeur joyeuse et elle sifflote.
- Elisa, tu pourrais nous chanter une chanson ? lui demande Titouan alors que nous nous rendons auprès des ados.
Aussitôt, elle s’exécute. Nous sautillons et dansons dans le couloir. Je crois bien qu’on ne passe pas inaperçus. Avec tout ce joyeux vacarme, pas besoin de nous annoncer. Tout le monde nous entend arriver.
Dimitri nous accompagne car il veut remercier les jeunes de lui avoir offert la montre. Grâce à Amitia, il ne rate plus aucune information en raison de sa distraction. Elle vibre quand son esprit s’évade et stocke tout ce qu’il a pu manquer autour de lui. Grâce à des replay, il peut visualiser les scènes souhaitées. Avec elle, il s’est également mis au dessin car elle fluidifie son geste. Son écriture est méconnaissable et le rendu de ses dessins est parfaitement propre. Il invente des monstres tous plus déjantés les uns que les autres, leur donne d’étranges noms comme « tyranovore » ou « excalibrousse » et leur donne vie grâce à Amitia qui lui permet de les animer en quelques clics. Son fan club de bambins en rit à gorge déployée à chaque fois que Dimitri leur présente ses personnages.
Les ados sont occupés à coder. Elisa reste en retrait. Elle a l’habitude d’être rejetée et n’ose pas s’imposer. Les conversations que nous avons eues ces derniers jours ont attisé sa curiosité et l’aident à franchir ce cap difficile de la rencontre avec d’autres adolescents. Je sais donc qu’elle n’a pas l’intention de reculer, mais je sens bien qu’elle ne fera pas le premier pas. Elle m’a expliqué que les intelligences artificielles la fascinent. Elle a déjà des fictions sur le sujet et ça lui semble irréel. Elle a plutôt l’impression que cela relève plus de la science-fiction que de la réalité.
Je prends la parole pour engager la conversation entre elle et les autres.
- Bonjour à tous, je vous présente Elisa. Elle aurait dû avoir quinze ans aujourd’hui si sa vie sur Terre ne s’était pas arrêtée. Elle aimerait bien faire votre connaissance.
Un brouhaha me répond.
- Joyeux anniversaire, Elisa ! Bienvenue parmi nous !
- Bonjour à tous. Merci pour votre accueil. J’avoue que je ne suis pas très à l’aise. J’ai toujours été rejetée en raison de ma différence. On m’a bien expliqué qu’ici tout le monde serait bienveillant avec moi mais je reste toujours sur mes gardes, malgré moi.
- Ne t’inquiète pas ! La plupart d’entre nous a vécu la même chose. Nous te comprenons parfaitement. Approche ! Nous allons t’expliquer ce que nous sommes en train de faire.
Moi aussi, j’ai envie de voir. Je suis toujours aussi bluffé par ce qu’ils sont capables de faire, ces ados. Ils m’intriguent, surtout depuis que j’ai été visiter le poste de pilotage. Je suis donc ravi d’accompagner Elisa dans sa quête d’informations et d’amitié.
- Moi, c’est Mathéo. Viens voir : nous sommes en train de faire de la programmation. Tu sais faire ça, toi ?
- Non, mais j’apprends vite et j’ai envie de me rendre utile.
- Ça tombe bien, alors ! Tu es au bon endroit, intervient alors Carole. Nous avons des millions de lignes de codes à créer pour améliorer nos intelligences artificielles.
- Elles vous servent à quoi ?
- Tout d’abord, elles nous servent à automatiser le choix des décès sur Terre. Grâce à des algorithmes complexes, elles vont nous conseiller d’accepter ou non le décès de chaque Terrien. La décision finale revient toujours aux responsables du poste de pilotage mais les intelligences sont là pour les aider dans leur choix, commence par expliquer Jade.
Puis, c’est au tour de Mathéo de prendre la parole :
- Ces intelligences comptabilisent chaque entrée dans le royaume et chaque place qui se libère dans la geôle. Elles gèrent aussi les équipes formatrices. Comme tu le sais sans doute : ici, il est primordial que chaque personne qui arrive soit prise en charge de manière optimale pour l’aider à surmonter sa peine. Il faut aussi qu’il y ait des personnes formées au reformatage des meurtriers et autres bourreaux de la geôle. Il faut aussi bien entendu qu’il y ait suffisamment de pompiers, d’équipes chirurgicales et de mamies pour accueillir les nouveaux. Toute cette logistique est très complexe.
- Certaines gèrent les flux du royaume, ajoute Carole tandis que d’autres collectent les événements qui ont lieu sur Terre. Elles ont connaissance des cas de maltraitance d’enfants, de maladies, d’accidents et de guerres, notamment…
Un adolescent aux cheveux longs qui était resté silencieux jusque-là, semble se réveiller de sa sieste. Il parle lentement. Je reconnais immédiatement Sébastien, l’enfant dyspraxique qui m’avait montré sa bande-dessinée lorsque nous avons offert la montre à Dimitri. Je me faisais une joie de le revoir. Il dévisage Elisa avant d’ajouter :
- Elles communiquent entre elles et, en une fraction de seconde, elles renvoient le tout sur les écrans de surveillance. A la fin de cette chaîne, ce sont toujours les opérateurs du royaume qui décident…
- …et ils appuient sur le bouton vert ou sur le bouton rouge, le coupe Titouan qui se rappelle de la visite du poste de pilotage.
- Exact !
Elisa n’en revient pas.
- D’accord, je comprends mieux. C’est impressionnant ! Et donc, c’est vous qui codez et programmez ces machines ?
- Oui, tous les adolescents du royaume les créent, les entretiennent, les réparent et les améliorent.
- C’est donc pour cette raison que j’ai été recrutée si j’ai bien compris.
Sébastien qui continue à l’observer attentivement intervient à nouveau :
- J’ai l’impression que tu ne connais pas grand-chose de la vie ici. Est-ce qu’au moins, tu sais quel est notre superpouvoir, à nous, les ados ?
C’est comme s’il lisait dans ses pensées. Il a une hypersensibilité émotionnelle et une perception sensorielle hyperdéveloppées. Elisa est fascinée par son interlocuteur. Elle a déjà vu des reportages sur les enfants dys. Leurs troubles sont souvent perçus comme un handicap car ils ont des difficultés d’apprentissage, notamment en lecture et en écriture, mais en fait, si on leur donne les moyens de s’épanouir, ce sont de véritables génies dotés de pouvoirs exceptionnels. Elle a même lu que la Nasa embauche des dyslexiques pour leur capacité à trouver des solutions qui échappent aux autres.
- À vrai dire, non, je ne sais pas. J’espérais qu’en venant vous voir, j’obtiendrais réponse à toutes mes interrogations.
Jade la couve de son regard chaleureux. De mon côté, je reste silencieux même si je brûle d’impatience de connaître la suite. J’ai travaillé ma capacité à attendre avec une maman du royaume. Le feu brûle en moi mais je le contiens.
- Ne t’inquiète pas, ajoute Jade. On va tout t’expliquer. Notre don, c’est de pouvoir retrouver les corps ensevelis sous les décombres ou dans les océans par exemple. Avec nos lunettes spéciales équipées de rayons X, nous sommes capables de voir au travers des gravats leur squelette et ainsi permettre aux pompiers du royaume de les récupérer. Grâce à notre gant équipé d’un laser, nous arrivons à créer des tornades et ainsi dégager les corps.
- Waouh ! Je n’en reviens pas ! C’est ça votre superpouvoir ?
- NOTRE pouvoir, tu veux dire ! la contredit Sébastien en lui adressant un clin d’œil.
- Oui, NOTRE…il faut que je me fasse à cette idée ! répond Elisa.
- Nous sommes très utiles en cas d’événements climatiques dévastateurs comme des tsunamis par exemple, afin que chaque victime rejoigne notre royaume.
Elisa est un peu effrayée en entendant ce mot « tsunami ». Elle tente de dissimuler sa stupéfaction. Il y a quelques mois, elle a lu un roman qui parle d’un gigantesque tsunami qui a noyé plusieurs pays. Elle y a suivi l’histoire d’une rescapée qui ne devait sa survie qu’à son courage et l’espoir de retrouver ses enfants vivants. Emportée par les flots, elle s’était gravement blessée à une jambe avec des objets qui l’avaient violemment percutée pendant son périple au milieu des eaux déchaînées. Elle avait erré pendant plusieurs jours, en nageant et en s’accrochant aux rares arbres qui avaient résisté au passage du monstre de puissance. Elle avait dormi perchée sur l’un deux sans manger ni boire, plusieurs jours durant tandis que sa plaie béante s’infectait. Elle avait finalement dû être amputée de sa jambe alors que sa famille avait été décimée. Les morts se comptaient par millions, répartis sur plusieurs pays.
Elisa est donc assez choquée en pensant aux centaines de milliers de vies que ce genre de phénomène météo peut engloutir en un instant.
Jade perçoit son désarroi et tente de la rassurer :
- Moi aussi, j’ai réagi comme toi. J’étais terrorisée à l’idée de voir autant de gens mourir, mais rassure-toi, c’est assez rare et nous nous y préparons. Nous sommes sur le qui-vive en ce moment car les intelligences artificielles nous indiquent qu’un événement de grande ampleur devrait bientôt se produire. Mais on ne sait pas encore lequel. En attendant, nous mettons tout en œuvre pour accueillir ici tous les nouveaux dans de bonnes conditions. C’est ce que nous expliquions tout à l’heure. D’où l’intérêt de bien programmer nos intelligences artificielles pour recruter en amont de cet événement suffisamment de personnes qualifiées et de prendre le temps de les former à leur nouvelle tâche pour qu’elles soient prêtes le jour venu.
Alors que je n’avais pas encore ouvert la bouche jusque-là, je ne peux m’empêcher de commenter :
- Moi, j’ai bien envie de voir ça de mes propres yeux.
- Ah non, Timéo, ce ne sera pas possible. Ce n’est pas pour les bébés ! me répond Jade
Elle sourit en disant cela, mais je suis vexé quand même.
- Et pourquoi donc ?
- Oui, c’est vrai ! Pourquoi ? intervient Thibaut en comprenant que lui non plus ne pourra pas assister à ce genre d’événement.
- Nos interventions se déroulent dans des conditions assez difficiles, même dangereuses. Rends-toi compte Timéo que nous travaillons parfois en pleine tempête avec des vents violents. Parfois, nous arrivons juste après un tremblement de terre alors que de nouvelles répliques peuvent encore se produire. Ce ne sont vraiment pas des endroits où il fait bon se trouver.
Elle m’adresse un sourire narquois en terminant son explication, mais moi, je n’ai pas envie de rire. Je croise les bras et je fais la moue. Je déteste qu’on me contredise. C’est comme Séraphin, elle a le don de m’agacer. Elisa me prend alors dans ses bras, me lance en l’air et me rattrape. Elle éclate de rire tandis que moi, j’essaie de reprendre mon souffle, saisi par ce qui vient de m’arriver ! J’ai l’impression d’avoir sauté dans le vide sans avoir eu le temps de déployer mes ailes. Je ne connaissais pas cette sensation forte dont les Humains sont fanatiques. J’en ai déjà vu qui sautent en parachute et je me suis aussi déjà amusé à virevolter autour d’attractions à grande vitesse dans des fêtes foraines sans jamais comprendre ce que les Terriens recherchaient comme sensation. Là, j’ai bien compris, merci ! Ma colère a instantanément disparu avec le haut-le-cœur.
- Puisque Timéo est calmé, je vais pouvoir poursuivre ajoute Jade.
Non, mais je n’en reviens pas : elle me nargue ! Je serre les poings, prêt à lui répondre, mais à nouveau, Elisa me projette dans les airs.
- Ouh là !
Je m’accroche fermement à son cou. Je n’aime pas du tout ce qu’elle me fait. J’ai peur et je n’ai pas envie qu’elle recommence.
- C’est bon, je crois que j’ai compris !
Thibaut et Titouan sont tout pâles en voyant ma tête. Ils ont l’air tétanisés. En voyant leur mine déconfite, j’éclate de rire. Je ne les ai jamais vus comme ça, mes amis. Mes rires déclenchent l’hilarité générale. Thibaut décompresse d’un coup et se moque de moi :
- Regarde-toi Timéo ! On dirait moi avec tes cheveux en pétard, maintenant !
Dimitri approche sa montre transformée en miroir. J’ai l’air d’un chimiste fou qui vient de réaliser une expérience mal contrôlée. A mon tour de me moquer de ma tête ! Après cette franche rigolade, difficile de reprendre notre sérieux sauf pour Sabrina qui est autiste. Elle a bien suivi toutes l’histoire mais elle a du mal de décrypter les émotions. Elle ne comprend pas bien l’expression de la colère ni pourquoi ma tête provoque des éclats de rire. Le plus sérieusement du monde, elle poursuit les explications puisque tout le monde a l’air d’avoir perdu le fil de la conversation :
- Si ça peut vous consoler, les chérubins, vous pourrez suivre nos prochaines interventions en direct en salle de cinéma puisque vous n’êtes pas autorisés à nous accompagner.
Sébastien lui adresse un clin d’œil pour cette idée lumineuse. Il l’aime bien Sabrina. Ils se comprennent. Sabrina se contente de peu, est heureuse d’être ici et est toujours d’égale humeur. Elle est arrivée au royaume car elle a été fauchée par une voiture sur un passage piéton. Elle avait voulu rejoindre une de ses camarades de classe de l’autre côté de la route. Elle avait traversé alors que le feu était au rouge, négligeant les règles de base de la circulation. Sa maman connaissait pourtant le risque. C’est pour cette raison qu’à 13 ans, elle accompagnait toujours sa fille dans ses sorties, mais il avait suffi de quelques secondes d’inattention pour que le drame se produise.
Elisa qui était venue à la rencontre des ados pour découvrir son superpouvoir n’est pas déçue. Elle ne s’attendait pas du tout à entendre tout cela. Maintenant, elle a besoin de temps pour digérer toutes ses informations et espère qu’elle n’aura pas à faire usage de son don ni bientôt, ni souvent.
Sur ce dernier point, les ados sont unanimes, ça n’arrive pas fréquemment. Heureusement !
- Ne t’inquiète pas ! reprend Sébastien qui a bien saisi son angoisse ! Tu vas commencer par rechercher des corps juste après de petits événements climatiques sans grande conséquence sur les vies humaines.
Jade lui explique alors qu’en ce moment, il y a souvent des avalanches et qu’il faut parfois retrouver un corps enseveli sous la neige. Elle propose d’ailleurs à Elisa d’y aller ensemble lorsque la prochaine se produira. Elisa accepte bien décidée à appréhender ses peurs.
J’ai bien envie d’y aller, moi aussi
- Pour un petit événement comme ça, je pourrai venir ?
Je les supplie en joignant mes mains et en me mettant à genoux.
- Tu regarderas depuis la salle de cinéma. Si tu le souhaites, tu pourras même te connecter à la caméra embarquée sur mes lunettes, répond Jade. Ainsi, tu vivras l’événement comme si tu y étais.
J’en sautille de joie. Thibaut et Titouan sont eux aussi emballés par ce spectacle en 3D.
...la suite au chapitre 14...
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