L'Egorgeur : Chapitre 1
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L'Egorgeur : Chapitre 1
Le Commissaire Demesy n’aime pas les routes du Sud quand la saison des Belges bat son plein. Et une villégiature dans un patelin qui passe de 15 000 à 150 000 habitants en période estivale ne correspond peut-être pas tout à fait à sa vision de vacances « tranquilles ». C’est le prix à payer quand on veut faire plaisir à sa femme.
— Mon époux, le cuisinier est d’accord pour ton jus de betteraves au petit-déjeuner.
Gros soupir.
Le soleil de l’Ardèche et les cigales auraient pu lui faire oublier le régime crudivore auquel seul le chien n’était pas soumis. Puis on lui avait demandé de ne pas allumer son Montecristo aux abords de la piscine. Et là dessus, Madame arrivait avec son bichon maltais sous le bras pour achever de lui casser le moral. Qu’il était loin, le temps de petits plats mijotés et des desserts maison !
— Formidable.
— Tu as l’air morose. Qu’est-ce qui te chagrine ?
— Rien. Juste un peu de fatigue.
— La route ? Pourtant ta nouvelle voiture est confortable.
— Ce n’est rien, passons.
La sonnerie du téléphone mit fin à la conversation. Le Commissaire écouta son appelant un moment avant de lâcher : « Très bien, j’arrive… Non, face à l’Hôtel de Ville, je trouverai… »
Au regard interrogateur de Madame, il répondit :
— Je vais te laisser avec Monsieur Ludwig. Les gendarmes locaux semblent avoir besoin de mes lumières.
— Quelque chose de grave, mon époux ?
— Juste un meurtre ou deux.
Un petit interlude qui ne tombait pas au mieux. Mais il allait permettre à Émile Demesy d’échapper un peu à la vigilance de sa femme.
La toute petite Rue de la Mairie était bien encombrée par les deux estafettes de gendarmerie. Le commissaire laissa sa berline confortable comme on abandonne une paire de savates devant le canapé.
— Vous ne pouvez pas rester là !
Émile adressa un coup d’œil sans équivoque par-dessus ses lunettes teintées au garçon de café qui venait de l’interpeller. Malgré les bras de chemise imposés par les températures de mi-juillet, l’élégance naturelle du Commissaire, un homme bien bâti, bien coiffé, bien rasé, en imposait largement autant que son regard.
— Commissaire, nous vous attendions lança l’un des gendarmes en le rejoignant. Brigadier Mandolini.
Légèrement épais et rustique, les cheveux de jais bien fournis, lui aussi était de belle stature.
— Mandolini, c’est corse ça, non ? Qu’est-ce qu’on a ?
— Heu oui… Quatre personnes égorgées dans leur lit dans différentes chambres réparties sur les deux étages de l’hôtel.
— Un tueur en série donc !
— Ah ? Vous avez d’autres cas de ce genre ?
— Non. Mais il viens de faire une série.
— Heu oui… Certes…
Mandolini se demanda s’il devait prendre cela pour du lard ou du cochon. Une légère pincée d’espièglerie lui avait semblé poindre sous l’aplomb du Commissaire. Mais impossible d’en jurer dans les secondes qui suivaient.
— Vous voulez attendre le Capitaine ? Il est avec le Maire.
Eludant la question d’un geste, le Commissaire avisa l’énorme enseigne Jupiler.
— C’est là ? C’est tenu par des Belges ?
— Oui. Non, les patrons sont Bretons.
Émile pensa tellement fort que son soulagement ne faisait aucun doute. Il a beau être professionnel, commencer la journée en interrogeant des Belges avant de s’en être jeté un petit derrière la cravate, c’est rude.
— Vous comprenez le breton, se risqua à demander Mandolini ?
— Ne me confondez pas avec le Commissaire Maigret, cher ami. Mais c’est déjà plus agréable à l’oreille que le liégeois.
Tandis qu’ils s’avançaient vers l’étroite entrée de l’hôtel, le Commissaire posa une main amicale sur l’épaule de Mandolini.
— C’est votre première affaire de meurtre ?
— En effet. Ici, nous traitons surtout des vols à la roulotte ou des bagarres d’ivrognes.
Photo couverture de Craig Whitehead sur Unsplash