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Mémoire porcelaine

Mémoire porcelaine

Publié le 31 mars 2025 Mis à jour le 31 mars 2025 Biographie
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Mémoire porcelaine

Il y a un peu plus d'un an, j'ai dû circonscrire 22 ans d'une histoire d'amour qui avait débouché sur une union - une sacrée aventure pour moi, qui jeune adulte ne voulait ni me marier, ni avoir d'enfants -, et une vie de famille nombreuse, à un volume de cartons devant rentrer dans un tout petit appartement, pour moi et mes trois enfants ...


Comme je vois de la poésie dans tous les objets par leur détournement possible, le tri draconien fut un vandalisme dans l'atelier-brocante de mon coeur.


Depuis, j'essaie de me créer un chez moi, là où je ne me sens pas chez moi mais où je remercie la vie ( et moi aussi, quand même un peu ) tous les soirs d'avoir un toit. Les enfants m'ont dit qu'ils s'y sentaient heureux. C'est déjà bien.


J'ai dû avoir recours à mille aménagements - sans percer de trous! - pour essayer de conserver tous mes trésors de vie. Parfois, j'ai accepté de m'en séparer pour ne plus perdre d'énergie à leur trouver une place ... C'est ça aussi l'injustice d'avoir été jetée aux orties.



Il y a peu j'ai décidé d'investir dans un porte-mugs pour essayer de gagner en espace de rangement ...


Et j'ai réalisé que ma vie était là : résumée et suspendue devant moi.



Il y a le mug de l'enfance - quand je pensais que ma mère qui savait si bien me choisir des cadeaux m'aimait. Depuis si j'ai appris à lui reconnaitre sa fibre artistique indéniable, j'ai dû accepter que celle maternelle est toxique.


Le mug du trio d'étudiantes - chacun le sien, issu d'une collection des musées -, quand on scellait l'amitié par des rires complices et des private jokes. Mes amies, mes soeurs de toujours : je forme depuis longtemps maintenant un duo avec chacune d'elles, depuis leur dispute irrévocable : je reste leur chaînon humain ...




Il y a le mug champêtre qui tendait à me définir quand nous sommes revenus sur mes terres et que nous avons réalisé mon rêve d'une maison familiale à mon image.


Un autre aux allures similaires, l'espièglerie en plus, offerte par l'une du trio : elle connaît si bien mes goûts de chasseuse de petits trésors originaux.


La tasse jumbo au colibri dont j'ai éculé la parfaite rondeur à telle point qu'elle se fissure aujourd'hui ...


Et tout ce que je chine en vaisselle ancienne ou en ressourcerie depuis le chaos, comme pour me reconstituer une vaisselle de famille - une mémoire.




Le mazagran de mes racines grand-maternelles. Celle à qui j'étais viscéralement attachée. Celle que j'aimais plus que ma mère. Et pourtant, j'ai pris conscience depuis de ses trahisons ...

Je trouve les mazagrans supra-élégants. Je n'ai que celui-ci. Et leurs cuillères, supra-pratiques ! J'en ai des tas !



J'ai pu conserver une délicate tasse aux allures anglaises, la préférée de celle que j'ai aimé comme ma propre grand-mère. "Sa" grand-mère, distinguée et attachante.

Je suis convaincue qu'il n'aurait jamais osé me jeter aux orties du temps de son vivant.



Il y a les mugs des enfants, ceux voués à disparaître de mes étagères pour un "chez eux".

Le "van Life" du plus grand est déjà parti tracer sa route ...



Et puis il y a le mug que je lui avais offert à nos débuts ...

Il ne l'a pas voulu dans ses bagages de minimaliste-jouisseur de sa nouvelle liberté et de sa pépette-galipette.


Je n'ai pas pu m'en défaire. Je l'avais choisi avec tant de soins ... Mais ces jours-ci, en rangeant, je me suis dit qu'il était temps de m'en séparer.



" En général, on ne casse pas un vase parce qu’il ne vous plait plus. "



Cette citation, je l'avais notée à la volée il y a plusieurs mois, pour panser.


Je ne peux pas faire comme il a fait : tout casser pour repartir de zéro.

En partant comme il l'a fait, il a détruit tout ce que nous avions bâti.

Et par une attitude traîtresse sur la durée et des réflexions accablantes, moi aussi ...


Mais je ne peux pas casser ce mug, son mug. Il est la mémoire de notre passé qui a existé.






Je sais bien que lorsque je pars dans mes chimères anciennes, c'est pour ne pas affronter ce qu'il me reste encore à avancer. Je suis en train de planter mon année d'études alors je ne voulais pas mettre le peu de forces qu'il me reste à poursuivre cette table rase. J'ai si peur d'ôter le gravier de trop qui maintient mon édifice propre.



Jusque-là je m'en suis tenue à perdre peu à peu la mémoire de ce qui avait été.


J'ai pris ses lâchetés, ses raccourcis aveugles comme des cadeaux pour apprendre à le mépriser. J'y suis arrivée. Il faut dire qu'il a vraiment continué à se/me donner beaucoup de mal pour ça.


Mais ma colère était vibrante et m'essoufflait. Alors j'ai oeuvré, j'oeuvre pour la laisser partir ... Elle se tempère même si l'indignation face à certaines de ses actions explose. Quand il réapparaît pour m'acculer de son inconsistance égoïste, la vague me submerge encore et j'aimerais venir frapper de toute la violence qu'il nous fait vivre sa vie parfaite et rangée !


Je me suis arrangée pour que nous n'ayons plus besoin de nous voir.

Je ne lui écris que dans d'absolues nécessités. Même si sa façon de me déléguer 80 % du temps nos enfants est dégueulasse pour eux, comme pour moi. Je croule sous un emploi du temps que je ne maîtrise pas et une charge mentale qui me broie.


La seule chose qui me fasse tenir et me libérer de ma rancune est de me dire que je suis en accord avec ce que je leur ai promis en les mettant au monde.


Tant pis pour lui : leurs regards changent et ils prennent conscience de plus en plus de l'injustice et du non-sens de son attitude.



Et quand parfois je me réaligne, j'arrive à ne voir en lui plus qu'un épouvantail vide de sens.

Il est possible qu'il vive dans le déni de sa brutale décision à jamais. Et même franchement heureux.

Je ne peux rien changer à cela. Je ne dois plus vouloir obtenir la moindre reconnaissance.

Je suis parvenue à faire sans. Mais quel lègue minable avons-nous fait à nos enfants ...




Pour autant, j'ai compris il n'y a pas longtemps que mon chagrin est toujours là et qu'il me faut le soigner autrement que par le mépris ou l'indifférence.


L'an dernier, durant mes nuits agitées, quand j'avais encore Netflix, j'ai regardé une série légère espagnole : Valeria. Quatre amies pour protagonistes principales. Valeria a connu un amour jeune et est la seule mariée. Mais le couple bat de l'aile. Et après plusieurs péripéties, le couple se sépare avec fracas.


Adrien et Valeria finissent pourtant par faire la paix, en reconnaissant chacun leur torts. Et Adrien, qui vient de rendre hommage à leur amour ancien par une exposition de photographies de Valeria, lui offre cette phrase ( ma mémoire l'a retenue ainsi ) qui me fait pleurer à chaudes larmes à peine qu'elle affleure mes pensées :


" Merci d'avoir grandi avec moi."


Il n'est rien de plus juste que ces quelques mots. Se séparer reste sans doute dans le cours des choses ... Mais au-delà des différents, il faudrait toujours être en capacité de reconnaître ce que l'autre a été pour nous. Être en capacité de le remercier ...



Je l'expliquais à ma thérapeute, en pleurant bien entendu à cette évocation ... En pointant mon sentiment de saccage d'une vie entière. Je n'aurai jamais de merci. Ni bien sûr de pardon.

Mais qu'en plus, il était allé jusqu'à salir et détruire tous nos souvenirs ...


J'ai mis tant de moi dans notre famille. Je trouvais beau cette aventure humaine où je nous sentais comme une incroyable équipe en symbiose !

Si je me dis que j'avais tout faux depuis le début, qu'il n'est resté avec moi que pour ce que j'étais prête à concéder en plaçant ma confiance en ses plans de vie pour nous, alors cela veut dire que j'ai fait les plus mauvais choix qui soient. Que je me suis sacrifiée pour quelqu'un qui n'a même pas été capable de reconnaître qu'il a trahi ses promesse et agi à l'encontre de ses valeurs ...


Que j'ai gâché ma vie.


Le bout qui me reste et qui m'attend n'étant pas sous les meilleurs augures : comment tenir debout ?


Ma thérapeute m'a dit que c'était à moi de faire en sorte que nos années communes demeurent mon trésor.


Inconsciemment, je sais que j'avais déjà procédé à mettre en oeuvre l'alchimie de la douleur en quelque chose de beau en écrivant ce recueil que je voudrais un jour achever Pour qu'il y ait quelque chose.


Mais je veux aussi pouvoir raconter hier devant mes enfants et qu'ils sachent que pour moi, tout avait un sens. Qu'ils ont été le fruit d'un amour où alors je n'avais aucun doute.




J'achève ce post après une espèce de crise d'angoisse qui a plombé mon estomac du plein milieu de la nuit jusqu'à la fin de la matinée. Je dois "le" retrouver pour l'orientation du plus jeune ...

J'ai - comme de bien entendu - une tête de déterrée, le coeur qui bat lourdement dans mon estomac, le souffle poussif ...

Il s'est manifesté la veille du rendez-vous, et débarque comme une fleur pour s'investir alors que j'ai assuré seule entre autre le stage de 3e, et le rapport de stage quinze jours après, et deux portes ouvertes dans des lycées dans la pampa ... Et je dois encore me demander comment me positionner par rapport à lui de visu devant des professionnels où il va faire le coq ...

Mais comme de bien entendu, c'est pour le bien d'un de mes enfants : alors je lâche ...


Il faudra encore passer le cap du 10 avril, le cap plus facile de fin mai car je n'ai pas réussi à mémoriser la date précise ...



Je ne sais vraiment pas comment conserver mon trésor de ces années ...

Mais cette semaine, c'est avec délicatesse que j'irai déposer à la ressourcerie ce bout de ma mémoire porcelaine.







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Commentaires (2)

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Gand Laetitia verif

Gand Laetitia il y a 1 jour

Profondément touchant et j'en comprends tellement chaque mot. Je ne vois plus mes parents depuis 2022 mais ma mère me dit qu'elle pense chaque jour à moi. Elle m'envoie un colis pour Noël, chacun a le droit à un cadeau mais, cela me blesse autant que cela me touche. La valeur sentimentale des objets est incroyable mais elle nous rappelle aussi la valeur des relations que nous avons avec ceux qui nous entourent. J'ai réalisé depuis un certain temps que je m'étais entourée d'objets, de livres... pour compenser les vides et combler un peu les souffrances. On ne sent rend pas forcément compte pendant longtemps, on accumule mais lorsque par exemple, la vie de couple n'est plus ce qu'elle était, là, on est face à toute cette accumulation et s'en détacher n'est pas simple. Chaque chose est un rappel d'un passé, d'un bonheur, d'une émotion. Dernièrement, mes parents ont été cambriolés et par chez moi, il y a eu des cambriolages et j'ai pris encore plus conscience ce l'attachement aux choses et je commence à trier.

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Aline Gendre verif

Aline Gendre il y a 1 jour

Merci, Laetitia.
Oui, sans doute que l'on comble avec les objets.
À la fois, j'aime ce qu'ils ( me ) racontent. :-)

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