Le Vent (The Wind, Victor Sjöström, 1928)
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Le Vent (The Wind, Victor Sjöström, 1928)
Au XIX° siècle, Letty (Lillian GISH) est une jeune femme raffinée et coquette qui quitte le cocon de sa Virginie natale pour se rendre dans le ranch de son cousin situé dans le Far West. Un autre monde, un monde encore indompté, rude, âpre et sauvage auquel elle n'est pas préparée. Dans ce monde, le vent est omniprésent, lancinant, obsédant, il dicte sa loi aux hommes lorsqu'il prend l'aspect de violentes tornades ou lorsqu'il s'infiltre insidieusement dans le train et dans la maison qu'il recouvre de poussière. On ne l'entend pas, on le sent, on le ressent grâce à la puissance expressive des images et de la musique. L'omniprésence du vent et de la poussière dans le film est une traduction de cette prise de pouvoir de la nature sur la culture et du glissement imperceptible de la réalité vers les profondeurs de l'inconscient, le film se situant à la lisière du fantastique et prenant la forme d'un long rêve éveillé.
Au contact de cette nature déchaînée Letty "s'ensauvage" et libère ses émotions profondes et ses pulsions enfouies: la métaphore de la chevelure dénouée et du pistolet chargé se rejoignent dans le même maelstrom de désir et de mort, les deux mystères les plus insondables de la nature humaine. Elle affronte également au corps à corps celles des autres qui se révèlent dans toute leur crudité: la jalousie viscérale (la carcasse qu'elle vide est tout à fait éloquente) de la femme de son cousin (Dorothy CUMMING) et la bestialité de Roddy (Montagu LOVE), le vendeur de bétail (!) dont l'apparence avenante cache un féroce prédateur. A l'inverse, Lige (Lars HANSON), le cow-boy frustre qu'elle épouse par défaut dissimule sous sa gaucherie une noblesse d'âme insoupçonnée. C'est lorsqu'il veut l'aider à reprendre sa liberté qu'elle s'attache à lui et tente de dompter sa peur (du vent, des chevaux, de la sexualité). Car ne voir que bassesse, noirceur et tragédie dans ce film c'est passer à côté de son autre dimension. La nature se nourrit de l'équilibre des contraires si bien qu'en accepter le versant négatif permet d'accéder également au versant lumineux. "Le Vent" n'est pas qu'un déchaînement de pulsions c'est aussi un grand film d'amour. Un amour qui ne peut s'épanouir que dans le renoncement à la possession. Il est une élévation, un dépassement de son petit moi égoïste pour embrasser l'infini du cosmos. Letty aurait pu ne pas survivre à l'épreuve, perdre la raison et errer dans le désert Mojave comme Travis dans "Paris, Texas" (1984). C'était la première fin envisagée. Mais la voir ouvrir grand sa porte et écarter ses bras pour accueillir la force du vent à la manière de la figure de proue du "Titanic" (1997) est tout aussi puissant.