L'Amour à mort (Alain Resnais, 1984)
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L'Amour à mort (Alain Resnais, 1984)
Il peut être dur d'entrer dans un film aussi austère et formaliste, janséniste diront certains, bergmanien diront d'autres plus justement car il est baigné de culture protestante. Mais quand on y arrive, on est largement récompensé tant derrière son apparente aridité, ce film est riche et puissant.
Dans une scène du film, Simon (Pierre ARDITI) qui parie avec Elisabeth (Sabine AZÉMA) à pile ou face lance une pièce de monnaie mais celle-ci reste suspendue dans les airs en tournoyant sur elle-même comme si le temps s'était arrêté. C'est une métaphore du film lui-même. Parce qu'il fonctionne de façon binaire et suspend le vol du temps. Au niveau du symbolisme des couleurs, le rouge de la passion et le noir funèbre dominent largement les débats. Mais surtout le film est construit sur une alternance de piles (des instants de "vie") et de faces (des plages musicales composées par Hans Werner HENZE sur fond d'écrans noirs parfois striés de blanc par les flocons de neige qui tombent) un peu comme les touches noires et blanches d'un piano. En dépit du montage particulièrement tranchant, il n'y a pas de rupture entre la vie et la mort mais un continuum, la musique étant conçue pour commencer à l'endroit exact où se termine la voix de l'acteur (tout comme le titre "L'Amour à mort" fonctionne comme un tout indissociable).
L'amour dont il est question dans le titre est en effet indissociable de la mort. Il s'agit de l'histoire d'une passion fusionnelle, cette forme d'idéal romantique mortifère à propos duquel Garance- ARLETTY dans "Les Enfants du Paradis" (1943) disait "c'est dans les livres qu'on aime comme ça, et dans les rêves, mais pas dans la vie !" Et pour cause puisque ce désir d'union absolue ne peut s'atteindre que dans la mort (dont la variante brève, la "petite mort" est montrée plusieurs fois)… ou par la sublimation de l'art qui arrache des fragments d'éternité au flux continuel de la vie. "L'Amour à mort" comporte une évidente dimension réflexive. Il met en scène deux types de relations amoureuses: l'Eros, la forme passionnelle, brève et violente de l'amour incarnée par Simon et Elisabeth et l'Agapé, la forme apaisée de l'amour au long cours incarnée par Judith et Jérôme les pasteurs protestants (Fanny ARDANT et André DUSSOLLIER). Ils permettent d'introduire également une dimension spirituelle où ces deux formes d'amour se retrouvent. Alors que Elisabeth n'a de foi qu'en son amour pour Simon qui la pousse à le rejoindre dans la mort, Judith et Jérôme ont la foi religieuse qui les motivent à répandre l'amour de Dieu autour d'eux dans le monde des vivants sans rien attendre en retour.
Réflexion très riche sur l'amour, la mort, l'art et la foi, "l'Amour à mort" comporte aussi une réflexion sur le temps. Ainsi Judith a connu avec Simon l'amour-passion qui l'a conduite au bord du suicide, une expérience propre à l'adolescence dont elle a fait le deuil pour devenir adulte. Simon lui n'a jamais dépassé le stade de l'adolescence (on pourrait même dire celui de la petite enfance où le désir d'union fusionnelle avec la mère est très fort, Garance dit d'ailleurs à Baptiste qu'il parle comme un enfant juste avant la citation que j'ai rappelée plus haut). C'est pourquoi il a échoué à ressentir l'amour Agapé avec son ex-femme et ses enfants et n'a eu aucun mal à les quitter lorsque lui a été donner l'occasion de replonger dans sa "drogue" avec Elisabeth. Sombre et torturé, Simon ressemble à un mort-vivant (Pierre ARDITI s'est d'ailleurs considérablement amaigri pour coller à la peau du personnage). C'est ainsi qu'il nous est présenté puisqu'il revient littéralement d'entre les morts après une attaque qui l'a fait basculer brièvement de l'autre côté (analogie frappante avec l'art qui a une dimension vampirique). Quant à Elisabeth, elle incarne le côté solaire de cette passion, sa foi l'illuminant de l'intérieur. C'est pourquoi Judith, contrairement à Jérôme qui a moins d'expérience personnelle se refuse à la juger et à condamner son geste. Et ce d'autant plus qu'elle considère le sacrifice de Jésus comme une forme de suicide, sa condamnation par l'Eglise n'étant qu'un moyen de contrôler les corps et les âmes des fidèles.