Tricheurs (Barbet Schroeder, 1984)
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Tricheurs (Barbet Schroeder, 1984)
Barbet Schroeder a beaucoup filmé l'addiction et ce dès son premier long-métrage, "More". Dans "Tricheurs", c'est le jeu qui remplace la drogue comme source de vertige et de perdition. Cela va de pair avec une certaine fascination pour les abysses insondables de l'être humain et pour l'insularité: "Tricheurs" se déroule principalement à Madère et même lorsque le héros voyage, il entoure les pays visités par des cercles sur les cartes. D'ailleurs ce ne sont pas les pays qu'il visite mais leurs casinos et plus précisément leurs roulettes: encore des figures circulaires. Le casino de Madère conçu par l'architecte Oscar Niemeyer a lui-même cette forme, on évoque même à son propos les tentacules d'un poulpe de béton. Enfin, c'est un film qui pour moi lie inextricablement Barbet Schroeder à la Nouvelle Vague dont il a été un des artisans. En effet le plus grand film que je connaisse sur la passion destructrice du jeu est "La Baie des Anges" de Jacques Demy dont "Tricheurs" reprend certains motifs. Celui du couple co-dépendant (sauf que chez Demy la joueuse invétérée est la femme qui entraîne l'homme dans sa spirale infernale alors que chez Barbet Schroeder, c'est à l'inverse l'homme le joueur compulsif qui entraîne la femme avec lui), celui de l'enfermement claustrophobique dans le vice, celui du tentateur qui s'immisce dans le couple, métaphore de la place du jeu dans leur vie, celui des avers et des revers de fortune qui se traduisent par des chambres d'hôtel luxueuses ou miteuses et enfin celui d'une fin ouverte mais ambigüe où on ne sait si le couple s'échappe enfin du cadre qui l'enferme ou bien passe de Charybde en Scylla. Mais le film de Schroeder se focalise moins sur le hasard que sur la triche dont on découvre deux facettes: l'une qui relève du tour de passe-passe et l'autre, plus sophistiquée faisant appel à la technologie. La peur de se faire prendre ajoute encore une dose d'excitation à la pratique en elle-même. Mais pour le reste, la possibilité de gagner par la triche est annihilée par le besoin tout aussi compulsif de perdre (pour pouvoir goûter à nouveau le plaisir de gagner, c'est un cercle vicieux sans fin).
Mais ce qui m'a le plus marqué dans ce film, c'est l'humanité qui s'en dégage, la tendresse palpable vis à vis de personnages névrosés mais que l'on est invité à ne pas juger*, à accepter tels qu'ils sont. En cela je retrouve l'approche d'un John Cassavetes (qui a dépeint aussi le monde du jeu dans "Meurtre d'un Bookmaker chinois" et qui s'y connaissais en addictions). "Tricheurs" dépeint un homme, Elric (Jacques Dutronc) tellement enfermé dans son vice qu'il en est devenu impuissant et asocial (il parle seul, il boîte, il a des pulsions d'automutilation, bref il est bien amoché). Son compère escroc (joué par Kurt Raab, un acteur sorti tout droit de chez Fassbinder) qui semble avoir la fièvre perpétuelle le suit comme une ombre. Seule une femme les sépare: Suzie (Bulle Ogier) qui apporte un peu de rationalité à toute cette folie hallucinogène. Amoureuse de Elric, elle devient sa complice tout en parvenant à modérer ses pulsions les plus autodestructrices. En effet, contrairement à lui, elle n'est pas saisie par le démon du jeu et sait toujours s'arrêter à temps tout comme elle parvient à conserver le contact avec le monde réel. C'est pourquoi je n'ai absolument pas été gênée par le dénouement (jugé amoral) du film car ce que j'en ai retenu, c'est le regard bienveillant de cette femme sur cet homme qui accepte de se mettre à nu devant elle et qui accepte le soutien qu'elle lui apporte. Bref qui accepte tout de même de s'ouvrir quelque peu. D'où la fin ouverte...
* Qualité que j'avais déjà soulignée dans "Amnésia".