Episode 36 : À bout
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Episode 36 : À bout
Je n’étais pas fait pour la vie de fugitif. Être constamment en cavale sans jamais pouvoir se poser tranquillement. Être obligé de passer de planque en planque ou de regarder par-dessus son épaule pour s’assurer de ne pas être suivi… Le pire : dormir dans des endroits dégueu et humides sans vraiment réussir à se reposer. Ce n’était décidément pas pour moi.
Voilà dix jours que nous marchions. Dix jours que l’on n’avait pas prononcé un mot. La nuit, nous trouvions refuge dans une ruine abandonnée, une baraque défraîchie ou une vieille galerie. De quoi se protéger des prédateurs et du vent sibérien. La journée, on avançait sans compter nos pas.
Nous avions pris la route pour la ville. La seule que nous connaissions : la nôtre. Là où personne n’irait nous chercher. Pas même ce taré de Florigan. Notre décision était sans appel. Après avoir enfilé des combinaisons hermétiques, nous avions foutu le feu au bunker pour effacer toutes nos traces. Il ne restait plus rien de la scène obscène du niveau -4 : pas de corps, pas d’indices menant directement à nous… et donc pas d’enquête si jamais les autres flics débarquaient ici. On avait aussi brûlé tout ce que nous avions touché : documents, mobiliers, vaisselles… Hors de question de laisser la moindre empreinte.
Ce soir n’était pas très différent des autres, depuis le début de notre cavale : on ruminait cette histoire chacun de notre côté, le ventre vide et le corps endolori par les kilomètres et la chaleur. Léila n’avait toujours pas digéré le dernier message de notre cher ami Florigan. Elle marmonnait des mots incompréhensibles, les poings serrés et le visage fermé… et je comprenais parfaitement sa colère. On était au pied du mur. Ça ne pouvait pas être plus mauvais pour nous. Et même si le chef menait l’enquête discrètement de son côté, on avait très peu de chance de s’en sortir !
Dehors, tout semblait calme, pas un bruit ne venait déranger le silence de mort qui nous accompagnait depuis qu’on avait quitté le bunker. Le vent s’était levé à la brune gelant tout sur son passage, nous obligeant à nous planquer dans un vieux terrier, ancienne tanière d’un animal gigantesque dont le squelette gisait encore au fond. Quel genre de monstre pouvait s’attaquer à une créature aussi grosse et avoir le dessus ? Aucune idée et je m’en foutais royalement. Léila avait fait s’effondrer les différentes galeries pour éviter toutes mauvaises rencontres et on s’était installé non loin de la sortie près à décamper à cas de problème.
Assis sur le sol dur devant notre minuscule feu de camp, le regard perdu dans les flammes, je tordais machinalement une image récupérée dans le bunker. Une vue magnifique sur le Capitole de Californie à la belle époque : le ciel bleu, le drapeau flottant au vent, les arbres verdoyants et une bâtisse resplendissante. Je n’avais pas pu résister. Je l’avais arraché du mur sur lequel elle était épinglée et l’avais glissé dans une de mes poches. Elle était un peu comme une bouffée d’air frais dans ce cauchemar. Une promesse d’un monde meilleur. Une illusion dérisoire…
J’étais épuisé et mort de faim. Pourtant, je m’accrochais. Je n’arrivais pas à renoncer, ne sachant pas bien où je trouvais la force de me battre, ni même pourquoi je luttais encore… Et je n’étais pas le seul. Léila aussi semblait exténuée. Elle était sacrément amaigrie et commençait à avoir de belles poches sombres sous les yeux. Jamais je n’aurais pu imaginer que la physiologie d’un synthé était aussi proche de celle d’un humain. Elle avait les yeux rivés sur sa lame et maugréait dans son coin quand soudain elle se redressa et courut vers la sortie.
Je tendis l’oreille tout en sortant mon arme, mais avant même que je puisse faire le moindre mouvement, je reçus un violent coup sur la tête. Black-out total !
Texte de L. S. Martins (45 minutes chrono, sans relecture).
Image par Denis Hiza de Pixabay : Capitale Imeuble Sacramento - Photo gratuite sur Pixabay