Les yeux de Mentalos vont-ils s’ouvrir à nouveau, un jour ?

Il repose toujours à l’intérieur de cette cabane en bois.

Le premier au chevet de Mentalos, c’est bien sûr Falcon-Dog. Celui-ci a toujours

gardé l’œil sur son super-chien préféré.

Personne ne s’était attendu à une telle puissance, de la part de cette panthère.

Plutôt singulière, celle-ci n’a pas rejoint sa meute pour attaquer le village. Mais

quand elle est intervenue, il était impossible de la contrer… La panthère noire est

ensuite repartie aussi vite qu’elle est arrivée. D’après l’Amiral Cabos, ce choc

électrique a sonné le super-chien mais “il en a vu d’autres, notre Mentalos !”.

La maison en bois où Mentalos repose est spacieuse et pleine d’odeurs

réconfortantes. Elle abrite ce soir quelques épagneuls du village, ainsi que leurs

sauveurs : les Canins de la Révoltruffe. En cette fin de journée tumultueuse, un grand

repas a été offert à l’équipe pour les revigorer. L’Amiral Cabos s’est empressé de les

remercier pour avoir accepté de les accueillir quelque temps.

— Je vous le dis une autre fois, chers épagneuls, merci à vous de nous autoriser

à passer la nuit dans votre village… répète l’Amiral Cabos, au milieu de la table, en

attrapant quelques biscuits au passage.

— M’enfin, c’est bin normal ! s’exclame l’un des épagneuls, dans un patois qui

fait sourire Billy. Avec c’te bande de fauves, nous v’là bons pour refaire la moitié

d’nos huttes. ‘Reusement qu’la Ravotruffe a passé !

D’un signe de patte, Cabos a l’air de dire « ce n’est que notre travail », mais il ne

peut s’empêcher d’être vexé, au fond, par la déformation du mot « Révoltruffe » !

— Et pi sans vous, qui sait ? on y s’rait bin tous passés !

Certains Canins, au bout de la table, discutent et rient avec les autres épagneuls.

L’ambiance est à la détente, ici. Et c’est essentiel pour l’équipe, qui revient

d’aventures éprouvantes.

À l’abri des regards, Lisa sort discrètement de table pour retrouver sa louve. Cette

dernière, effrayée par les panthères, s’est réfugiée dans les bois pendant la totalité

du combat. Toutes les deux ont prévu de se rejoindre en lisière de forêt, pour prendre

le temps de se retrouver. « Je dois me faire discrète, car les épagneuls n’aimeraient

sûrement pas qu’une louve s’approche de chez eux… » pense la labrador en avançant

sans le moindre bruit. Elle n’a pas tort : ce village ne garde pas de bons souvenirs

des loups… Enfants déjà, les épagneuls ont entendu de nombreuses légendes sur ces

bêtes assoiffées de sang prêtes à tout pour égorger les jeunes chiens innocents. Que

de mensonges. Quoi qu’il en soit, la tradition est restée, chez les épagneuls, et le

moindre loup qui rôde un peu trop près du village est alors chassé, traqué puis fusillé.

— Pssst… Mauve ! chuchote Lisa, en jetant des coups d’œil inquiets en direction

du village. Approche discrètement, ne fais pas de bruits.

Toute sage, sa louve lui saute au coup pour noyer son visage de léchouilles

amicales, comme à son habitude. Lisa se retient de rire à haute voix et se contente

de lui caresser le pelage. Quand son amie renifle la blessure près de son épaule, la

sabrador préfère la rassurer :

— Ne t’en fais pas, Mauve. C’est rien du tout, ça. Juste une panthère, tout-àl’heure, qui…

Mauve pose doucement une patte sur la plaie et, après quelques instants, une

lueur violacée apparaît. Le petit halo de lumière les éclaire un instant, dans la nuit

qui tombe. Fascinée par ce qu’il vient de se produire, Lisa observe sa blessure et

constate :

— M… mais comment est-ce possible ? Ma plaie s’est… cicatrisée ?!

Son regard intrigué se perd dans l’immensité des yeux violets de Mauve. Elle est

transportée dans un voyage à travers les insondables mystères des loups, aussi épais

que la brume du Hurle-Bois. L’instant semble durer une éternité.

En reprenant ses esprits, Lisa se rend compte qu’une silhouette à peine

perceptible l’observe depuis le fond des bois. Et elle se rapproche furtivement. Sa

voix est teintée d’un accent inconnu :

— C’est une louve sacrée, n’est-ce pas ?

— Mais q… qui êtes-vous ?

N’ayant obtenu aucune réponse, l’inconnu se rapproche pour voir par lui-même.

Lisa reste sur ses gardes et laisse Mauve passer derrière elle. Elle plisse les yeux

mais, dans l’obscurité grandissante, elle ne parvient à reconnaître qu’une capuche

recouvrant un museau.

— Cette louve possède des pouvoirs. J’ai aperçu la fameuse lumière violette.

J’en déduis que cette louve doit être capable… d’effectuer une guérison, je me

trompe ?

— Qui êtes-vous ?! répète Lisa, avec un soupçon de peur. Répondez !

Son interlocuteur feint de s’incliner, avec une fausse politesse, et répond avec un

ton moqueur :

— Tu n’as pas besoin de le savoir. On m’appelle « l’Etranger », puisque

personne ne sait vraiment qui je suis.

Consternée, Lisa préfère reculer pour se retrouver en sécurité au village, quand

l’autre prononce ces quelques mots, pour la retenir :

— Si tu t’intéresses aux loups, je possède un riche exemplaire du livre des Cinq

Mondes. C’est là-dedans que j’ai appris tout ce qu’on peut savoir sur les loups.

Lisa reste silencieuse. L’autre comprend alors qu’il est parvenu à capter son

attention.

— Je vis dans les profondeurs du Hurle-Bois. Rejoins-moi demain, à la prochaine

tombée de la nuit, dans mon humble demeure. Elle se trouve là où la langue fourchue

du serpent d’eau se sépare en deux… Je te donnerai toutes les informations dont tu

auras besoin, là-bas. En attendant, garde précieusement ta curiosité et reste patiente.

Un jour ou l’autre, tout finira par se dissiper…

Sur ces paroles énigmatiques, l’inconnu

disparaît dans les ténèbres de la nuit. Pas

n’importe quelle nuit. Une nuit où Lisa vient

d’apprendre que Mauve est une louve sacrée. Une

nuit qu’elle n’oubliera jamais.