Dans l’une des maisons en pierre du village félin, à l’Ouest, quelques chats

siamois entretiennent une discussion avec énergie. Il est question de l’exode des

chiens et chats, suite à l’invasion des panthères.

L’un des chats, très grand et maigre, prend la parole :

– Je pense que vous faites fausse route. Si des villageois en danger nous

demandent des provisions et un abri, nous devons leur en donner même si ce sont

des chiens. Ils feraient la même chose pour nous, après tout.

– Ne sois pas si ridicule, Isaac ! ricane un autre siamois d’un ton méprisant. Tu

imagines vraiment des chiens en train d’implorer notre aide ? Tu as cru qu’ils étaient

civilisés, ou quoi ?! Ils vont voler nos ressources, oui !

– Ce n’est pas la bonne mentalité, ça. Les chiens et les chats ont le devoir de

s’entraider, surtout face à ces panthères qui sèment le chaos partout dans Ethélys !

– Pas chez nous, en tout cas.

Isaac s’apprête à rétorquer quand, soudain, un bruit de verre brisé résonne comme

un cri de terreur.

– La cuisine ! s’écrit l’un des siamois, paniqué. Allons voir !

Isaac et les autres chats s’y rendent aussitôt et découvrent avec horreur les

étagères complètement vides. Une part importante de leurs précieuses réserves de

nourriture s’est volatilisée ! Isaac se précipite vers la fenêtre et aperçoit trois

silhouettes s’enfuir.

– Hé, revenez ici ! hurle-t-il.

Son visage se décompose lorsqu’il réalise que les pillards sont en réalité… des

chiens. Le siamois méprisant se rapproche de lui et profite de la situation pour lui

jeter du sarcasme au visage :

– Qu’en dis-tu, Isaac ? Les clébards sont toujours aussi gentils, pour toi ? Si tu

veux mon avis, tu devrais même les inviter à dîner !

Malgré son sentiment de trahison, Isaac trouve la force de lui répondre, avant de

sortir de la maison en courant :

– Tu as parfaitement raison, je vais les inviter tout de suite !

Après avoir sprinté sur une centaine de mètres, Isaac se risque à approcher le

groupe de chiens que les trois voleurs viennent de rejoindre. Il est cependant à bout

de souffle, plié en deux et incapable d’ouvrir le dialogue ; ses poumons le brûlent.

Deux pitbulls avancent vers lui d’un pas intimidant.

– Si tu crois que tu nous impressionnes ! crache l’un des deux chiens. Pas la peine

de pleurer pour qu’on vous rende la bouffe.

– Je ne compte pas la récupérer, répond Isaac avec un calme impressionnant. À

vrai dire, je viens plutôt vous proposer un toit pour la nuit.

– Qu’est-ce que… ?!

En face de lui, le groupe de chiens reste très méfiant. Hart, le grand malinois

musclé, observe le chat avec un sourire en coin, amusé. L’autre pitbull montre les

crocs et avertit Isaac :

– On ne tombera pas dans ton piège. Fiche le camp si tu veux pas qu’on te mette

la pâté, le matou !

– Bien. C’est comme vous voulez… Je voulais simplement vous éviter de passer

une énième nuit dehors, mais je ne vous dérange pas plus longtemps.

Au moment où il commence à rebrousser chemin, une voix forte le retient :

– Attends un peu. Quel est ton nom ?

– Isaac.

– Moi, c’est Hart. Et je sens que tu es sincère, mon gars. Sinon, pourquoi auraistu pris le risque de venir nous parler, seul et sans défense ? N’est-ce pas ? (Il lève les

yeux au ciel.) J’ai fait de mon mieux jusqu’ici pour protéger mes amis, bien que les

panthères ne les aient pas tous épargnés… Je pense que tu peux comprendre mon

acte : je ne pouvais laisser les miens mourir de faim, à côté d’un village comme le

tien… Mais toi, tu es différent des autres chats. Alors, si tu es d’accord pour nous

accueillir le temps d’une nuit, je t’en serais infiniment reconnaissant.

Isaac n’en croit pas ses oreilles, et les pitbulls non plus ! Tous les yeux sont fixés

sur lui. Au fond, il savait bien que les chiens n’étaient pas des monstres. Isaac a

toujours attendu l’opportunité de venir en aide à des chiens démunis, quitte à déplaire

aux autres chats siamois. Certes, il y a des risques de conflits, mais Isaac n’hésite

pas longtemps avant de se décider. Il tend sa longue patte fine en signe d’alliance.

Aussitôt, la patte puissante de Hart vient se joindre à elle.

Cette poignée solennelle symbolise une alliance naissante entre des chiens et des chats.