Une terre de feu : voyage dans les entrailles de la Terre.
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Une terre de feu : voyage dans les entrailles de la Terre.
Première visite ! Mon frère Paulo est de passage pour une dizaine de jours à la Réunion, je pose quelques jours et nous en profitons pour aller explorer ensemble plus en avant le volcan et le sud de l'île, profondément marqué par l'activité du Piton de la Fournaise.
La Réunion est donc la dernière île formée par l'éruption d'un point chaud situé au cœur de la plaque Africaine. Ce point chaud, siège de remontées chaudes du manteau appelées panaches, vient transpercer la croûte terrestre au cours d'une intense activité volcanique : une nouvelle terre émerge. Puis, la tectonique des plaques les faisant se déplacer à la surface du globe, une nouvelle éruption formera une nouvelle île, et ainsi naissent les archipels. Le point chaud actuellement situé sous la Réunion serait ainsi à l'origine du plateau du Deccan en Inde, puis de l'archipel des Maldives, et enfin de celui des Mascareignes qui comporte Rodrigues, Maurice, et... la Réunion.
La Réunion en est donc son tout dernier bébé, née de la formation et de l'activité conjointe du Piton des Neiges d'abord, il y a 3 millions d'années, et de son petit frère le volcan des Alizés, apparu quant à lui il y a 1,8 millions d'années. L'activité des 2 proches volcans a fait émerger deux ensembles qui ont fini par se rejoindre il y a 100-200 000 ans pour donner à peu près notre île actuelle. Cela fait de la Réunion l'une des terres émergées les plus récentes au monde ! Puis, le volcan des Alizés s'effondrant sur lui même, un nouveau volcan apparaît, le Piton de la Fournaise. S'il est peu actif initialement, laissant sa grande sœur donner de la voix, il le devient beaucoup plus une fois que le Piton des Neiges cesse son activité, il y a 22 000 ans.
Le Piton de la Fournaise est donc un volcan très actif, l'un des plus actifs au monde, avec une éruption/an de moyenne. Il est de type effusif (famille des volcans boucliers), c'est à dire déversant des magmas fluides, comme à Hawaï, contrairement aux volcans explosifs (famille des strato-volcans) qui génèrent des magmas pâteux et des panaches de blocs, de cendres et de gaz brûlants, tels au niveau de la cordillère des Andes (cf la route des volcans, à la partie Equateur du blog).
Son activité est aujourd'hui surveillée de très près par de nombreux appareils et capteurs situés sur et autour de l'île. Mais personne ne sait encore prédire longtemps à l'avance quand va survenir sa prochaine éruption, ni où, ni son intensité. Tout au plus sait-on quelques jours en avance qu'une effusion va probablement avoir lieu.
Les éruptions se multipliant, le poids accumulé des différentes coulées a provoqué plusieurs effondrements sur lui même, nommés caldeiras, donnant lieu à des remparts et plateaux tels le plateau des Basaltes, la plaine des Sables, et l'actuel Enclos Fouqué. Cet enclos, au sein duquel siège le Piton de la Fournaise, a la forme d'un fer à cheval orienté plein-est vers la mer, et définit la zone où se déversent la plupart des coulées actuelles. La zone au bord de mer, entre les deux murailles du fer, porte elle le nom de Grand Brûlé. Mais attention ! On n'est jamais à l'abri d'une coulée hors enclos, comme nous allons le voir ensuite...
On imagine souvent un volcan comme une montagne conique avec à son sommet un cratère d'où jailllit la lave. Ceci n'est que partiellement vrai. D'une part le cratère principal, actuellement le cratère Dolomieu, ne se situe pas forcément au sommet du piton de la Fournaise. D'autre part, la plupart des « petites » éruptions ne sont pas générées au sein du cratère principal, mais au niveau de cratères accessoires formés à l'occasion d'une effusion de lave.
Il faut imaginer une marmite dans laquelle le magma boue, et sous la pression duquel des failles, soupapes de décompression, se forment et se frayent au niveau des terres les plus fragilisées pour permettre de relâcher un peu la pression dans un petit toussotement, un bon rototo, ou carrément un vomissement profus de roche en fusion. Ces éruptions et coulées provoquent alors un remodelage plus ou moins important du volcan ; comme récemment, en 2007, quand une grande éruption a provoqué ensuite l'effondrement du cratère Dolomieu sur lui-même pour lui donner sa forme actuelle de 1.000 m de longueur sur 750 m de largueur et 350m de profondeur, accolé à l'ancien cratère principal, le cratère Bory.
Ainsi, pour venir voir le Piton de la Fournaise, on accède au volcan par le centre de l'île en franchissant différents remparts en applomb dominant le plateau des Basaltes, puis la plaine des Sables, pour arriver au pas de Bellecombe, au sommet du rempart et point d'entrée pour descendre dans l'enclos. Et quand on vient pour la première fois, on prend bien évidemment le chemin pour aller admirer le grand cratère Dolomieu, proche du sommet du Piton. C'est ce que Paulo fait.
Mais il est aussi vraiment très intéressant d'aller approcher les différentes coulées de lave, et les cratères accessoires. Le plus connu (et balisé) est d'aller voir le cratère Rivals au sud du Piton, accompagné de nombreux autres cratères accessoires et néo-pitons, tels le cratère Caubet, les pitons Jasmin, Iris, Kalla et Pélé, Daniel Honoré, le château fort, ou le cratère Lacroix ; mais en raison de coulées récentes (de plusieurs années quand même !) il est actuellement interdit de franchir le seuil au delà du cratère Caubet, le sol étant jugé non refroidi, trop instable et incertain. Après... chacun prend ses responsabilités.
En chemin, on marche sur des coulées de lave dites pahoehoe, coulées de roche liquide s'étant progressivement refroidies puis figées sous des formes plissées, drapées ou cordées, qui tapissent globalement l'ensemble de l'enclos ; mais on observe aussi de ci de là des coulées de pyroclastites, lave projetée en l'air et qui s'est donc refroidie plus vite, beaucoup plus aérée, beaucoup plus légère donc, formant selon la taille et la densité des blocs (ou clastes), des lapilis (ou gratons), du sable, ou des bombes (beaucoup plus denses).
Dans cette ambiance très dark et obscure de lave refroidie, peuvent apparaître des endroits beaucoup plus colorés. Des ocres aux nuances de jaunes/oranges/rouges mais aussi bleues/vertes résultent de divers degrés d'oxydation du fer contenu dans la lave (2ème minerai le plus présent). L'aspect vitrifié et brillant résulte quant à lui de la quantité de silice (le 1er minérai), de sa vitesse de projection dans l'air, et de sa rapidité de refroidissement. Enfin, les reflets or ou argentés sont dus à la présence de silicate d'aluminium, 3ème minérai le plus présent dans la lave.
Toute cette atmosphère si particulière quand on pénètre dans l'enceinte de l'enclos est à la fois magnifique, terrifiante, et fascinante à observer. Voir toute cette surface de roche liquide pétrifiée, ces coulées de roche agglutinée et aérée comme du gruyère, représentant des millions et des millions de m3 de roche basaltique nouvellement formée ; aller observer ces trous béants, points de sortie (ou d'entrée) vers les entrailles de la Terre, vestiges de brefs épisodes où celle-ci s'est mise à dégueuler un vomi de magma surchauffé de roche liquide rouge-orangée... On entre ici vraiment en relation avec une dimension très primaire, tellurique et archaïque de notre planète Terre, petit satellite gravitant autour de l'étoile Soleil, si minutieusement équilibrée à sa surface pour permettre la formation d'eau et l'émergence de la Vie, encore si chaude, bouillonnante et vivante de l'intérieur...
On est vraiment dans une autre dimension spatiale...et temporelle.
coulées de lave visibles sur les flancs du piton
Après la visite du volcan proprement dit, puis de son musée, la cité du Volcan, nous prenons ensuite, avec Eliane qui nous a rejoint pour 2 jours, la direction du sud-est de l'ile en la contournant par le sud : Saint Joseph, puis Saint Philippe, où nous sommes chaleureusement accueillis par Marie, une amie rencontrée récemment. Ceci nous sert de base pour aller à la rencontre d'un autre aspect du volcanisme et de ses conséquences en aval. Et pour commencer, nous partons explorer les fameux tunnels de lave !
Représentez-vous : la lave, dégoulinant d'un foyer éruptif, se refroidit et noircit rapidement au contact de l'air, chargé en oxygène et nettement plus frais. En surface seulement ! Car pour une coulée mesurant plusieurs mètres de hauteur, la roche en fusion continue en profondeur de couler abondamment, telle une véritable rivière souterraine, pouvant atteindre des vitesses de 80km/h selon l'inclinaison de la pente. Ces rivières de lave dessinent ainsi un véritable réseau de galeries souterraines qui, au fur et à mesure que la coulée se tarit, forment ce qu'on appelle des tunnels de lave... qu'on peut visiter en mode spéléologie. Ici, on vient explorer la coulée de lave de 2004, considérée comme suffisamment refroidie et solidifiée, contrairement à la grande coulée de 2007, pouvant mesurer plusieurs dizaines de mètres de hauteur par endroits, qui ne sera théoriquement accessible à l'exploration qu'à partir de... 2037 !
A l'intérieur donc, c'est tout un réseau de tunnels où l'on progresse debout, parfois accroupis, parfois en rampant pour les plus vaillants. On peut alors admirer des incroyables formations qui, contrairement aux grottes calcaires se dessinant sur plusieurs centaines de milliers (millions) d'années, se sont elles formées en l'espace de quelques jours à quelques mois seulement ! Et c'est le même vocabulaire : des stalactites, correspondant aux gouttes de lave projetées et figées au plafond au fur et à mesure que le niveau de la rivière s'abaisse, mais aussi des stalagmites, des colonnes, des anciennes cascades, des formations rocheuses aux étranges ressemblances avec ici un animal, là une statue grecque...
La fameuse galerie chocolat, caverne où les gouttelettes de magma le plus pur prennent une couleur brun chocolat au plafond ; d'autres formations de lave figée plus noires, plus rugueuses, brillantes ou mates, selon leur composition en silice/fer/aluminium, selon leur vitesse de projection et de refroidissement. C'est un moment unique que de pouvoir circuler au milieu de ces galeries basaltiques si récentes à l'échelle géologique ! Nous sommes parfois à 3 mètres sous terre ; parfois la température se réchauffe et nous apprenons que le plafond au dessus de nos têtes se situe 10cm seulement en dessous de la surface. Un moment très particulier et singulier donc, un incontournable de la Réunion (pour les non claustrophobes bien entendu), qui permet de mieux appréhender toute l'activité résultant d'une éruption et d'une coulée de lave.
Nous poursuivons pour terminer notre périple en longeant la route des laves, route du littoral passant dans le bas de l'enclos Fouqué ( appelé le Grand Brûlé), mais aussi de part et d'autre de l'enclos. Nous pouvons ainsi reconnaître les différentes coulées de lave selon les années qui sont indiquées, et observer comment la nature et la vie reprend progressivement ses droits, avec l'émergence de lichens et de mousses, puis de petites plantes et arbustes, avant de permettre la réimplantation d'arbres et d'une végétation plus diverse et abondante.
On peut se promener sur les coulées qui ont gagné l'océan, leur progression éventuelle sur la mer, formant une nouvelle langue basaltique émergée agrandissant l'île, comme à cap Méchant il y a longtemps, ou plus récemment au niveau de la pointe de la Table en 1986 : 30 hectares ainsi néoformés.
Il faut se représenter le choc de la rencontre de la lave bouillante avec l'eau : la confrontation pure et brute des éléments, le froid/le chaud, le Feu et l'Eau, la formation de Terre/roche solide et de fumées/vapeurs d'eau, provoquant un nuage visible depuis l'île Maurice à 200km de là ! Après le dechaînement et la confrontation violente des éléments Vent, Pluie, Houle sur le caillou lors d'un cyclone, on comprend mieux pourquoi on surnomme l'île de la Réunion l'île Intense !
cap Méchant
la coulée du Tremblet de 1986... et un chalut échoué lors du dernier cyclone
On retrace également l'historique des coulées hors enclos qui ont fait trembler les populations environnantes, comme en 1986 au niveau du village du Tremblet au sud de l'enclos (sans mauvais jeu de mots) : coulée dite du brûlé de Takamaka, s'écoulant de part et d'autre du piton du même nom, et menaçant fortement le village et ses habitations qui furent évacuées. Au décours, des retombées de sable chaud, de cheveux de Pelé (gouttelettes de lave effilées en cheveu), et des pluies acides qui ont majoré les dégâts environnants causés par l'éruption.
Ou encore la fameuse éruption de 1977 au nord de l'enclos, qui au village de Piton Sainte Rose a envahi le village et détruit de nombreuses habitations, pénétrant à l'intérieur même de l'Eglise qui a su malgré tout résister à cet assaut.
Notre Dame des laves, Piton Sainte Rose
La plus impressionnante coulée reste celle d'avril 2007, au sud à l'intérieur de l'enclos, qui a duré près d'un mois, avec des projections à plus de 100m de hauteur, déversant quelques 120 millions de m3 de lave sur 1,5 km de large et sur plusieurs dizaines de mètres d'épaisseur, submergeant complètement la RN2, qui a nécessité plus de 7 mois pour être refroidie avant d'être dégagée et remise en fonction, et qui a dans le même temps provoqué le fameux effondrement du cratère Dolomieu.
Un territoire de vie et de mort, de destruction et de renaissance, de rencontre et de confrontation brute des éléments Feu, Terre, Eau et Air, qui nous ramène à la base de la base de ce qu'est notre planète Terre : une boule de feu qui s'est refroidie en surface pour permettre l'émergence d'une atmosphère viable avec de l'oxygène, d'une croûte terrestre solide et protectrice, d'eau et d'océans, et enfin l'apparition du miracle de la Vie.
Pour aller plus loin sur l'histoire et la vie de la Réunion, je vous recommande très fortement l'application Leon. Avec des petits podcasts d'à peine 5 min, elle balaye des thématiques aussi diverses que les Cyclones, Noel à la Reunion, la vanille Bourbon, le cirque de Mafate ou 5 series de podcasts sur...le Volcan (que je n'ai pas encore écouté).
J'ai notamment adoré la serie de 5 podcasts sur les cyclones, leur formation, l'histoire des cyclones les plus dévastateurs, avec des témoignages de personnes qui ont vécu le cyclone de 1948, Jenny en 62, Hyacinthe en 1980, Clotilda et Firinga en 1987 et 1989, ou Dina en 2002. Très didactique, très vivant et vibrant, format court facile à ecouter, vous permettant également d'entendre et de vous ravir de créole reunionnais...
uniquement sur appli à telecharger ! https://www.leon-guide.app/