Replay
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Rares sont les romans qui débutent avec la mort de leur personnage principal. Replay de Ken Grimwood est de ceux-là…
En effet, c’est en pleine discussion téléphonique avec sa femme Linda que Jeff Winston, 43 ans, directeur de l’information sur une chaîne de radio, meurt d’une crise cardiaque foudroyante. Rideau. Et c’est encore tout imprégné de cette douleur intense que Jeff rouvre les yeux. Il a 18 ans, se trouve dans sa chambre d’étudiant et ne comprend rien à ce qui se passe. Croyant d’abord à un cauchemar, ou à un coup monté pour le faire marcher, ou encore à un délire dû à son attaque, Jeff doit se rendre à l’évidence et accepter l’inconcevable : il recommence sa vie à partir de l’âge de 18 ans, il a conservé tous ses souvenirs d’homme de 43 ans, et il a tout l’avenir devant lui. Évidemment déboussolé au premier abord, Jeff va très vite prendre conscience de l’opportunité qui se présente à lui : revivre son passé avec toute l’expérience de sa première vie, et pouvoir réécrire sa vie comme si la première fois n’avait été qu’on brouillon. Faire la nique à ses regrets et peut-être ainsi atteindre une existence meilleure… Mais que ce soit pour reproduire des moments heureux de son passé redevenu présent, ou pour changer le cours des choses en prenant des directions nouvelles et inédites, Jeff va comprendre que même quand on croit maîtriser ce qui nous entoure, on n’est pas à l’abri de l’impondérable…
Bon alors là je suis vraiment très ennuyé. Parce que j’ai dévoré ce livre, et que je l’ai adoré. Et il y a des tonnes de choses à en dire, tant il est dense, intelligent, astucieux, virtuose. Mais pour en parler vraiment, en dire tout le bien que j’en pense, il faudrait que j’en dévoile beaucoup plus sur l’intrigue. Car le court résumé que je viens d’en faire est volontairement très, très succinct. Le bouquin est bien loin de s’arrêter là, l’intrigue n’en est qu’à son tout début avec ce que j’en ai dit là, et l’aventure de Jeff (ou sa mésaventure, c’est selon) va connaître des évolutions inattendues et passionnantes tout au long du roman. Malheureusement, en parler serait dévoiler une part du mystère du livre, et éroder une partie de son intérêt. Difficile dans ces conditions d’en dire tout le bien qu’il m’a inspiré.
Disons sans trop entrer dans les détails que ce bouquin est d’une construction géniale, à l’élément de fantastique (revivre sa vie en se souvenant de sa précédente existence) s’ajoute une logique inébranlable et une capacité déconcertante à plonger dans l’humain. Le personnage de Jeff est si finement développé par Ken Grimwood que tout est parfaitement crédible (si l’on accepte le concept de départ bien évidemment). Chacune de ses actions, chacune de ses réactions sont parfaitement naturelles et le résultat est là : on se projette pleinement et sans réserve dans le personnage principal, et on vit le roman à sa place. En tout cas c’est ce qui s’est produit pour moi. Je me suis totalement identifié à Jeff, et j’ai été bluffé de me rendre compte avec le recul que j’aurais agi exactement comme lui, avec la même logique, avec les mêmes sentiments, si j’avais été placé dans une situation aussi extrême que la sienne. Tout dans ce roman coule de source, et c’est la vraie grande force de ce bouquin : on y est, on le vit. On élabore avec le héros des hypothèses, des stratagèmes, on cherche avec lui des solutions, on jubile quand ça fonctionne, et quand un rebondissement intervient, quand l’enchaînement attendu des événements vient à se gripper on est perdu comme l’est Jeff, en proie au désemparement ou à la surprise ou à l’abattement ou à l’agacement. On profite avec Jeff des bons moments, on souffre avec lui des tuiles qui lui tombent dessus.
Et quand on sait tout ce qui arrive au héros, une fois qu’on a partagé avec lui toutes ces expériences aussi déboussolantes, tantôt traumatisantes, tantôt enthousiasmantes, et qu’on referme le livre on se rend compte que le roman nous habite. Le concept a pris possession de nous et on y repense encore et encore, sans arriver à se libérer de cette idée lancinante et désagréable que quoi qu’on fasse, on ne maîtrise finalement pas grand-chose de nos vies. Et que la vie moderne, dont la substance nous berce parfois dans l’illusion contraire, n’est qu’un leurre. On ne peut que se démener et se battre, la vie au sens universel ne connaît ni justice ni bonheur, concepts purement et uniquement humains s’il en est.
Bref, pour moi qui ai lu Replay cet été, ce roman datant de 1988 (son auteur est mort en 2003 à l’âge de 56 ans) est un de mes coups de cœur de l’année. Quelque part à mi-chemin entre des concepts tels que la réincarnation et le voyage dans le temps, Ken Grimwood trace une voie bien personnelle, originale et inventive. Certes on a déjà vu ce type de thème de départ ailleurs, et je citerais en exemple le fabuleux Jour sans fin de Harold Ramis avec un Bill Murray génialissime qui vit et revit sans cesse une même journée perdu au fond d’un patelin paumé, ou le manga Quartier Lointain de Jirô Taniguchi, ou encore le comic Plus cool tu meurs de Alex Robinson dans lesquels les héros revivent également leur jeunesse avec leurs souvenirs d’hommes mûrs. Au cinéma également, l’allemand Tom Tykwer faisait galoper après le temps Franka Potente dans Cours, Lola, Cours ! et plus proche de nous c’est Jared Leto qui se voyait confronté à ce même thème de vies multiples dans l’étrange mais fascinant film du belge Marco Van Dormael, Mr Nobody. Et l’helvète Stephan Eicher de fredonner 1000 vies ne sont pas suffisantes…
Mais avec Replay (antérieur à ces exemples), Ken Grimwood pousse le concept loin, très loin, et explore vraiment ses moindres méandres scénaristiques. Et surtout il le fait en restant captivant du début à la fin.
C’est pourquoi je disais qu’on y repense encore longtemps après la lecture. Il vous implique, il vous questionne, il vous tourneboule, bref ce bouquin passionne. Très très chaudement recommandé !!!
Cet article a été initialement publiée sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com