La vie en sourdine
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La vie en sourdine
Je n’en suis pas à mon premier roman de David Lodge, et je garde en particulier un excellent souvenir de son Pensées Secrètes (il faudrait d’ailleurs que je ponde un article dessus tiens, mais cela nécessiterait que je m’y replonge car je l’ai lu il y a plusieurs années déjà…).
Dernier en date (tout du moins quand je l’ai lu !) de l’écrivain anglais, La Vie en Sourdine met en scène Desmond Bates, un professeur de linguistique fraîchement retraité, touché par un handicap grandissant : la surdité. Desmond est marié en seconde noce à Winifred, une femme plus jeune que lui et en pleine réussite professionnelle avec son magasin de décoration. La surdité de Desmond est évolutive et plombe de plus en plus sa vie sociale, il se sent exclu et le vit difficilement. C’est justement au cours d’une soirée mondaine où l’entraîne sa femme qu’il a une conversation avec une jeune et jolie étudiante américaine, Alex Loom, à laquelle il répond au petit bonheur la chance (par honte et lassitude de demander à son interlocutrice de répéter pour la troisième fois la même phrase). Sans s’en rendre compte Desmond va ainsi accepter de superviser le mémoire qu’Alex prépare et qui s’intéresse à l’analyse linguistique des lettres de suicidés… C’est le point de départ de l’histoire qui va nous faire suivre Desmond de novembre à mars, période au cours de laquelle sa vie va connaître un regain d’activité inattendu…
Difficile de qualifier en quelques mots ce roman de Lodge. Ici pas de réel suspense, il n’est pas question d’événements trépidants qui s’enchaînent pour bouleverser la vie du héros, on suit surtout et avant tout les réflexions d’un homme autour de deux axes principaux : la surdité par la solitude, le confinement et la souffrance qu’elle engendre, et de manière plus générale, la fin de toutes choses. La fin de la vie active quand on peine à se trouver de l’occupation en tant que retraité, la fin de la vie intime telle qu’on l’a connue quand on n’a plus la vigueur et la libido de sa jeunesse, la fin de la vie sociale et culturelle quand on n’entend plus assez bien pour se fondre dans le monde, et la fin de la vie elle-même, quand l’âge fait que le corps se dérobe et que l’esprit se détériore.
Attention, dit comme ça, ça pourrait paraître lugubre et déprimant, mais ce serait sans compter sur la plume de Lodge ! Celui-ci n’a pas son pareil pour passer du grave au loufoque, et c’est à une véritable tragi-comédie (un terme qui prend tout son sens ici) qu’il nous invite dans ce livre. On y côtoie le rire et les larmes, le tout en évitant et le pathos, et le pessimisme qui pourraient pourtant facilement coller à ce type de roman.
D’ailleurs on apprend par les notes de l’auteur en fin du livre que cette histoire est en partie autobiographique (en partie seulement !), et comme par hasard on s’aperçoit que ce sont justement les parties autobiographiques qui sont les plus réussies et qu’on retient du livre. C’est le cas des rapports de Desmond avec son père très âgé qui sont particulièrement touchants et émouvants (Lodge y relate sa propre relation avec son père en fin de vie), mais aussi de toutes les pensées et réflexions de Desmond autour du statut de sourd (Lodge est lui-même atteint de surdité évolutive) qui traduisent tantôt un vrai désespoir, tantôt un humour cynique et vif (les retranscriptions des conversations telles que les entend Desmond savent être parfois hilarantes, le week-end entre amis en village de vacances est lui aussi très drôle). Lodge fait d’ailleurs bien ressentir les moments d’intense isolement de son personnage en faisant le rapprochement entre surdité et « petite mort » jusque dans le jeu de mots du titre original Deaf Sentence.
Bref, ce livre de Lodge se déguste et invite à la réflexion, il est à la fois drôle et émouvant, caustique et intelligent. C’est fluide, érudit, plein d’autodérision… du bon David Lodge en somme !
Cet article a été initialement publiée sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com