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Chapitre 1 - Seconde partie

Chapitre 1 - Seconde partie

Published Jan 13, 2023 Updated Jan 13, 2023 Culture
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Chapitre 1 - Seconde partie

Quel bonheur, cette sensation de liberté. Seule, parmi les nuages et les étoiles. Bercée par le ronronnement des moteurs. Je rêvais d’autres mondes. D’autres univers. D’autres paysages.
 
En dehors des contrats qu’Al me proposait, mon existence était vide et insipide. Alors ces heures derrière mon manche étaient de véritables bouffées d’oxygène !
 
Ma vie terrestre était lamentable. Je vivais en solitaire et n’avais aucun ami. Aucun, sauf Louis. Nous nous connaissions depuis deux ou trois mois, pourtant lui seul me comprenait réellement. Les heures à ses côtés étaient aussi salvatrices que celles passées dans les airs. J’étais libre d’être moi-même. Je n’avais plus besoin de cacher mes failles, mes faiblesses.
 
À 16 ans, j’avais arrêté l’école. Lasse des moqueries de mes camarades de classe. De leurs regards en coin, de leur méchanceté et de leur cruauté. J’étais le vilain petit canard, toujours à côté de la plaque.
 
Depuis, j’enchaînais les boulots quelconques pour payer mes factures et l’entretien du Liberty. Malheureusement, sans diplôme, c’était illusoire d’espérer trouver une place derrière un ordinateur, loin de tous. J’avais tout essayé : barmaid dans l’unique bar du coin, qui faisait office de discothèque les vendredis et samedis soir ; caissière dans une supérette ; aide-ménagère en maison de repos et dogsitter pour ces vieilles bourgeoises trop bien pour promener leur chien. Le dernier job en date : serveuse dans un restaurant routier. Les pourboires étaient minables, mais personne ne me connaissait. Aucun jugement. Aucun préjugé. Aucune raillerie. Quel bonheur ! Même l’équipe me laissait tranquille, tant que j’effectuais correctement mon travail.
 
Durant mon temps libre, je me cachais derrière les couvertures de mes livres fantastiques et de science-fiction. Je m’évadais dans un monde imaginaire dans lequel je me sentais normale et utile. Je m’identifiais au héros et vivais à travers les mots ses aventures. J’avais la sensation d’exister, d’être quelqu’un d’important. Comme les jeunes de mon âge, mal dans leur peau, j’imagine. Mais Al était là pour moi. Il m’aimait et m’acceptait telle que j’étais.
 
Mes parents étaient morts, j’avais à peine sept ans. Ce jour funeste resterait gravé dans ma mémoire. Je me souviens du visage accablé de la directrice qui était venue me chercher à 15 heures, en classe. Elle avait saisi ma main et l’avait serrée très fort tout en me conduisant dans son bureau austère et sinistre. Étrangement, un policier nous y attendait, debout près de la fenêtre. Il m’avait demandé, d’une voix posée et réconfortante, d’entrer et de m’asseoir sur le vieux fauteuil devant lui, élimé par le passage de tant d’élèves. Il avait alors fermé la porte et s’était accroupi face à moi.
 
Je me souvenais parfaitement de ses mots. Ils m’avaient anéantie. Mais à ce moment précis, il m’avait été impossible de les comprendre, de les entendre. Chacun de mes sanglots rendait ma respiration de plus en plus laborieuse. Mes yeux s’étaient embués. J’aurais voulu être ailleurs. Loin de tout. Loin de ces personnes qui m’étaient étrangères et qui essayaient de me faire croire à ces horreurs. Une main sur mon épaule avait tenté, vainement, de m’apporter le réconfort que seul le sourire de ma mère aurait pu me donner.
 
Et soudain, une douce chaleur s’était emparée de moi. M’enveloppant délicatement. Protégeant mon cœur brisé. À travers cet épais brouillard de larmes, je pouvais l’apercevoir. Ce visage rassurant. Ce regard maternel empli d’amour et de tendresse.
 
Depuis ce jour, j’éprouvais la surprenante sensation de n’être jamais seule, de distinguer mes parents dans chaque reflet. Dans chaque coin sombre. J’avais essayé de parler avec eux, en vain. Je n’avais fait qu’attirer l’attention sur moi : il était impensable, dans un établissement comme celui-là, d’avoir une fille aussi perturbée ! Cela m’avait valu de nombreux rendez-vous avec le psychologue de l’école. Il avait rassuré mon entourage : mon état était tout à fait naturel. Je traversais, selon lui, la phase de déni du deuil. Cela pouvait prendre du temps, c’est pourquoi il avait insisté pour poursuivre les séances.
 
La cour de récré était devenue mon cauchemar. Les autres m’évitaient. Cela n’était pas inhabituel, bien sûr, j’étais une solitaire. Mais jusque-là, j’étais transparente. Je n’avais jamais été le sujet des moqueries si féroces des enfants. Quoi que je fasse, j’éprouvais cette sensation terrifiante de ne pas être à ma place, d’être différente.
 
Les services sociaux m’avaient confiée à ma seule famille, le frère de mon père, Al. Il m’avait acceptée et élevée comme sa propre fille, dans un village du Sud de la France. C’est d’ailleurs à lui que je devais cette passion pour le vol.
 
Mon baptême de l’air, il me l’avait offert pour mes huit ans. Al était à la tête d’une modeste société spécialisée dans l’épandage aérien. Cela signifiait en réalité qu’il était le seul à posséder un avion et le permis allant avec. Il était donc fréquemment sollicité par les divers agriculteurs de la région.
 
Chaque soir, après l’école, nous décollions pour une heure de pur bonheur. Il lui arrivait même de me donner le manche. Je me sentais libre. Heureuse. Loin de ce monde qui m’était incompréhensible. Loin de ce monde qui me jugeait et me méprisait.
 
Al. Notre dernier échange m’avait laissée pensive. Une peur irrationnelle commençait à me serrer la gorge. Super ! Il a réussi à m'effrayer avec ses histoires ! 
 
Je pris une profonde inspiration et pointai tous mes appareils. Tout fonctionnait. Le ciel était clair. Conditions parfaites pour voler ! Cependant, plus je me rapprochais du Triangle, plus cette angoisse me rongeait. Je ne pouvais m’empêcher de penser à ces légendes. À ces navires fantomatiques à la dérive. À ces équipages volatilisés. À ces pilotes disparus. Que leur était-il réellement arrivé ?
 
J’y étais. Je survolai enfin cette zone maudite. La peur au ventre, j’essayais vainement de me rassurer. Tout était si calme. Aucune explosion. Aucune tempête. Alors pourquoi paniquer ? Pourquoi penser au pire ? C’était totalement absurde. Les mains tremblantes sur le manche, une boule au creux de l’estomac, j’avais les yeux rivés sur mes appareils.
 
Je reprenais difficilement confiance lorsque mon altimètre commença à s’agiter sans raison apparente. Je tapotai dessus pour le stabiliser, mais sans résultat. Simple coïncidence, rien d’autre. Je devais garder mon calme et rester concentrée.
 
Je tentais de maintenir le cap vers ma destination lorsque mon altimètre, suivi des autres instruments de navigation, se mit à dérailler. Que se passait-il ? Plus rien ne fonctionnait, pas même ma radio. Heureusement, les moteurs tournaient encore et le ciel était dégagé.
 
Ce mince espoir fut de courte durée. Un épais brouillard, aussi soudain qu’imprévisible, se leva et m’enveloppa. Le black-out total. Je venais de perdre toute visibilité et volais désormais à l’aveugle, les mains moites accrochées à mon manche, paralysée par cette peur incontrôlable. Une véritable tempête se déchaînait sous mes yeux incrédules. Un éclair déchira le ciel et frappa l’une des ailes du Liberty, qui prit aussitôt feu.
 
La suite se déroula à une vitesse inouïe. Privée de tout repère, le moteur gauche HS. J’étais devenue simple spectatrice. Je m’imaginais au fond de l’océan. Agonisante. Seule. Je pensais à Al, soucieux, attendant désespérément de mes nouvelles derrière sa radio, à ses histoires tragiques sur le Triangle. Je m’apprêtais à rejoindre les légendes contées par ces hommes que d’autres que moi traiteraient de superstitieux. Peu à peu, l’angoisse de la mort laissa place à une certaine amertume. À la terrible déception de ne pas avoir réellement vécu.
 
Et soudain, le calme absolu. La tempête s’était apaisée aussi subitement qu’elle avait commencé. Le brouillard se dissipa aussi brusquement que ma désillusion, remplacée par une béatitude et une incompréhension totale.
 
Sous le nez de mon avion, des cimes d’arbres gigantesques se rapprochaient dangereusement. Les rayons de la Lune dévoilaient une véritable forêt luxuriante. Magnifique. La beauté du paysage et surtout son improbabilité m’hypnotisaient.
 
Ce que je contemplais ne pouvait exister. Quelques minutes avant, je survolais les eaux profondes de l’océan Atlantique, bien loin de toute terre. Je n’avais pas passé assez de temps au cœur de cette tempête. Pas suffisamment pour atteindre Haïti ou l’une des îles avoisinantes.
 
Il était nécessaire que je recouvre mes esprits et analyse la situation. Tout n’était pas perdu. Je tirai de toutes mes forces sur le manche dans l’espoir de redresser le nez du Liberty et de réduire ma vitesse, en vain. J’avais réagi trop tard. L’inévitable arriva. Je fus secouée dans tous les sens. J’entendis les cimes des arbres frapper mon vieux coucou. Les branches arrachèrent des lambeaux de sa carlingue. L’aile droite craqua et disparut. Quant à moi, je ne pouvais rien faire d’autre que prier.
 
Lorsque, enfin, on vint percuter le sol humide, il ne restait presque rien de mon compagnon de métal. Le vent fouettait mon visage. Des morceaux de verre et d’acier volaient tout autour de moi. Une douleur épouvantable me transperça le corps, puis ce fut le noir le plus total.
 
 
 
 
 
 
 
 

 

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