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Chapitre 3 : première partie

Chapitre 3 : première partie

Published Feb 27, 2023 Updated Feb 27, 2023 Culture
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Chapitre 3 : première partie

Un nouveau réveil difficile et cet effroyable mal de tête qui n’était pas décidé à vouloir me quitter. Mais cette fois, mes souvenirs étaient intacts. Je savais pertinemment qui remercier pour cette douleur lancinante.

Péniblement, j’ouvris les yeux et découvris avec surprise que je n’étais plus dans cette mystérieuse jungle hostile et dense. Non, je me trouvais dans une somptueuse chambre. Les murs de pierres étaient élégamment décorés avec de fabuleux tableaux de paysages. D’épais rideaux en velours couleur carmin à peine fermés devant l’unique fenêtre créaient une atmosphère tamisée et agréable. Le plafond était orné d’un grand lustre en bois de cerf munis d’ampoules semblables à des flammes de bougie. Des tapis en peaux de bêtes réchauffaient le carrelage froid au pied du lit à baldaquin dans lequel j’avais été bordée minutieusement.

Ces lieux m’étaient totalement inconnus. J’ignorais tout de cet endroit et de la façon dont j’y étais arrivée. Un profond sentiment d’incompréhension me rongeait, mais j’étais bien décidée à faire la lumière sur cette histoire.

Je me glissai alors hors des couvertures. L’air frais me mordit la peau, me faisant soudain prendre conscience de ma nudité. Une terrible gêne m’envahit. Pourquoi m’avait-on déshabillée ? Je me sentais violée dans mon intimité. La colère effaça toute trace de peurs. Si je mettais la main sur ce Raphaël, il allait me le payer cher !

J’attrapai avec hâte le couvre-lit et m’enveloppai avant de partir à la recherche de mes affaires. Je ne pouvais pas sortir ainsi.

Je fouillai dans chaque tiroir de la commode, dans chaque penderie, sans rien trouver qui m’appartenait. Les seuls vêtements que je pus dénicher étaient une tenue posée négligemment sur l’un des fauteuils près de la fenêtre. Je ne pouvais faire autrement. À contrecœur, j’enfilai la toilette que l’on avait choisie pour moi : une robe moulante de velours grenat - bien trop courte à mon goût -, accompagnée de cuissardes en cuir noir à hauts talons. J’aperçus mon reflet dans le grand miroir installé face au lit et ne pus m’empêcher de tirer sur ce morceau de tissus rouge qui me couvrait à peine.

Tout à fait mon style ! Si je trouve ce Raphaël, il va me le payer !

Sans plus attendre, je décidai de m’aventurer en dehors de ma prison dorée. J’entrouvris la porte avec prudence et ne fus pas étonnée de voir un men in black monter la garde juste devant. Le gorille se retourna et me fit signe de le suivre. N’ayant aucune envie de le contrarier, je le précédais en observant attentivement le chemin que nous empruntions.

Le couloir était sombre, sans fin. Dans l’air frais flottait une douce odeur d’humidité. Identique à celle des vieilles maisons. Le sol de pierres roses était couvert d’un épais tapis, très moelleux, atténuant le bruit de nos pas. Tout autour de nous, des tableaux stupéfiants. Des paysages féeriques, verdoyants. Luxuriants. Mais aussi des scènes sanglantes de combats. J’aurais aimé avoir plus de temps pour les observer, mais mon garde du corps n’était pas disposé à me le permettre.

Après de longues minutes, il s’arrêta devant une porte ouverte sur un immense salon somptueusement décoré. Des livres aux couvertures en cuir tapissaient les murs. De magnifiques ornements au plafond mettaient en valeur un élégant lustre aux mille couleurs. Époustouflant.

L’écho d’une discussion me parvenait, mais impossible d’en saisir le moindre mot. Seulement les intonations. Un mélange de confusion et d’incrédulité. Je n’osais entrer, de peur de déranger ces inconnus qui me tournaient le dos. Je sentis soudain une gigantesque main me pousser à franchir le seuil. Mais avant que je n’aie pu émettre une objection, mon guide avait disparu.

Ah ! la belle au bois dormant est enfin réveillée !

Raphaël. Assis sur l’un des nombreux sofas disposés au centre de la pièce, il m’observa longuement, le sourire aux lèvres. D’un regard brûlant de désir, mais également empli de fierté. Curieux personnage. Face à mon silence, il ajouta d’une voix suave :

Tu es ravissante.

Son visage se transforma brusquement. Son attitude changea. En une fraction de seconde, il était redevenu l’être odieux que je connaissais. Condescendant et moqueur.

Et ta tête ? Pas trop mal ? Je sais par expérience que se faire briser la nuque est particulièrement douloureux au réveil.
Tout va bien.

Ma voix était rauque et sifflante, avec une pointe d’arrogance. J’en fus extrêmement surprise et cela fit sourire mes hôtes.

Installée confortablement aux côtés de Raphaël se trouvait une véritable caricature du surfeur australien : grand, la peau bronzée, les longs cheveux blonds tirés en arrière et les yeux d’un bleu profond. Il n’était pas plus âgé que Raphaël, pourtant il émanait de lui une telle sagesse. Comme s’il avait déjà vécu des centaines de vies.

Après quelques instants, l’inconnu se leva et m’invita à me joindre à eux. Se rapprochant du bar, il me proposa à boire. Une seule chose me faisait envie : un mojito bien corsé. Mais je me contentai de décliner son offre et allai m’installer sur un fauteuil à oreilles, extrêmement confortable, non loin du divan où se trouvait Raphaël. Tirant sur ma jupe, je lui lançai un regard assassin.

Je suppose que cette tenue, c’est ton idée ? Tu pourrais me dire où nous sommes et pourquoi j’étais totalement nue ? Encore un problème de maîtrise de pouvoirs, j’imagine ? Je les aurais brûlés, mais par chance les draps ont survécu ?

Le surfeur sourit, mais avant qu’il n’ait pu me dire quoi que ce soit, Raphaël prit la parole.

Tu es absolument charmante au réveil ! Bienvenue chez Spinner. Et pardonne-moi pour…, euh…, il faut me comprendre. Je n’avais pas envie de passer le reste du voyage à me battre contre toi. Je n’en avais pas la force.
« Mais au moins, tu as ta preuve. Tu n’es plus très "humaine", tu en conviendras. Personne ne peut survivre à ce que je t’ai fait.

Il marquait un point. Tout semblait vouloir lui donner raison. Mais il m’était inconcevable de le croire. De croire que j’étais un vampire.

Doucement, la confusion s’installa dans mon esprit, me faisant presque oublier ma colère. Il était habile, mais son regard lubrique sur mes jambes raviva mon indignation.

Avant même que je n’aie le temps de formuler une quelconque réplique cinglante pour le remettre à sa place, il ajouta :

Pour tes vêtements ? Rien de spectaculaire. Ils étaient si sales que je n’allais pas prendre le risque d’abîmer le linge de Spinner. Du véritable coton d’Égypte, ça se respecte ! Mais ne t’inquiète pas, tu n’es pas la première femme que je vois nue. Et je n’ai aucun plaisir lorsque ma victime est inconsciente !

Je ne supportais plus son air suffisant. L’envie de lui sauter au cou pour l’étrangler me démangeait de plus en plus. Pour qui se prenait-il ?

Ne fais pas attention à Raphaël. Il ne sait pas comment se comporter avec les femmes de caractère. Surtout si elles sont ravissantes et qu’elles lui résistent, intervint le surfeur. Je te prie de m’excuser, je ne me suis pas encore présenté.

Il s’approcha de moi, saisit délicatement ma main pour y déposer un baiser glacé, avant de continuer :

Je te souhaite la bienvenue chez moi. Tu es en sécurité, ici. Tu n’as rien à craindre de nous, si ce n’est les répliques idiotes de notre cher Raphaël.

Malgré ma confusion, je ne pus retenir un sourire. Mais je n’eus pas le temps de dire un mot. Spinner reprit aussitôt la parole, affichant un air grave.

Je te prie de m’excuser pour cette mise en scène. Mais comment faire autrement ? Il fallait que je te rencontre. Mais je pouvais difficilement me présenter chez toi ou simplement t’inviter ici. Dans les deux cas, cela aurait été beaucoup trop dangereux et je doute que tu aurais accepté un rendez-vous d’un inconnu.

Doe ! Cet homme, ce Spinner, n’était autre que le fou aux exigences délirantes. Le cinglé à l’origine de cette mascarade ! Celui à cause de qui je m’étais réveillée dans cet univers parallèle invraisemblable. Aberrant. Il se tenait devant moi, calme, comme si rien ne s’était passé. Tout ça pour me parler. Un coup de fil aurait pu suffire. Mais non ! Si Al était là. S’il savait…

Sans me laisser le temps de poser la moindre question, il ajouta simplement :

Ne t’en fais pas pour Al. Je l’ai contacté, il y a plusieurs heures déjà. Il est en route.

Sa nonchalance me rendait folle. Je me mordis l’intérieur de la joue, résistant à l’envie de lui dire le fond de ma pensée. De lui demander pourquoi il m’avait fait venir ici, ce qu’il savait exactement de moi et de ma vie et comment il connaissait l’existence d’Al.

Ma colère se raviva. Sombre et intense. Résultat d’une violente frustration et d’un agacement sans précédent. À son attitude indifférente, je devinais qu’il ne me donnerait aucune justification à cette sinistre comédie. Pas maintenant.

Alors, je me tournai vers Raphaël pour exiger d’une voix sifflante des explications. Lui ne résisterait pas à me confier les informations manquantes. À vanter ses exploits.

Comment sommes-nous arrivés ici ?
Par la voie des airs !

Je restais coite, déboussolée par cette réponse absurde. La voie des airs… Encore une ineptie. Mon avion était brisé au sol et tous ses appareils HS. Je n’avais pas eu le temps d’envoyer un message de détresse avant le crash. Et même si j’avais pu, cette île n’était pas répertoriée. Elle n’existait sur aucune carte. Pour les secours, j’étais perdue en plein océan. Sans aucune chance de survie. Sans aucune chance de retrouver la moindre trace de mon coucou.

Pourtant, il paraissait très sérieux. Une pointe de malice était lisible dans ses yeux noirs, mais aucune duperie. Il ne mentait pas. Il était convaincu par ce qu’il venait de m’annoncer. Et n’était pas décidé à m’en dire plus.

Un troisième homme, dissimulé dans la pénombre de la pièce, s’avança vers nous. Je ne l’avais pas vu, ni même senti sa présence jusqu’à cet instant. Il avait la posture d’un militaire : droit, bandant chacun de ses muscles, les bras croisés derrière le dos. Ses cheveux noir-ébène étaient tirés en arrière, seule une mèche tombait sur son visage anguleux. Il m’adressait un sourire charmeur, laissant apparaître des dents d’un blanc éclatant. Son regard était chaleureux et hypnotisant, d’un vert intense. J’aurais pu m’y perdre pendant des heures.

Les plus forts d’entre nous peuvent voler, ou plutôt planer. Nous utilisons les différents courants d’air pour nous déplacer.

C’était de pire en pire. Non seulement ils m’avaient enlevée après avoir failli me tuer, mais ils étaient de toute évidence également bien décidés à me prendre pour une idiote !

Je devais bien reconnaître que leur mise en scène était parfaite. Ils étaient extrêmement convaincants, si seulement tout ce qui sortait de leur bouche n’était pas que pure fantaisie.

Je me présente. Zack.
Euh… Enchantée, soufflais-je.

C’étaient les seuls mots qui m’étaient venus à l’esprit. Je me sentais totalement stupide. Totalement perdue. Bien trop ignorante pour comprendre les règles de leur jeu. De leur monde délirant, peuplé de vampires et de magiciennes. Un monde auquel, d’après eux, j’appartenais à présent. J’avais envie de rire et de pleurer. Rire pour toutes les inepties que j’avais pu entendre jusque-là. Pleurer pour le cauchemar que je vivais actuellement.

Tout va bien ? me demanda Zack, visiblement inquiet.

Si tout va bien ? Avait-il réellement osé me poser cette question ? Il ne manquait pas de culot ! Après ce qui venait de se passer, c’était une évidence que rien n’allait. Que rien n’irait plus jamais.

Spinner se racla la gorge et m’annonça d’un ton suave :

Avant que ton père n’arrive, il faut que nous parlions d’une ou deux choses. Si tu es en état, naturellement.

En état ? De mieux en mieux ! Non, je ne me sentais pas bien. J’aurais voulu m’enfuir le plus loin possible et oublier toute cette histoire. Revenir en arrière et refuser cette folle mission. Peu importe le besoin d’argent. Peu importe l’envie de liberté. L’envie d’échapper à cette vie monotone. Mais je ne le pouvais pas.

Le chaos régnait dans mon esprit. Tant de questions qui se bousculaient. Tant de regrets de ne pas avoir su profiter de ces moments précieux avec Al. De ne pas avoir été capable de me faire plus d’amis. De ne pas avoir connu l’amour. Pas cet amour fraternel que je partageais avec Louis. Non. Plutôt ce truc mielleux qui fait fondre les jeunes filles. Le prince charmant et toutes ces niaiseries !

Mais à présent, j’avais besoin de comprendre. Assimiler le pourquoi de cette sombre aventure. Une nécessité pour aller de l’avant. Pour ne pas devenir folle.

Et si nous commencions simplement par ce qui m’amène ici, Spinner ? Ce qui justifie cette mise en scène ?

Spinner resta muet. Le regard posé sur moi. Comme s’il cherchait à lire en moi. À percer mes secrets les plus intimes.

C’est sans importance, tout ça. C’est de toi que l’on veut parler, ma Belle.

Raphaël me fit un clin d’œil, comme s’il existait une quelconque complicité entre nous, avant d’ajouter :

Tu es une véritable énigme…

Je laissai ma rage éclater. Cet homme m’horripilait.

Arrête de m’appeler « ma Belle » ! Je ne suis pas une chienne ni une de ces poupées sans cervelle. Mes parents, tu sais, ceux que je ne suis pas censée avoir, m’ont donné un prénom à ma naissance. Incroyable, non ? C’est Sarah.
Très bien. Ma Belle !

Son sourire aguicheur eut raison de moi. Il avait le don de m’énerver. Je m’apprêtais à lui lancer une nouvelle réplique cinglante, mais Spinner ne m’en laissa pas le temps.

D’après Raphaël, tu es un vampire, tout comme Zack et lui. Mais ton aura est singulière. Tu dégages l’énergie d’une magicienne. Or, elles ne peuvent pas être transformées en vampires - l’inverse non plus d’ailleurs. D’un point de vue génétique, les deux transformations sont incompatibles. Nous venons de deux mondes distincts.

Encore et toujours cette histoire de créatures magiques et de morts ambulants. De toute évidence, changer de refrain n’était pas dans leur intention. Aucun ne semblait vouloir mettre fin à cette comédie et me dire enfin la vérité.

Spinner s’interrompit dans son explication et me regarda avec tendresse. Comme s’il compatissait à mon désarroi.

Pour reprendre les termes de Raphaël, tu es une véritable énigme. Une magicienne dont je ne peux percevoir les battements de cœur. Aucun son. Aucun signe sur ta peau. Aucune respiration. Je sais que certaines d’entre vous en sont capables, alors pourquoi pas toi ?

Il marqua une pause, observant ma réaction. Comme s’il attendait une réponse de ma part.

Que voulez-vous ? Que je vous donne une explication ? Navrée, mais je ne peux rien pour vous ! Je ne comprends rien à votre délire. Comment pourrais-je être une magicienne ? Je n’ai aucun pouvoir ! Vous voulez savoir qui je suis ? C’est facile, je suis une femme des plus ordinaires !

Je me mordis la langue. Je n’avais rien d’ordinaire. J’avais toujours été un monstre solitaire aux yeux des autres. Mais cela ne les regardait pas.

Vraiment ? me demanda Spinner d’un ton suspicieux.

Je lui fis un simple hochement de tête.

Visiblement déçu par ma réponse, il insista :

Rien d’inexpliqué, ou d’inexplicable, avant ce crash ?
Non, rien. Je vous assure.
Très bien. Admettons que l’on veuille bien te croire, intervint Zack d’un ton sec. Aujourd’hui, tu es tout sauf ordinaire. Et pour la sécurité du monde entier, et la tienne bien sûr, il est capital que nous découvrions qui tu es exactement.

Je ne pus réprimer un rire nerveux. Cet interrogatoire déconcertant me fatiguait. Leur insistance était de plus en plus insupportable. Il n’y avait aucune raison pour qu’ils s’intéressent autant à moi. Rien, à moins qu’ils ne sachent déjà quelque chose à mon sujet.

Malheureusement, je n’avais aucun moyen d’y échapper. Cette somptueuse demeure était ma prison. Et ces trois inconnus, mes geôliers. Pourtant, je ne me sentais nullement menacée. Nullement en danger. Plus étrange encore, Spinner m’inspirait confiance. Tout comme Zack. Malgré leurs élucubrations et leurs histoires invraisemblables.

Je compris alors que si je voulais obtenir moi-même des réponses, je devais jouer leur jeu. Faire comme si tout cela était parfaitement normal, parfaitement compréhensible.

Qui suis-je exactement ? Je vais vous le dire. Je suis Sarah Chevalier, fille de Lucie et Russel Chevalier. J’ai eu 25 ans en août et je vis dans un village paumé en France. Je travaille parfois pour mon oncle, Al, qui m’a élevée, seul, depuis la mort de mes parents, il y a de ça 18 ans. Ma dernière mission m’a amenée ici, une livraison mystérieuse m’obligeant à traverser le Triangle des Bermudes. Après avoir perdu le contrôle de mon avion, je me suis crashée et me suis réveillée en compagnie de votre ami. Voilà, je pense avoir fait le tour. Satisfaits ?
Tu as omis le passage où tu déclenches la tempête à l’origine de notre accident, ajouta Raphaël.

Cet air arrogant et ce ton dédaigneux attisèrent de nouveau ma colère. Jamais je n’avais encore rencontré de personne aussi détestable. J’avais envie de lui faire ravaler sa suffisance.

Arrête de dire des conneries ! Comment je pourrais être responsable de cette tempête ?
Comment ? Regarde dehors ! Tu ne maîtrises rien. Ni tes pouvoirs ni tes émotions. Une véritable boule de nerfs ! Tu étais tellement stressée à l’idée que ce Al ait raison au sujet du Triangle des Bermudes que tu as fini par nous foutre dans le décor !

Je ne comprenais pas ce qu’il essayait de me dire. Insinuait-il que tout ce qui m’était arrivé jusque-là était ma faute ? OK, je ne savais pas contrôler mes émotions. J’ai souvent été très émotive et impulsive, mais de là à provoquer mon accident ! J’étais une pilote chevronnée malgré mon jeune âge. Je n’avais que huit ans lorsqu’Al m’a mis un manche entre les mains et depuis, pas une semaine ne s’écoulait sans que je prenne la voie des airs. Jamais je n’aurais perdu mes moyens à cause de la peur. J’en avais connu, des tempêtes. Celle-ci n’avait rien de spectaculaire.

Un brusque claquement me fit sursauter. Un puissant vent chaud jouait avec les battants des fenêtres ouvertes. Il s’engouffra dans la pièce, agitant mes cheveux. Dehors, tout annonçait qu’un terrible orage prenait forme. Le ciel, d’un bleu azur quelques minutes auparavant, était à présent envahi de nuages noirs menaçants. L’air était de plus en plus humide et chargé en électricité. C’était vivifiant. Revigorant. Mais je ne voyais pas le rapport avec mes émotions.

Impressionnant ! Tu disais vrai, Raphaël, s’exclama Spinner. Elle semble pouvoir maîtriser l’eau et l’air.

Tous trois se tenaient devant moi. Debout. Silencieux. Ils m’observaient avec une telle curiosité qu’un frisson me parcourut l’échine. À cet instant précis, j’étais comme la proie d’une meute de loups affamés. Apeurée. Acculée. Sans défense.

Raphaël s’approcha de moi. Sans un mot. Sans une de ses réflexions désagréables. Il s’accroupit pour me saisir la main. Comme s’il pouvait ressentir mon malaise.

Ses doigts glacés effleuraient ma paume dans une caresse réconfortante. Une sérénité surprenante s’imposa soudain en moi. Mes pensées se calmèrent. Ma colère s’évanouit et le ciel s’éclaircit aussitôt. Comment faisait-il cela ? Tout chez cet homme m’horripilait. Je l’avais en horreur. Sa présence m’insupportait. Mais l’idée qu’il puisse disparaître, qu’il puisse m’abandonner, me terrifiait. Me terrorisait.

Il se contenta de me sourire avant de retourner s’asseoir sur le sofa dans lequel Spinner s’était réinstallé. Zack, quant à lui, avait pris place sur l’un des accoudoirs. Il me félicita pour cette brève démonstration. Je ne pouvais croire que mes émotions et cette météo capricieuses étaient liées. D’où me viendraient de tels pouvoirs ?

Alors que j’étais de nouveau perdue dans un tourbillon de questions, Spinner se leva. Il se dirigea vers le bar, se déplaçant tel un prédateur. Avec souplesse et grâce. Un spectacle hypnotisant. Irréel. Il revint ensuite vers moi, un verre en cristal à la main. Un verre empli d’un liquide couleur merlot à l’odeur métallique qu’il me tendit.

Je… D’où…, bégayai-je.
D’une banque dont je suis le propriétaire en ville. J’en possède plusieurs à travers le monde entier. Tout ce qu’il y a de plus légal. Rassure-toi, je n’ai tué personne, me précisa Spinner en souriant.

J’avais faim. D’une faim qui me consumait de l’intérieur. Qui me tordait les entrailles. Mais j’avais la certitude que cette « boisson » n’était pas ce dont j’avais besoin. Ce parfum me dégoûtait, me laissait un goût âcre dans la bouche.

Malheureusement, mon hôte ne m’offrait guère le choix. Voilà tout ce qu’il me proposait. Du sang froid, sans vie.

J’attrapai le verre, sans grande conviction, pour le porter à mes lèvres. Pour étancher ma soif de plus en plus intense. De plus en plus insupportable. Mais ce liquide ne me procura qu’un haut-le-cœur. Qu’une envie irrépressible de vomir.

Tu vois, Raphaël. Une simple magicienne ! Tu as dû te prendre un sacré coup sur la tête pendant le crash, se moqua Zack, secoué par un fou rire bruyant.

Le comique de la situation m’échappait totalement, mais je ne pris pas la peine de réagir. Je n’en avais pas la force. La faim me rongeait, malgré mon dégoût. Transformant peu à peu le regard que je portais sur mes hôtes. Je n’étais plus la proie terrorisée. J’étais brusquement devenue le chasseur et eux, un délicieux gibier. Un repas exquis.

Peur, colère et confusion s’évanouirent en un éclair. Je ne pensais qu’à une chose : me délecter de leur sang. Je me régalais de leur odeur en essayant de deviner quelle saveur pouvaient-ils bien avoir. Seraient-ils aussi doux et sucrés que ce cher Raphaël ?

Une délicieuse douleur me sortit de ma contemplation sauvage. Féroce. Mes canines se plantèrent dans la peau fine de mes lèvres et un goût exquis envahit ma bouche.

Je me tenais debout, au centre de la pièce, devant un grand miroir posé sur le vieux foyer en pierre. Je surpris pour la première fois mon reflet. J’en fus subjuguée.

Mon teint blême. Ma bouche d’une pâleur morbide. Ces deux points rouge vif. Et mon regard. Un bleu acier cerclé de violet. Le même que celui qui soulignait le noir de ma chevelure. Il n’y avait plus aucun doute : je n’étais plus humaine. Mais qu’étais-je devenue ?

 

Texte de L. S. Martins. 

Vous avez aimé ? Retrouver mon livre en version poche ou ebook sur Le réveil de Gallja 1- La naissance de Tinùviel de L. S. Martins (publishroom.com)

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