Tu verras
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Tu verras
Ce livre m’a pris par surprise et complètement retourné.
N’ayant rien lu à son sujet, le titre et la quatrième de couverture m’ont fait croire qu’il s’agissait d’un roman sur la difficulté d’être parent et sur les relations père-fils. Étant depuis toujours (et encore plus depuis que je suis père) sensible à ce sujet, je l’ai donc pris sans chercher à en savoir plus avant de le lire. Et en effet, c’est en partie le thème du livre. Mais ce Tu Verras de Nicolas Fargues c’est plus, bien, bien plus que cela.
Le narrateur est le père de Clément, pré-ado de 12ans avec lequel les relations commencent doucement à se compliquer maintenant qu’il est au collège et qu’il a des fréquentations que son père réprouve. Le père est un quadra sans grande envergure, fonctionnaire, divorcé, il élève tant bien que mal son fils dont il a la garde. Bourré de principes et de certitudes, il essaie d’inculquer à son fils une certaine culture, une certaine éducation, pas toujours facile quand on se heurte aux goûts et aux envies d’un gamin de son temps. Alors souvent il y a conflit. Et il n’est pas rare que le père ponctue ses leçons de morales ou ses conseils par un « Tu verras, quand tu seras grand tu comprendras, tu verras. » comme argument ultime. Sauf que Clément, à 12 ans, meurt dans un accident de métro. Et que son père se retrouve alors seul, infiniment seul, à repenser au passé, à essayer de comprendre ce qui est arrivé.
Ce livre est d’une tristesse insondable, infinie. Il est touchant, bouleversant, dérangeant, inconfortable mais pourtant très beau et, qualité immense au vu du sujet abordé, jamais larmoyant. Pas de pathos, pas de mièvrerie. Bien au contraire. La plume de Nicolas Fargues est d’une sincérité incroyable, le regard qu’il porte sur son personnage est sans la moindre concession, d’une franchise qui peut même gêner, voire faire peur. Le deuil que traverse ce père vous prend aux tripes mais aussi au cerveau, il vous emmène avec lui dans ses interrogations, ses doutes, ses remises en causes et ne vous lâche pas une seule seconde. Avec le deuil vient le temps du grand ménage. Son ex-femme, son actuelle compagne, son propre père : tous y passent. Il n’y a plus de filtre, plus de retenue. Surtout plus d’envie de faire le moindre effort quand l’essentiel s’est envolé. Avec le deuil vient le moment où le père repense à tout ce temps passé avec son fils, les bons comme les mauvais moments. Cela valait-il la peine d’entrer en conflit avec lui pour ses tenues vestimentaires qu’il trouvait ridicules ? De se moquer de lui parce qu’il se mettait à écouter ces rappeurs débiles qui chantent des niaiseries tout en se pavanant en marcel moulant ? Est-ce qu’il n’aurait pas mieux valu profiter de ce temps pour juste être heureux avec son fils et mieux apprendre à connaître cet être en devenir ?
Par moment, certaines réflexions que se fait le père sont vraiment violentes à lire et à entendre. Pourtant elles retranscrivent une réalité qu’on ne peut nier. C’est ce qui fait toute leur violence du reste. On ne peut s’empêcher, en tant que parent, de se retrouver dans les mots de Nicolas Fargues, c’est proprement inévitable. L’auteur vise si juste, ses mots tapent tellement là où c’est vrai et donc là où ça fait mal, qu’on n’y échappe pas. C’est toute la force de ce roman, il ne peut pas vous laisser indifférent, c’est juste impossible. Même sans être parent, je pense que le livre parvient à toucher en profondeur ce qu’on a de plus humain (et qui n’est pas forcément agréable ou beau à voir).
Et ce futur du titre qui vient se fracasser sur le passé qui s’impose au père à chaque fois qu’il pense à son fils, c’est à la fois d’une sensibilité extrême et d’une puissance terrassante. Non Clément ne verra pas tout ce que son père lui promettait qu’il comprendrait plus tard.
Pris au dépourvu par le thème, pris à la gorge par l’histoire et les sentiments de ce père à la dérive, bluffé par la plume d’une concision et d’une classe folle de l’auteur, j’ai été encore plus surpris d’apprendre que ce roman n’est en rien auto-biographique. L’auteur a su se mettre dans la peau d’un type qui vit une telle tragédie d’une manière que je n’aurais pas cru possible. Car écrire sur ce thème-là est déjà bien casse-gueule si on y a été réellement confronté, mais alors parvenir à se substituer au personnage et imaginer tout ce qu’on peut ressentir avec ce degré d’authenticité… c’est pour le moins la marque d’un talent plus que remarquable.
Si une chose peut éventuellement être reprochée à ce roman, ce serait sa fin. Nicolas Fargues ouvre une porte inattendue (et de façon un peu abrupte) vers une conclusion qui reste ouverte pour le personnage du père. Personnellement cette fin ne m’a pas dérangé, l’intérêt principal de ce livre ne résidant pas là à mon sens.
Une chose est certaine, j’ai été complètement surpris et conquis par cet auteur dont je n’avais jamais rien lu auparavant, et ce roman, court mais d’une densité et d’une force rares, m’a convaincu de son talent et donné l’envie d’aller voir parmi ses précédentes œuvres si je peux y trouver mon bonheur.
Cet article a été initialement publié sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com
Julien Guyomard 3 years ago
partagé*
Julien Guyomard 3 years ago
Moi je suis vraiment partager entre le lire ou pas. Mais je vais quand même le mettre dans ma liste...
Stéphane Hoegel 3 years ago
Je crains presque d'avoir fait une mauvaise pub à ce livre en soulignant sa rudesse et la profondeur de ce qu'il révèle sur nous-même... Mais encore une fois je peux comprendre que le thème abordé fasse un peu peur. Il y a des moments où l'on a plutôt envie de légèreté et de douceur, que nos lectures nous fassent du bien. Attendez-vous avec ce roman à être bousculé, parfois même mal à l'aise. Mieux vaut le savoir avant de s'y lancer !
Christelle Bordet 3 years ago
Le livre a l'air fort, mais je ne vais même pas essayé de le lire.
Stéphane Hoegel 3 years ago
Je peux comprendre, ce roman ne ménage pas son lecteur...