Comme les relations sont toujours glaciales avec ses parents, elle n’envisage même pas de les contacter pour leur demander de l’aide. Il parait que parfois, le divorce change les gens en mieux…ce qui visiblement ne s’applique pas à France et à Noel. Elle toujours centrée sur sa petite personne, lui en vadrouille à l’autre bout du globe, avec sa nouvelle nana, qui aurait l’âge d’être la sœur de Juliette. 

En revanche, lors d’un de ses appels hebdomadaires, elle s’en ouvre à Rose, en minorant l’ampleur des dégâts, pour ne pas salir auprès de sa grand-mère l’image de William que cette dernière apprécie beaucoup. Quelques jours plus tard, un chèque salvateur de 1000€ atterrit dans la boite aux lettres pour calmer notaire, proprio et crises d’angoisses. Mais il reste encore un sacré paquet de fric à trouver et Will semble apathique face à la situation. 

Pire, on dirait presque qu’il lui en veut à elle, de le priver de son rôle de mâle alpha. C’est sûr qu’on a bien vu le résultat, songe t’elle amère. 

Bien décidée à s’en sortir sans lui, elle décroche un deuxième boulot, en homeshoring, c’est-à-dire du télémarketing depuis chez elle, les soirs et le week-end. Pendant des mois, Juliette va enchainer ses heures de prises d’appels cauchemardesques la journée, aller chercher Fleur, s’en occuper, la coucher puis enfiler son casque de superviseur à distance d’une équipe de téléconseillers. Elle n’est plus qu’une maman et une voix dans des écouteurs, épuisée, à bout de force, mais fière et la tête haute… toujours. Avec son double-salaire elle rembourse l’intégralité de leurs dettes et met même un peu d’argent de côté. Pourtant, Will continue de s’isoler dans sa bulle infernale. Il évite son regard, ne sourit plus, joue à peine avec Fleur, mais semble errer comme un fantôme, une vague présence entre les murs. 

Un soir, tard, alors qu’ils sont en train de fumer sur la terrasse, dans la douceur d’une lune de fin d’été, il aborde du bout des lèvres la situation dans laquelle ils se trouvent depuis des mois. Juliette retient son souffle, espérant comprendre et nommer enfin, le mal qui les grignote, qui estompe les si jolies couleurs de leurs débuts. Il se met à raconter qu’il est blessé de ne pas être à la hauteur du costume qu’il s’est lui-même tissé, qu’il a la sensation qu’elle a envie de le quitter, qu’il a bien conscience qu’il a merdé avec l’argent et qu’il s’en veut. 

Elle voit ses yeux se noyer, le chagrin qui lui fait boire la tasse et il glisse : 

“Tu vois, ça fait plus de 2 ans que tu portes cette bague à ton doigt et on ne s’est même pas mariés…2 ans de fiançailles, c’est long, ma puce, non ?  

Juliette n’en revient pas…c’est vrai que ça n’a jamais été une priorité pour elle. Avec l’arrivée de Fleur, les kilos qui mettent du temps à s’envoler, les soucis d’argent qu’ils avaient rencontré, elle ne pensait plus du tout au mariage. 

Mais de le voir ainsi, malheureux, en pleins doutes sur l’avenir, elle a envie de lui redonne le goût de se battre et elle lance, sans réfléchir : 

─ Si c’est vraiment important pour toi, alors marions-nous Will !  

Pour la première fois depuis bien longtemps, ses yeux semblent s’illuminer, ses lèvres s’étirent en un sourire et il l’emporte dans ses bras jusqu’à la chambre, où il lui démontre à quel point les corps eux ne s’oublient pas. L’horizon s’éclaire pendant une poignée de lunes. Will et Juliette, dans une valse folle, planifient, organisent, prennent date des noces prochaines, choisissent le lieu, les couleurs et le thème, le faire-part, le traiteur et les animations… William s’essouffle peu à peu. juliette ne comprend pas, trouve des réponses à ce énième changement d’humeur. 

Il doit penser à sa maman…sans doute…il doit être triste de voir mes proches enthousiastes alors que lui n’a presque personne…  

Et bien que ce soit lui qui ait insisté pour se marier, elle prend tout en charge et fonce la tête la première, persuadée ce faisant qu’en cédant sur le mariage et en fabriquant un de conte de fées, elle allait lui prouver en un geste ultime qu’elle l’aimait toujours. Au point de lier officiellement leurs destinées et d’épouser son nom. 

Pourtant, le soir de son 28ème anniversaire, la vie lui envoie un avertissement violent, qu’elle ne saisira pas, trop aveuglée sans doute, trop apeurée peut-être. 

Tout le jour, alors que tout son petit monde téléphone ou lui envoie des messages pour célébrer comme il se doit le jour de sa naissance, une des personnes les plus importantes de sa galaxie manque à l’appel. Natalia…sa grand-mère paternelle. D’ordinaire, comme un éternel rendez-vous, elle est toujours la première voix dans son téléphone, le 1er décembre ou le 30 juillet, à honorer de ses pensées sa petite-fille rebelle, astéroïde étrange de cette famille bizarre. Mais cette année, Natalia n’appelle pas et Juliette s’interroge. 

Elle a dû oublier, Juliette, elle n’est plus toute jeune, tu sais ? tu n’es plus une enfant, arrête de faire ta gamine !  

Aucune de ces injonctions n’arrivent à dissoudre le pressentiment sombre niché dans son plexus s