

La tête en l'air, les pieds sur terre et la plume
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La tête en l'air, les pieds sur terre et la plume
Elle était partie. Je savais que cela arriverait et pour autant mon cerveau n’enregistrait pas la donnée. Une musique m’avait habitée tout au long de ce long moment, ce moment où l’on se dit : « pas elle, cela n’arrivera pas, elle est l’exception, je m’en tape des statistiques ». Cette musique était un fil rouge, une toile de fond et elle était intérieure. Jamais mes enceintes ne l’avaient émise. Je l’avais maintes fois entendue, trouvée jolie mais sans qu’elle ne soit parmi mes chansons préférées. Elle était en anglais ce qui a son importance. Je ne parle pas anglais. Je n’ai jamais réussi à déchiffrer ou à comprendre les langues d’ailleurs. Lors de son enterrement, j’ai choisi cette musique pour l’instant des fleurs, celui où chacun peut dire au revoir et se recueillir.
J’ai écrit un discours. Difficile à tenir. Je comptais en choisir un tout prêt parlant de papillons et d’étoiles tellement il était complexe de sortir quelque chose de soi au moment où rien ne faisait plus sens. Et puis la nuit précédente, j’écris. Que c’est trop tôt, qu’exprimer ma peine est trop difficile et la remercie simplement pour ce qu’elle m’a donné, sa gentillesse et sa tendresse.
30/04/2010 L’enterrement. Je suis pétrifiée. Il y a beaucoup de monde et j’aurais préféré très égoïstement être juste avec elle, que cela soit notre moment d’au revoir, que tous ces gens qui ont eu une relation avec elle quelle qu’elle soit disparaissent. Je ne sais pas d’où cette colère venait et pourquoi elle se dirigeait ainsi vers l’extérieur. J’ai réussi à la contenir même si les discours qui s’enchainaient me faisaient parfois dire qu’il aurait mieux valu s’abstenir. J’étais dure. Personne ne l’avait comprise comme moi. Personne n’avait vu ce qu’il fallait voir à mon sens. Et encore moins maintenant. Aucune larme ne coulait. Il y a six émotions de base. On aurait dit que mon corps en avait choisi une et qu’il n’en démordait pas. « Ce sera celle-là ».
Le discours : ma petite maman, j’aurais aimé te dire beaucoup aujourd’hui. C’est trop dur et c’est trop tôt…
Je regarde le parchemin que j’avais brulé tout autour et calligraphié pour le mettre avec elle en plus des fleurs. Je suis robotisée. Je l’avais lu de nombreuses fois si bien que mes yeux accrochaient non la phrase d’après mais celle qui suivait encore. J’avais hâte que cela se termine. J’étais dans ma bulle, ne voyais rien ni personne. L’assemblée était muette et j’avais l’impression qu’elle ne me regardait pas. On me racontera plus tard que pendant mon discours, une plume blanche était apparue comme poussée par le ciel et qu’elle avait virevolté jusqu’à mes pieds. La poésie de ce moment avait ému tout le monde, le silence avait été pénétrant, même pour moi qui pourtant était calfeutrée, empêtrée dans mon unique émotion.
La plume avait habité mes rêves. Je l’avais vue de manière très floue puis très distinctement se poser sur son cercueil. Ma mère avait alors dit qu’elle serait toujours avec moi et qu’elle m’aimait très fort. Je m’étais réveillée soulagée et emplie d’amour comme réparée d’un moment où je ne m’étais pas reconnue.
Janvier 2016 Je suis devant mon ordinateur à écouter de la musique. Une tension apparait. Je ne connais toujours pas l’anglais mais je fais l’effort maintenant d’aller chercher la traduction quand je suis intéressée par quelque chose. Les séries en VO sont passées par là également. La chanson, celle des fleurs me vient en tête. Jil is lucky the wanderer. Le réflexe premier est d’aller voir la traduction cette fois-ci. Six années s’étaient écoulées et jamais je n’avais eu cette idée.
Il y a des fleurs dans ma chambre
Et elles n'ont pas besoin d'un travail
Elles ont juste besoin de temps
Pour grandir et mourir
Et les amoureux sur leur nuage
N'en ont rien à foutre de l'argent
Ils sont là pour essayer
De rester côte à côte
Mais c'est si difficile
Parce que le matin vient toujours tuer le rêve
Que vous avez eu la nuit précédente
Eh bien, je me laisse glisser tout le long du trottoir
Monter au ciel, il y a quelqu'un derrière
Et il guidait mes pas
Monter et descendre l'escalier de vie
M'aide, me laissant ainsi à nouveau
Et je marche tous le long de ces horribles jours
Jour après jour
Mais ça va
Je suis sur mon chemin
Errant à nouveau de l'ouest vers l'est
Je tente de résister
Mais c'est si difficile de ne pas tomber
Eh bien, je suis moi-même glisser tout le long du trottoir
Monter au ciel, il y a quelqu'un derrière
Et il guidait mes pas
Monter et descendre l'escalier de vie
M'aide, me laissant ainsi à nouveau
Les fleurs et la personne qui guide mes pas. Je sélectionnais un peu mais j’étais émue car la musique qui m’avait habitée recouvrait les deux thèmes qui me tournaient en tête à ce moment-là. J’avais vu le clip avant, les poneys et les chanteurs habillés de combinaisons moulantes galopant dans la neige. Je m’étais dit qu’effectivement j’aimais bien cette chanson mais que peut être, elle n’était pas appropriée. Je ne m’étais pas trompée finalement. La douceur mais aussi le rythme de la musique m’avait touchée. Cette renaissance, je la sentais. Cette peine profonde et cette envolée où tout reprend où tout va mieux. Cela contrastait avec le texte mais la musique parlait. Je retenais qu’une personne guidait mes pas et étais impressionnée d’avoir choisi cette chanson pour ce moment particulier. Les fleurs ont juste besoin de temps pour grandir et mourir. Je trouvais cela très beau. L’optimisme ça avait toujours été mon truc, celui de ma maman aussi et cette chanson je le sais maintenant, c’est ma mère qui me l’avait transmise.
La plume. Elle était là. Je la regardais dans son coffret. Mon père l’avait ramassée après la cérémonie et me l’avait donnée en me prenant dans ses bras. Il me connaissait et savait à quel point elle avait de l’importance. Je la regardais comme à chaque fois qu’un événement venait à me bouleverser. Une cartomancienne qui serait tombée dessus m’aurait dit très certainement qu’un être cher décédé pensait à moi. Sa signification était claire. Je n’y croyais pas vraiment jusqu’à présent. Un faisceau de preuves devait être présent. Ma spiritualité n’avait d’égal que ma rigueur scientifique. Je ne pense pas que les vœux soit l’affaire d’une plume. La lampe et le génie s’y prêtaient bien. La plume, plus délicate semblait attendre que l’on vienne vers elle de manière plus douce. Je lui posais alors une question : De quel oiseau viens-tu ?
Je voulais qu’elle me réponde, une colombe ou bien une tourterelle ou bien … peu importe en fait. Je voulais qu’elle me donne mes origines certainement à travers celles de ma mère, qu’elle me dise qui j’étais. C’est une question que l’on se pose à vie et je m’attendais à un bruissement voire une voix sortie de nulle part qui me dirait ma vérité. Il ne se passa rien et je pense que la plume est moins réactive que le génie. Il fallait attendre. Les signes ne sont visibles que si l’on y est ouvert. A s’y fermer, il semblerait qu’on y perde quelque chose. Il reste beaucoup de choses à découvrir et les formules mathématiques n’y feront rien. Toujours est-il que je garderai ma plume bien couverte, mes souvenirs bien actifs. Mes questions, je n’aurais je crois plus besoin de les formuler devant elle. Les réponses seront là quelque part, partout, ailleurs, ici et là. Les plumes des oiseaux leur servent à voler. Lorsqu’elles se détachent, il faut bien que quelqu’un revole. Les pieds bien sur terre, la tête en l’air, une plume au-dessus de moi, j’étais parée de la plus belle des façons.

