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Damian
En rejoignant les gars sur scène pour les balances, je me fonds dans l’agitation habituelle qui précède nos concerts. Les techniciens s’affairent autour de nous, ajustant les lumières et le son, tandis que mes camarades de groupe testent leurs instruments. L’atmosphère est électrique, presque familière, un mélange d’excitation et de concentration que nous connaissons bien. Pourtant, mon esprit ne cesse de revenir à cette rencontre étrange et déstabilisante.
Je m’installe avec ma guitare, essayant de me concentrer sur les notes, mais mes pensées dérivent sans cesse. Il est rare que je joue de la guitare sur scène, préférant généralement laisser cet aspect à mes camarades, mais aujourd’hui, une envie inattendue me pousse à le faire. Peut-être est-ce le besoin de m’ancrer, de canaliser cette énergie troublante qui tourbillonne en moi depuis cette rencontre.
Je commence à gratter doucement les cordes, laissant les accords d’une nouvelle musique sur laquelle je travaille se frayer un chemin à travers l’espace. Les notes résonnent, sombres et mélodieuses, créant une ambiance introspective. Cette chanson est encore un secret, inconnue du public, un morceau de mon âme que je n’ai pas encore révélé.
Les paroles me viennent naturellement, murmurées plus que chantées, comme si elles s’échappaient de quelque part au plus profond de moi :
"In the shadows where darkness reigns,
Our gazes search, lose, and cling."
Les mots coulent, portés par la mélodie, racontant une histoire d’amour interdit, de regards qui se croisent dans l’obscurité, se perdent, puis s'accrochent désespérément à quelque chose d’insaisissable. C’est un reflet de ce que je ressens, de cette confusion qui m’habite depuis ce matin.
Je continue à jouer, me laissant emporter par la musique, par la simplicité des accords qui expriment ce que les mots seuls ne peuvent pas. Chaque note, chaque mot est un écho de mes pensées, une tentative de donner un sens à ce que je vis, à ce que je ressens. C’est comme si, pour un instant, tout ce que j’ai du mal à comprendre trouvait une forme, une structure dans cette chanson en devenir.
Je suis tellement absorbé que je ne remarque presque pas Kai qui s’approche, son expression habituellement décontractée légèrement plus sérieuse, comme s'il percevait l’importance de ce moment. Il ne dit rien, mais je sens son soutien silencieux, cette reconnaissance partagée du pouvoir de la musique pour canaliser ce que nous ne pouvons pas toujours exprimer autrement.
Je termine les derniers accords, laissant la dernière note s’évanouir dans l’air, emportant avec elle un peu de la tension qui m’habitait. Jouer cette musique, même juste pour moi, a eu un effet apaisant. Cela me rappelle pourquoi je fais ce que je fais, pourquoi la musique a toujours été ma façon de naviguer dans ce chaos qu’est la vie.
— Tout va bien, Damian ? lance-t-il, une pointe de préoccupation dans la voix.
Je tente un sourire, forçant une légèreté que je ne ressens pas vraiment.
— Ouais, tout roule. Juste une étudiante qui pourrait me rendre fou, lui répondis-je, essayant de minimiser mon irritation.
Kai lève un sourcil, un sourire en coin.
— Ah, la journaliste, ajoute-t-il, l'air songeur. Elle ne doit pas être si terrible que ça.
Je hausse les épaules, détournant les yeux vers les câbles qui serpentent le long de la scène.
— Ce n’est pas qu’elle soit terrible, c’est juste… différent, dis-je, cherchant mes mots. Elle n’est pas comme les autres. Elle pose des questions que je ne m’attendais pas à entendre. Et pour une raison que je ne comprends pas encore, ça m’a secoué.
Kai me fixe un instant, ses baguettes battant un rythme léger contre ses genoux, comme pour réfléchir à mes paroles.
— Peut-être que c’est une bonne chose, Damian. Parfois, ce genre de rencontre peut te faire voir les choses sous un autre angle. T’as besoin de ça, des fois.
Je secoue la tête, encore sceptique.
— Peut-être, ou peut-être qu’elle va juste me compliquer la vie.
Kai rit doucement, avant de se lever pour se préparer pour la balance.
— Eh bien, quoi qu'il en soit, on a un concert à assurer ce soir. Tu verras bien comment ça se passe. Fais juste ce que tu sais faire de mieux et laisse le reste suivre son cours.
Je prends une profonde inspiration, tentant de me recentrer sur ce qui est important. La musique, la scène, l'énergie du public… tout ce qui m’a toujours maintenue en équilibre.
Alors que nous peaufinons les réglages sur scène, je remarque Kurt qui se précipite vers nous, haletant avec ma valise à la main. Un sourire sarcastique étire mes lèvres en voyant son air paniqué. Enfin, il a réussi à faire quelque chose de juste, après tant de stress inutile.
— Tu vois, quand tu te donnes la peine, tu peux vraiment être utile, Kurt, lançai-je d’un ton moqueur en lui donnant une petite tape sur la joue.
Kurt, visiblement essoufflé et légèrement irrité, essaie de masquer son agacement sous un sourire forcé. Il sait à quel point je suis attaché à ce micro, non seulement pour sa qualité mais aussi pour ce qu’il représente pour moi. C’est plus qu’un simple instrument, c’est une extension de ma présence scénique.
— Désolé pour le retard, Damian. La sécurité à l’aéroport puis le trafic, ça n’a pas été simple, se justifie-t-il, son ton trahissant une pointe de défense.
Je lève un sourcil, mon sourire s’élargissant en un rictus amusé.
— Excuses acceptées… pour cette fois. Assure-toi juste que ça ne se reproduise plus, rétorquai-je avec un air faussement indulgent. Je déteste attendre, tu le sais.
Kurt hoche la tête, clairement soulagé de mettre fin à cette conversation, et se dépêche de me remettre la valise avant de s’éclipser. Je prends le micro avec soin, ajustant les réglages avec précision. Chaque détail compte pour que la performance soit impeccable.
Revenant à ma place, je sens la montée d’adrénaline habituelle avant un concert. Avec mon micro fétiche enfin entre les mains, je me sens complet, prêt à affronter la foule. Les balances terminées, je me tourne vers les autres membres du groupe, leur adressant un hochement de tête confiant.
— Allons leur montrer pourquoi ils ne devraient jamais rater un concert de Crimson Shadows, dis-je avec un sourire narquois, laissant derrière moi l’incident avec Kurt. Ce soir, rien ne pourra m’arrêter.