Partie 2 : La remise en question - Chap. 10 : La migration - Sct. II : Puis vinrent les années dorées en Europe... - Sqc. b : Des pays qui s'en mêlent
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Partie 2 : La remise en question - Chap. 10 : La migration - Sct. II : Puis vinrent les années dorées en Europe... - Sqc. b : Des pays qui s'en mêlent
Un individu isolé, ou une petite famille, ou une petite communauté restreinte loin des siens, qui finit tôt ou tard par s'assimiler à la population ambiante parce qu'il n'y a pas grand-chose d'autre à faire s'ils veulent s'installer durablement et que ce soit vivable, ce n'est pas la même chose que des vagues entières de millions de migrants, des centaines de milliers par origine et par pays d'accueil, qui se regroupent entre eux pour se rassurer et se soutenir mutuellement face à un milieu potentiellement hostile et qui apportent avec eux toute leur culture, leurs us et coutumes du pays d'origine, qu'ils tiennent à préserver pour soulager leur mal du pays. Qui pensaient peut-être au départ rentrer un jour au pays d'origine, mais qui se retrouvent, au gré des circonstances, au pays d'accueil pour y rester. Et pour y faire souche.
Des millions de migrants dont la réussite apparente sert d'exemple à d'autres. Un exemple qui attire ces autres à leur tour au pays d'accueil et les encourage à y tenter leur chance.
Une réussite qui oblige les pays d'origine à prendre à leur tour position face à un phénomène d'une telle ampleur qu'ils ne peuvent plus l'ignorer ni y rester indifférents.
Parce que, oui, avec l'ampleur qu'a prise le phénomène de la migration, et surtout ses développements parfois inattendus et imprévus, de nouveaux interlocuteurs ont été amenés à y mettre leur grain de sel.
La migration dans les temps anciens
Autrefois, quand la migration restait d'ampleur limitée, même si quand on migrait, c'était pour y rester, les seuls véritablement concernés étaient les migrants eux-mêmes... et les patrons au pays d'accueil qui voulaient bien les employer selon leurs capacités pour leur assurer un gagne-pain. (Des patrons qui ne seraient jamais allés les chercher jusque dans leur pays d'origine, mais qui, puisqu'ils étaient là, tant qu'à faire, se disaient qu'après tout, ils pouvaient se rendre utiles.) Et aussi les populations locales de l'endroit où ils s'installaient.
Au pays d'accueil, il pouvait bien y avoir un peu de grogne voire de jalousie au sein de la population autochtone, mais ma foi, tant que la migration restait d'ampleur limitée, il s'agissait d'un problème individuel plus qu'autre chose. Le gros de la population n'avait pas véritablement le sentiment d'avoir affaire à de la concurrence. Alors à partir du moment où les gens étaient sûrs de ne pas avoir affaire à des espions ni à des bandits de grands chemins, ils estimaient que ma foi, avec un peu de bonne volonté, tant qu'ils ne faisaient de tort à personne et qu'ils se rendaient utiles, on pouvait bien se pousser un peu pour leur faire une petite place. Après tout, quand il y en a pour deux, il y en a pour trois, quand il y en a pour dix, il y en a pour douze, et quand il y en a pour quinze, il y en a pour vingt. Voilà comment les choses finissaient par se passer avec un peu de temps. Il y fallait un peu de temps, bien sûr - mais après tout, ne faut-il pas du temps pour tout ?
Au pays d'origine, les seuls qui de préoccupaient du départ des migrants étaient leurs proches. Ceux qui l'étaient suffisamment pour pleurer leur absence. Si leur pauvreté ou leur divergence d'opinion avait pu en faire des fauteurs de troubles potentiels, le reste du pays était plutôt soulagé de les savoir loin. En dehors de cela, il restait parfaitement indifférent à leur sort.
Les pays en tant que tels étaient d'autant plus indifférents à la chose qu'en plus d'être et de rester de faible ampleur, la migration était souvent plus ou moins clandestine. Les mouvements des individus subissaient bien un certain contrôle, mais ceux dont les déplacements transfrontaliers étaient contrôlés par des laissez-passer ou des sauf-conduits n'étaient pas des migrants. La plupart du temps, il s'agissait soit de marchands, soit de politiques, de diplomates ou de fonctionnaires en mission officielle - et, bien entendu, temporaire.
Employeurs et politiques
Mais à une époque où la demande de main-d'œuvre était telle qu'on allait chercher les migrants jusque chez eux pour les ramener au pays d'accueil et les convaincre d'y migrer, évidemment, rien n'était plus pareil. Les choses ne se passaient plus au niveau individuel en petit comité. Ni non plus à l'initiative des individus désireux de migrer, seuls, en famille ou en petite communauté.
Certes, ce n'étaient pas les PME ni les petits patrons privés qui allaient chercher les migrants jusque chez eux. Eux, ils n'en avaient pas les moyens. Ils partaient plutôt du principe qu'il fallait savoir se débrouiller avec ce qu'on avait sous la main. Et puisqu'il y avait des gens capables dans leur pays, pourquoi se casser la tête à vouloir chercher ailleurs ce qu'on avait tout près de chez soi ?
Quitte à se plaindre de ce que la jeune génération de leur époque ne voulait plus travailler, qu'elle ne pensait plus qu'à profiter de tout - notamment du système social qui commençait à se développer et à se mettre en place - et que désormais, le travail et l'argent lui venaient dans la main beaucoup trop facilement.
Mais aller s'adresser à l'État et au gouvernement pour qu'ils les aident à trouver ailleurs la main-d'œuvre qu'ils ne trouvaient plus à côté de chez eux, ce n'était ni leur état d'esprit ni leur mentalité. En dehors du fait qu'ils étaient persuadés qu'ils n'auraient jamais assez de poids pour pouvoir se faire écouter. Mais même s'ils en avaient eu, et même s'ils y avaient cru, ils auraient probablement hésité à en user. Dans leur esprit, ne pas mendier l'aide d'autrui mais se débrouiller avec ses propres moyens et se contenter de ce que cela permettait d'obtenir, c'était une question de dignité. Les petits patrons privés, au-delà d'être des patrons et d'avoir des intérêts puisqu'ils avaient des entreprises, étaient aussi des individus. Et à ce titre, pour eux, les valeurs individuelles, oui, ça avait de l'importance. Remuer, agiter et bouleverser une société tout entière rien que pour eux-mêmes et pour leurs propres intérêts, ils auraient trouvé ça indécent et ridicule. Et ce ridicule-là les aurait tués. Éventuellement s'en seraient-ils accommodés s'ils avaient agi dans ce sens-là tous ensemble en tant que groupe, parce qu'à ce moment-là, chaque individu aurait pu se réfugier derrière les autres et derrière l'ensemble du groupe. Mais encore une fois, se réfugier derrière autrui, à la base, ça ne faisait pas partie de leur philosophie. Ce n'était pas leur façon d'envisager la vie et l'action. Si cela avait été le cas, ils se seraient contentés de travailler comme salariés pour quelqu'un d'autre, comme tout le monde - ou tout au moins comme la plupart des gens. Au contraire, à l'opposé de la plupart des gens, ils se voyaient avant tout comme des individus qui prenaient des initiatives personnelles au lieu d'attendre que ce soient les circonstances qui jouent en leur faveur. Et en tant qu'individus, et en tant qu'individus susceptibles d'être remarqués puisqu'ils se démarquaient et sortaient du lot, ils avaient des scrupules.
Ceci dit, il était clair que si par ailleurs, de la main-d'œuvre étrangère meilleur marché et plus docile était de toute façon déjà là à l'initiative d'autrui, ils le tiendraient pour acquis et ils considèreraient cela comme une opportunité dont ils n'hésiteraient pas à faire usage, puisqu'elle était déjà là à côté de chez eux et à portée de leur main.
Ceux qui usaient de l'influence et du pouvoir des autorités publiques, c'étaient les grandes sociétés et les grandes industries, les mines et les aciéries, capitaines d'industrie ou sociétés anonymes qui jonglaient avec des chiffres qui paraissaient déjà vertigineux au commun des mortels. Les considérations de dignité, de décence, de ridicule et de valeurs individuelles en général, ils n'en avaient cure - les capitaines d'industrie se disaient que s'ils avaient dû se laisser freiner par ce genre de scrupules, ils ne seraient jamais devenus des capitaines d'industrie et ils seraient restés à jamais des petits patrons privés, et les sociétés anonymes, quant à elles, étaient d'ores et déjà des groupes, pas encore des groupes d'industries et de sociétés certes mais d'ores et déjà des groupes d'individus, plus des individus isolés mais des groupes, des groupes d'actionnaires qui avaient le regard fixé principalement sur leurs dividendes, donc sur les profits de leurs sociétés, et dont l'anonymat diluait la responsabilité et l'image de chacun - et ceux-là n'avaient aucun scrupule et ne faisaient pas de sentiment : ils se contentaient d'aligner leurs chiffres, regardaient surtout celui qui était en fin de colonne et en fin de ligne, et ils en concluaient que la main-d'œuvre autochtone était trop chère et trop exigeante, que cela leur plombait leur rentabilité, et que s'il existait ailleurs une main-d'œuvre meilleur marché et plus docile, il ne fallait pas hésiter à y avoir recours et que si elle venait de loin, il ne fallait pas hésiter à la convaincre de s'expatrier. En étant persuadés qu'il y aurait à la fois rotation et concurrence puisqu'ils auraient affaire à une manne inépuisable de pauvres qui seraient trop soucieux d'assurer à leurs familles une vie meilleure pour avoir envie de poser problème et qui auraient trop le mal du pays pour avoir envie de s'installer durablement, d'autant moins que chaque migrant recruté était supposé venir tout seul dans le pays d'accueil. D'ailleurs, on les convaincrait en soulignant le fait qu'il était prévu que leur expatriation ne serait que temporaire. Les recruteurs étaient eux-mêmes persuadés qu'elle le serait - que tout cela ne serait l'affaire que d'une ou deux décennies au maximum, le temps que les enfants du baby-boom aient grandi et arrivent à leur tour sur le marché de l'emploi, en se disant que d'ici là, les migrants pauvres seraient rentrés dans leurs pays d'origine avec suffisamment d'économies pour assurer à leurs familles la vie meilleure dont ils rêvaient et que de toute façon, les pays d'origine en question auraient évolué de leur côté entre-temps. En tout cas, tels étaient leurs calculs et leurs projections à plus ou moins long terme.
Sauf qu'en attendant ce futur béni, il fallait gérer le présent et attirer les migrants en question. Et sauf qu'à une époque où les frontières étaient encore des barrières effectives - même en Europe, on était encore loin d'imaginer les accords de Schengen ni les quatre libertés de circulation (des personnes, des biens, des services et des capitaux), et ne parlons même pas de ce qui pouvait s'imaginer (ou pas) ailleurs - recruter à l'étranger ne se faisait pas comme ça, il ne suffisait pas d'y penser et de le vouloir pour pouvoir le faire, l'environnement légal, réglementaire et juridique ne s'y prêtait pas, il y avait des obstacles conséquents à ce niveau-là et il était donc nécessaire de mettre les États et les gouvernements dans le coup. Et capitaines d'industrie comme sociétés anonymes se sont dit que vu leur poids économique et leur importance pour la prospérité de leurs pays, ils pouvaient arriver à se faire écouter - et que les gens en haut lieu qui savaient compter ne pourraient que prêter une oreille favorable à leurs arguments.
Les pays en tant que tels comme interlocuteurs
Et voilà comment les pays d'accueil et les pays d'origine se sont retrouvés impliqués en tant que pays dans le processus de migration. En grande partie à cause de l'ampleur que le phénomène était appelé à prendre - parce que là, on ne parlait plus de ne faire venir que quelques dizaines ou quelques centaines d'individus, ni même quelques milliers. Rien qu'à travers l'Europe, les vagues migratoires ainsi générées se sont comptées par millions d'individus.
Des accords de coopération en la matière ont donc été signés entre pays d'accueil et pays d'origine au niveau gouvernemental. Suite à cela, les grandes entreprises qui voulaient recruter du personnel à l'étranger ont eu des bureaux sur place qui faisaient signer à tour de bras des contrats de travail en bonne et due forme qui prouvaient noir sur blanc que ce n'était pas une arnaque, et de la part du gouvernement du pays d'origine, il y avait sur place un bureau de l'émigration tout ce qu'il y avait de plus officiel avec lequel les bureaux de recrutement travaillaient en collaboration, qui diffusait leurs offres d'emploi auprès des agents compétents et qui garantissait leur bonne foi. La migration - émigration (migration sortante) pour le pays d'origine, immigration (migration entrante) pour le pays d'accueil - a donc cessé d'être quelque chose de plus ou moins clandestin et/ou ignoré des autorités pour devenir quelque chose de tout à fait officiel et soutenu en tant que tel. Elle cessait désormais d'être uniquement l'affaire de quelques individus isolés ou de petits groupes restreints qui migraient de leur propre initiative et franchissaient les frontières plus ou moins sous le manteau.
Crédit image : © tableau d'élocution Rossignol 1462194157