Il s’agit d’un homme dont la vie, sans être exemplaire, est particulièrement variée.

Dès sa naissance, il n’était qu’un accident.

Un « accident » de préservatif mais un accident quand même.

L’époque voulait que l’on garde.

Il est donc né.

A sa naissance, il fallut pratiquer une Exsanguino-transfusion, jaune qu’il était.

Il survit.

Têtu, le garçon !

Son avenir était tracé, à l’image de ses parents, qui ont refusé de suivre les directives de leurs propres parents…

Il a réussi les concours d’entrée prévus.

Et il est parti ailleurs.

Sa vie, assez désordonnée, lui convenait parfaitement jusqu’aux jours où il changeait d’envie.

Ses amours furent pleines, riches et passionnées.

Mais son seul souvenir qui vaille est unique.

Il l’a rencontrée à Paris, sur une avenue ouverte aux passants, aux passions, aux pressions de la foule et au hasard.

Bien avant les pubs d’un parfum, il croise un regard, des yeux bleu-vert, marbrés d’or encadrés par des cheveux d’un noir de jais.

C’est un poncif, mais c’est le sien !

Il existait, encore, des fleuristes partout et ce n’était pas encore du harcèlement d’offrir un bouquet.

Il se précipite chez le plus proche, choisit, en urgence, celui qui lui parait le plus beau, laisse ses billets sur le comptoir sans attendre la monnaie et se lance à la poursuite de sa vision.  

Il cherche du regard celle qu’il a juste entr’aperçue.

Où est-elle ? Rien ne l’indique…

Il se trouve stupide au milieu du trottoir, avec son bouquet.

Va-t-il devoir attendre longtemps, en sifflant ? Revenir tous les jours, avec un nouveau bouquet ?

Et là, il découvre un regard souriant timidement, derrière la vitrine d’un magasin, tout proche.

Il sent cette émotion qui humidifie ses yeux, cette gorge qui se serre, les mains qui tremblent, les jambes qui flageolent et tout son corps qui se tend vers le bonheur.

Elle a ressenti le même élan.

Elle est là à l’attendre, à l’espérer.

Il s’approche tremblant, pendant qu’elle sort du commerce.

Du coin de l’œil, il remarque le sourire affectueux du commerçant qui a compris, en même temps qu’eux, la foudre qui est tombée.

Il offre ses fleurs et le contact des deux mains déclenche le silence absolu, l’isolement total d’avant la création du monde.

Ils commencent leur parcours de vie en se tenant par la main.

Sans un mot, car tout est dit.

Ils marchent vers un parc, traversent l’avenue.

Ils n’ont pas vu le véhicule qui a emporté la jeune femme…

Sa vie était aussi un accident…