

"Le Déni", extrait 10 : "ton adolescence te rappelle ce que tu as fait d'elle"
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"Le Déni", extrait 10 : "ton adolescence te rappelle ce que tu as fait d'elle"
Caroline en a marre d'être bassinée avec des infos plus ou moins tendancieuses sur les aléas de la marche du monde, auxquels elle ne peut malheureusement rien changer.
À moins de décider de tout plaquer pour aller faire de l'humanitaire à Gaza. Ou en Ukraine.
Ou pour apprendre le maniement des armes et aller faire le coup de feu d'un côté ou de l'autre.
Sauf que d'un côté comme de l'autre, aucun des deux ne servirait à rien. Ce ne seraient au mieux que des sparadraps sur des prothèses, qui ne guériraient rien et ne résoudraient rien.
Et puis, manipulés qu'on est tous par tant de médiamensonges en sens divers, comment être encore sûre de choisir le bon camp ? et de ne pas se lancer tête baissée, de toute sa naïveté et de toute son ignorance, dans un engagement qu'elle regretterait par la suite et qui lui serait immanquablement reproché ?...
Bien sûr, on peut lui rétorquer que si elle choisit le camp des victimes, elle choisit automatiquement le bon camp.
Mais avec les informations truquées servies au bon peuple au journal de vingt heures ou sur les chaînes d'info en continu, qu'une recherche un peu approfondie ne tarde pas à contredire, comment être vraiment sûre de savoir qui sont les victimes et qui sont les bourreaux ?
Les bourreaux d'aujourd'hui ne sont-ils pas les anciennes victimes qui se vengent ? Même s'ils se trompent parfois de cible, les victimes d'aujourd'hui ne sont-elles pas souvent les bourreaux d'hier ?
S'allier politiquement à une victime à l'étranger, même si c'est fondé, peut-il justifier d'aller envahir un pays souverain ?
Les raisons d'humanité, de générosité, de solidarité, d'idéologies ou de religions à défendre, ou de civilisation à apporter, ou de changements de régimes à imposer pour le bien-être des populations, si souvent invoquées, n'en cachent-elles pas tout aussi souvent d'autres, moins avouables, qui ont des relents nauséabonds d'intérêts en tous genres, territoires, argent, ressources naturelles, position stratégique ?
... qui sont souvent plus pertinentes à accuser que l'orgueil, la démesure et la folie de quelques leaders politiques, qui ont au moins l'avantage pour les accusateurs d'être des individus isolés bien concrets et bien identifiables que l'on peut punir...
... et pas des circonstances, ou pire, des abstractions, dans un cas comme dans l'autre hors de portée de tout châtiment ?
Et dans tout ce fatras, comment être sûre de savoir où est la vérité ?
Comment être sûre de ne pas voir sa générosité se faire manipuler ? sachant que l'essentiel est si souvent caché au grand public et n'est révélé que des décennies après, quand les documents classés "secret défense" sont enfin déclassifiés ? et que les seuls à connaître tout ce qu'il faut savoir sont ceux qui tirent les ficelles en coulisses ?...
Il ne faut pas en vouloir au bon peuple. Les gens ont autre chose à faire de leur vie que passer leur temps à traquer la vérité sur la moindre info qu'on leur donne. Il y en a tellement, et sur tous les sujets, que s'ils ne veulent pas être submergés, il leur faut bien faire un tri.
Et encore.
Parce que les gens ont aussi une vie à vivre, une vie qui est la leur, qui leur prend l'essentiel de leurs ressources et qui ne leur en laisse plus beaucoup pour s'occuper d'autre chose une fois qu'ils en ont fini avec elle.
Et parce que personne ne peut avoir la prétention de pouvoir guérir tous les maux du monde.
Pour sa part, Caroline se plaint bien souvent du rétrécissement de ses horizons, mais à la réflexion, elle préfère encore s'engager sur des problèmes certes d'ampleur limitée, pour lesquels elle n'a pas besoin de voir plus loin que le bout de son nez, mais que justement pour ces raisons, elle connaît bien et maîtrise bien, et où elle a des chances raisonnables de ne pas se tromper de combat.
Certes, en faisant ça, elle a un peu l'impression de trahir son adolescence. Comme Daran le chantait à la radio ce matin. Et comme elle le disait encore pas plus tard qu'hier à Amina aux Grandes Marées.
Mais elle sait ce qu'on lui répondrait dans son entourage...
Que malgré son âge et son expérience de la vie, elle n'a pas mûri et n'a rien appris.
Qu'elle est restée envers et contre tout une adolescente attardée comme tous ces chanteurs à la mode et ces acteurs de Hollywood que les médias n'arrêtent pas d'encenser, et ces artistes plus ou moins maudits qu'on leur apprend à admirer à l'école, mais dont la plupart passent leur temps à rater leurs vies, et que le seul pas trop dénué d'intelligence dans le lot était encore Voltaire quand il faisait dire à son Candide que pour vivre heureux, il fallait vivre caché.
Qu'elle s'est laissé piéger par l'idéologie ambiante au lieu de réfléchir par elle-même.
Qu'elle n'a pas su prendre les bons modèles dans sa vie.
Qu'elle ferait mieux de prendre exemple sur tous les gens ordinaires tout autour d'elle, qui savent, eux, où sont les vrais problèmes et aussi quelles sont leurs solutions.
Qu'elle devrait se (re)construire enfin une vraie vie digne de ce nom qui lui montrerait automatiquement où sont les vraies priorités dans l'existence - qui ne sont pas du tout là où elle les met. Après tout, quand elle était mariée et mère de famille, se préoccupait-elle autant de la marche du monde, proche ou éloigné, de près ou de loin ? Pensait-elle à s'engager pour ceci ou pour cela ? N'avait-elle pas déjà bien assez de soucis avec son propre foyer pour occuper son esprit et ses mains ?...
Qu'elle ferait mieux de se retrouver un homme sérieux pour refaire sa vie, d'adopter des enfants si elle ne sait plus en faire elle-même, de se ranger des voitures et de mener enfin une vie réellement normale.
Et, aussi, d'arrêter de traiter de haut les gens ordinaires en les accusant de médiocrité, parce qu'en réalité, ce sont tous ces gens qu'elle trouve médiocres qui tiennent le bon bout dans la vie. Et pas elle.
Ouais.
Elle le connaît par cœur, ce discours.
Ce discours cliché qui dit que la jeunesse est idéaliste, certes, mais aussi prétentieuse, arrogante, outrecuidante et orgueilleuse, mais qu'il faut bien lui pardonner parce que par définition, elle ne connaît rien de la vie.
Que c'est un stade par lequel tout le monde passe parce que la nature des choses le rend inévitable, pour le meilleur et pour le pire, mais que c'est aussi un stade qu'il faut que l'on dépasse.
Et qu'elle, certes, elle l'a bien dépassé dans son corps et sur sa carte d'identité, mais que dans sa tête, elle y traîne encore et qu'il faudrait qu'elle se décide enfin à en sortir et à devenir adulte.
Si possible avant d'être vraiment vieille et que ça ne serve plus à rien de mûrir parce que de toute façon elle ne pourrait plus rien en faire, et qu'il est grand temps.
Et blablabla, et blablabla, et blablabla.
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