Calfeutrage
Calfeutrage
Ici, c’est calme, calfeutré. Chaque objet est à sa place, mais quelque chose qui n’a rien de rassurant flotte dans la pièce. Et, par intermittence, je sens des coups violents dans ma poitrine. Si violents qu’ils déchirent l’épaisseur du silence de la chambre. Je me suis couché à 23 h et en dépit de mes yeux obstinément fermés, je ne parviens pas à trouver le sommeil. Je me tourne, me retourne dans les draps beiges aux motifs géométriques d’un vert pâle très tendre. Des couleurs que j’affectionne. J’ouvre finalement les yeux. Le décor cosy est masqué par la pénombre. Je distingue difficilement les contours de la table de chevet en teck massif, le vieux fauteuil rouge en tissu râpé. Un rai de lumière glisse en provenance du couloir ; je n’ai pas éteint le plafonnier du vestibule… J’écoute la nuit. Ma nuit. Je crois percevoir un bruit. Presque inaudible. Un sifflement étrange. Non, plutôt un cliquetis irrégulier. C’est ma vie qui s’écoule, goutte à goutte, qui me fuit ! Je peine à croire que mon cœur batte de cette façon.
Le froid glacial s’invite dans la chambre. La fenêtre est pourtant fermée. Dehors, le manteau de ténèbres doit recouvrir la rue, les maisons voisines, toutes grises. Ma main s’avance vers mon téléphone posé sur la petite table et pris d’une impulsion, je supprime l’alarme programmée pour demain. J’élimine le temps. La nuit n’est plus la nuit. Je me noie dans mes souvenirs. Je revois la pâleur de ton teint, tes yeux au vert indéfinissable qui prennent toute la place dans ton visage. Ta chevelure épaisse et brune qui balaie si joliment tes épaules frêles. Puis l’arrêt sur image disparaît et je sombre de nouveau dans mes interrogations. Des battements de plus en plus violents. Je respire trop vite. Les pulsations résonnent dans la chambre, dans le logement. Est-ce mon cœur qui s’emballe ? J’ai de plus en plus froid. La baie vitrée du salon est-elle bien fermée ? Je vérifie. Oui, fermée. Les maisons alentour dorment profondément. Au loin, je distingue à peine les contours de la colline. M’allonger maintenant et tenter de conquérir le sommeil.
Deux ans déjà que l’insomnie me tient compagnie. Une compagne cruelle, insensible à mes demandes. Cette nuit sera longue. Des nœuds dans mon estomac et le besoin de comprendre. Comprendre pourquoi je ne sais plus qui je suis. C’est probablement ça qui m’empêche de dormir.
Je contemple la cruelle réalité de mon insomnie et l’étranger allongé dans le lit. Cet étranger que je suis devenu pour moi-même. Je suis absent dans ce monde que je n’aime plus depuis ton départ et qui ignore les tourments qui m’animent. Tu m’as quitté il y a deux ans et je suis devenu l’Absent. Moi aussi. Comme toi.
Angie R
Extrait de la nouvelle “Evaporée” (2025)
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