5. Les taxis ne dorment jamais
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5. Les taxis ne dorment jamais
La 2ième avenue et son flow de yellow cab ; manège incessant de tacots jaune soleil. L'avenue des touristes, des courtiers et des hommes infidèles. Des hôtels à ne plus savoir où dormir, quelques Lounge-bars, et des banques à perte de vue. Je déambule entre lève-tôt et couche-tard. Les premiers étant souvent moins débraillés que les seconds. Un homme et une femme s'embrassent puis se séparent. Elle passe à côté de moi, elle a les joues roses et le sourire aux lèvres. J'avance dans le même sens que son jules. Je le suis sans le vouloir vraiment. Il entre chez un fleuriste, après avoir passé, à son doigt, l'alliance, qu'il avait en poche. La chanceuse qui partage sa vie sera sûrement très heureuse de mettre quelques roses en vase. Puisse-t-elle ne pas se saigner les phalanges sur les tiges épineuses.
Feu rouge, p'tit bonhomme vert, passage clouté, je traverse l'avenue. Un klaxon retentit. Je sursaute. Le feu a changé de couleur et le chauffeur de taxi semble pressé. J'accélère un peu et m'excuse. Pourquoi je fais ça... Je le fais à chaque fois. En vrai, je l'emmerde mais je n'ai pas envie qu'il le sache. Je tiens autant à mon jardin secret qu'à mon intégrité physique. Les griots n'ont pas bonne presse. Les journaux, notamment celui pour lequel j'écris, relatent régulièrement les témoignages de clients mécontents du service. Les taxis de Moody Hills ne dorment jamais, cela explique peut-être leur irritabilité, à moins qu'être un connard soit une qualité requise pour faire ce métier. Que sais-je... Toujours est-il qu'une fois encore, je rumine et ressasse le fait d'avoir été aussi lâche, alors qu'un simple doigt levé aurait imposé le respect.
J'ai parfois la violence au bord des lèvres, l'insulte qui se pose là, sur le bout de la langue, prête à être crachée au visage du premier venu. J'ai la colère qui gronde à trop respirer les vapeurs de cette foutue cité grise. Moody Hills injecte sa noirceur dans les veines de celles et ceux qui y demeurent, ne serait-ce que quelques heures. Cette ville corromprait même le cœur d'une nonne.
Je résiste tant bien que mal, et me contente d'écrire quelques humbles lumières pour percer les nuages des grisailles du corps. Mais je ne suis que "le Rimailleur", un modeste poète, une ombre. Un spectre incapable de déplacer quoi que ce soit, ni les chaises, ni les foules. Et si les taxis ne dorment jamais et que résonnent les klaxons sans arrêt, comment puis-je être entendus, moi qui me couche sans cesse et me laisse rouler dessus.
À l'arrière des taxis
y a la misère du monde.
Elle ruissèle, sous paupière,
puis elle tombe en trombe
comme la pluie
et roule sur les joues
des âmes meurtries.
"Allons ma bonne dame,
séchez donc vos larmes,
et dites au vieux Mac
où qu'il doive vous conduire !"
"Emmenez-moi au cimetière des amours
disent-elles toujours.
Je suis lasse de souffrir,
il me tarde de partir..."
Mais le vieux Mac n'en fera rien.
Un corbillard ?
Son yellow cab ne l'est point.
L'homme n'est pas plus passeur
que patient,
il refuse,
et la bonne dame descend
puis se fige, confuse,
sur le trottoir du désespoir
comme une larme immobile sur les joues de la ville.
À l'arrière des taxis
y a la misère du monde,
mais les banquettes neuves
ne sont guère pour les veuves.
OLC