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28 juin 2018, Cargèse, 10h33
Il doit faire trente degrés et pourtant ses mains sont glacées. Son visage aussi. Elle n’y arrive plus. Elle n’arrive plus à se battre. Où est son fils ? Où est son petit garçon ? Elle devrait tout dire à la police… Mais non, elle ne doit pas. Ou il va lui faire du mal. Il va le tuer. Assise sur son lit, elle se plie en deux et pleure. Juste à ce moment elle entend son téléphone vibrer. Alors d’une main tremblante, elle décroche, en sachant déjà de qui il s'agit :
-Rendez moi mon fils ! S'exclame-t-elle avant que son interlocuteur ait ou dire un mot
-Minute papillon, ricane-t-il. J’ai un problème et tu vas m’aider.
-Je vous aiderai si vous me rendez mon fils, tente-t-elle. Sa détermination la surprend elle-même.
-Ah non on ne la joue pas comme ça avec moi. C’est moi qui ai ton fils je te rappelle donc maintenant c’est moi qui décide.
-Je veux l’entendre.
Son ton est ferme.
-Si tu fais ce que je te dis, promis je te le passerai au téléphone.
Elle capitule.
-Et de quoi s’agit-il ?
-La police vous annoncera tout à l’heure qu’un corps d’enfant à été retrouvé en mer. Je veux que vous l’identifiez comme votre fils.
Elle tressaille.
-Hein ? JAMAIS ! ET PUIS QUOI ENCORE ?
Elle se met à pleurer.
-C’est que tu n’as pas le choix… Si tu ne fais pas ce que je te dis. Ton mioche est mort. Kapich ? Understood ?
Elle ne sait pas quoi répondre. Elle pleure davantage. Elle essaie de baisser la voix pour ne pas que l’homme l’entende.
-D’accord mais je veux parler à mon fils d’abord.
-Et pourquoi je te ferai cette faveur ?
Il sait qu'elle ne capitulera pas. Malheureusement elle est beaucoup plus forte qu'il ne pensait. Il réfléchit puis cède.
-Roh… T’es vraiment pénible en affaire. Je te le passe. T’as deux minutes.
Alors son cœur se met à battre la chamade lorsque de l’autre côté du fil elle entend :
-Maman c’est toi ?
1er juillet 2018, commissariat central d’Ajaccio, 19h00
-Bon alors on a du nouveau. Commence l’inspecteur, placé devant le tableau blanc, s’adressant à son équipe.
Il marque une pause.
-Il s’avère que le corps retrouvé et identifié comme étant celui d’Ezéckiel n’était pas le sien mais celui du petit Éric porté disparu près de Bastia en 2013. Nous ne sommes donc plus certains de la mort d’Ezéckiel.
Certains agents se regardent, sous le choc.
-Nous sommes comme qui dirait, retombés à la case départ…
Il efface la croix qu'il avait dessiné sous la photo de l’enfant il y a quelques jours sur le tableau puis s’empare d’un feutre effaçable et dessine à la place un point d’interrogation en bleu.
-Notre suspect numéro 1 c’est lui :
Il désigne la photo de Fritini de son index.
-Après la disparition du garçon il nous a fourni une vidéo prouvant sa noyade. Or celle-ci s’est révélée fausse. Le sergent Braun et moi avons découvert qu’elle avait en fait été filmée la veille puis modifiée. Pour qu’elle raison aurait-il fait ça hein ?
Demande-t-il à toute la salle.
-Pour faire croire à sa mort. Répond un agent avec fierté.
-Exactement ! S’exclame Barot. Et pourquoi ça ? Eh bien pour enterrer l’affaire, pour qu’il ne soit jamais retrouvé.
Il marque une pause et attend la réaction de ses collègues.
-Problème, Jeanne Borin est au courant de ce qu’il se produit. Il l’a sûrement menacée de s’en prendre à son fils alors elle se tait et se laisse faire. Elle va même insister pour identifier le corps pour qu’elle puisse mentir à ce propos. Ensuite, elle regrette veut le dénoncer alors il se débarrasse d’elle. Il était présent sur les lieux du crime. Tout l’inculpe. On essaie de le retrouver et bien sûr, il s’est douté des soupçons et s’est barré…
Il regarde dans le vide. Il regrette tellement de ne pas avoir écouté Braun des le début. S’il avait cru à cette histoire de voiliers ils auraient pu rapidement comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une noyade mais d’un kidnapping et peut être même sauver Jeanne…
-Et concernant le motif de l’enlèvement. Demande un des agents ?
-Eh bien figurez vous que Fritini a perdu son fils de cinq ans il y a un an et demi. Il devait certainement être détruit par cet événement. Peut-être qu’Ezeckiel ressemblait à son fils ou le lui rappelait...
Sur ce point il s’arrête. Et s’apprête a donner des ordres lorsque Braun prend la parole.
-Monsieur Barot, excusez-moi, dit-il. Mais j’ai une théorie…
Barot semble étonné.
-On vous écoute Braun.
-Eh bien voilà. Ezekiel a été malade en janvier 2017. Il souffrait d’une maladie au cœur. Il a dû être greffé d’un nouveau cœur. Se pourrait-il par hasard qu’il s’agisse du cœur de Noah, le fils décède de Marcellin?
Dans la salle, le silence règne. L’inspecteur semble à la fois intéressé par cette hypothèse et hésitant.
Après trente secondes de silence, il déclare d’un ton ferme.
-Je pense que ça va être compliqué à prouver. Il faudrait vérifier tous les papiers concernant cette opération, aller interroger l’hôpital… Je crains que le procureur ne nous accorde jamais tout ça s’il s’agit seulement d’une hypothèse…
-…
-Et qu’avez-vous de nouveau concernant la vie privée de Marcellin, sa famille, les femmes qu’il à fréquenté ? Demande l’inspecteur.
L’agent Garnier au fond de la salle prend la parole.
-Son fils était un peu sa seule famille. Son père est mort quand il était enfant. Sa mère ne lui parle plus et il n’a pas de frères et sœurs. Concernant sa vie amoureuse il a eu une première femme avec qui il a eu Noah, décédée elle aussi d’un cancer du sein. Aujourd’hui, ses collègues m’ont parlé d’une certaine Sarah avec qui il serait en couple depuis un an. C’est tout.
-Et cette Sarah vous savez où elle se trouve ? Demande l’inspecteur, inquiet.
-Eh bien non, c’est justement ça le problème. Elle ne répond pas. J’ai appelé son travail. Elle travaille dans une maison retraite et n’est pas venue depuis deux jours maintenant.
28 janvier 2018, Calvi, 17h12
Sarah est allée voir Marcellin aujourd’hui. Comme toujours, il lui a à peine parlé. Il est resté allongé sur le canapé à regarder la télévision. Il ne fait plus que ça. En même temps elle le comprend. Il aimait tellement son fils et c’est si horrible tout ce qu’il lui arrive. Néanmoins, même si elle sait que c’est impossible, elle aimerait qu’il lui accorde plus d’attention, comme il le faisait avant. Parfois, elle hésite même à le laisser seul, à ne plus revenir. Mais elle l’aime. Alors elle revient toujours vers lui, même lorsqu’il lui crache au visage qu’il n’a plus besoin d’elle, qu’il veut mourir… Elle a envie de rester à ses côtés. Cependant elle ne veut pas se faire d’illusion. Après tout la dernière fois qu’elle a aimé quelqu’un si passionnément c’était Max et ça s’est mal terminé… Mais ce n’était pas les mêmes circonstances. Pour l’un elle l’a aimé des le début. Tout était parfait jusqu’à la rupture. Pour l’autre, elle a mis plus de temps à tomber amoureuse et rien n’est parfait, c’est même le contraire.
Elle est assise, sur des rochers. Pour se détendre et se remettre de ses émotions, elle aime aller à la plage, mettre ses pieds dans l’eau fraîche de l’hiver et contempler le soleil. Le soleil est la seule chose qu’il lui reste à présent. Il est, comme qui dirait, sa bonne étoile, son ange gardien. Il est un peu comme son bonheur. Trop loin d’elle et si près en même temps, si chaud. Trop brillant pour être regardé en face trop longtemps, mais il existe bel et bien. Il est juste de courte durée. Il a toujours été de courte durée malheureusement. Seule en ce jour d’hiver sur la plage de la revelata, elle sent le vent qui commence à se renforcer. Alors son téléphone vibre dans la poche de son jean. C’est son amie Cléo. Elle décroche :
-Salut ma belle ! S’exclame Cléo.
C’est l’une de ses meilleures amies d'enfance. Après ses études de médecine, elle a déménagé à Dieppe en Normandie où elle est assistante chirurgienne.
Elle a toujours été brillante comme fille. Beaucoup plus qu’elle. Elle a toujours eu un truc en plus qu’elle, n’avait pas. Elle en était jalouse parfois. Mais depuis qu’elle a déménagé, Sarah est revenue plus nostalgique et elle regrette de ne pas l’appeler plus souvent. Elles étaient meilleures amies au lycée tout de même.
-Salut Cléo ! Comment tu vas ?
-Très bien et toi ?
-Super.
-Bon j’ai quelque chose à te dire mais ça ne va sûrement pas te faire plaisir… Dit Cléo.
-Comment ça ? S’inquiète Sarah.
-Tu devineras jamais qui est venu à l’hôpital hier…
Sarah n’en a aucune idée.
-Max…
Rien que le fait d’entendre ce nom fait accélérer le cœur de Sarah qui devient pâle.
Il venait pourquoi ? Il était comment ? Il habite à Dieppe maintenant ?
Toutes ses questions se superposent. Elle n’arrive pas à y croire. Max. Cela fait presque dix ans maintenant qu’elle n’a pas entendu prononcer ce nom. Elle aimerait tellement poser toute ces questions, mais sous le choc elle n’arrive qu’à exprimer un faible :
-Hein ?
Sans qu’elle le lui demande, son amie la connaissant trop bien finit par répondre à ses interrogations.
-Je n’ai pas trop eu le temps de lui parler mais je sais qu’il vit à Dieppe maintenant. Il ne venait pas pour lui mais pour son fils, Ezéckiek. Il a des problèmes de santé.
Son fils. Alors il est marié… il a un fils. Ils voulaient des enfants tous les deux. Ezéckiel. Elle aime ce prénom, elle aurait pu appeler son fils comme ça. Elle voulait tant avoir un fils… Ce fils aurait pu être le sien.
-Comment était-il ? Demande-t-elle
-Le fils ?
-Non Max…
-Il n’a pas trop changé, il a à peine vieilli. Il a juste un peu perdu des cheveux c’est tout.
Elle se rappelle le… mariage. Cléo était présente. Elle avait été la pour elle. Elle l’avait aidé à manger, s’habiller même. Elle l’avait emmenée un week-end à New-York pour lui changer les idées.
-Non je veux dire… Il avait l’air heureux ?
-Eh bien si ça peut te rassurer vraiment pas. Son fils a de gros problèmes de santé. J'ai hésité à t’appeler tu sais, je sais que c’est difficile pour toi…
-Qu’est-ce qu’il a ? Demande Sarah en essayant de contenir ses émotions.
-Son fils ?
-Oui.
Cléo marque une pause.
-Je suis pas sensée te le dire, mais comme c'est toi… voilà. Il a une cardiopathie congénitale. C’est une déformation du cœur à la naissance. C’est plutôt inquiétant pour son cas les médicaments ne fonctionnent plus. On doit l’hospitaliser pour une durée indéterminée. Il aura même peut être besoin d’une greffe de cœur. Le problème est que pour les enfants, c’est compliqué de trouver des donneurs…
-Il a quel âge ?
-cinq ans.
Comme Noah…
-Je vois. Merci d’avoir appelé.
Sans prendre la peine de dire au revoir, elle raccroche. Parce qu’elle pleure. Elle n’est pas triste non. Elle a seulement une idée. Elle sait seulement que cette idée fera d’elle un monstre pour le restant de ses jours.