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28 juin 2018, Cargèse, 20h00
« Bonsoir à tous, bienvenue dans le 20h, nous sommes le jeudi 28 juin et voici les informations de cette soirée : des nouvelles concernant la disparition du petit Ezéchiel il y a une semaine en corse, malheureusement l’hypothèse de la noyade vient d’être confirmée après que le corps d’un enfant a été retrouvé au large de la plage de Sagone, l’anse à côté de celle de Cargèse, où l’enfant avait été porté disparu la semaine dernière. D’après les dernières informations, le corps aurait été identifié et les enquêteurs ont clôturé l’enquête. »
L’homme éteint la télévision. Il est affalé sur le canapé, une bouteille de vodka sur la table.
La femme, elle, n’a pas quitté la chambre depuis qu’ils sont rentrés du commissariat.
Comment allaient-ils aller de l’avant ? Ils avaient traversé beaucoup de choses ensemble mais ça, ils ne pourraient pas s’en remettre… Comment peut-on se remettre de la mort de son enfant ?
Si Dieu existe vraiment, se demandait l’homme, pourquoi n’empêche-t-il pas ce genre de choses de se produire ?
7 août 2023, Saint-Pierre-en-Auge, 10h20
Je viens à peine de me réveiller. J’étais fatiguée après toutes ces nuits d’insomnie. Cependant, je n’ai pas pu oublier ce qu’il s’est produit hier soir. Il y a réellement un enfant enfermé dans cette maison et qui a besoin d’aide, et même si ma mère ne me croira pas je ne compte pas rester les bras croisés et ne rien faire.
« Parce que je ne suis pas Noah »
Cette phrase se répète en boucle dans ma tête et je n’arrive toujours pas à comprendre. Pourquoi a-t-il menti au début en disant s’appeler Noah ? Qui est Noah ? Mais surtout pourquoi est-il enfermé ?
Peut-être ai-je mal compris. Je me lève de mon lit, j’ai mal à la nuque, je me masse légèrement. Lucas est déjà réveillé. Dans la cuisine, mon père prépare son café. Ma mère lit un journal sur le canapé du salon. Lorsque je sors, ils me dévisagent tous les deux.
-Quoi ? Je demande, gênée.
-Qu’est-ce que tu faisais cette nuit ma chérie ? Demande ma mère.
Je fais mine de ne pas comprendre.
-Hein ? De quoi vous parlez ?
-Ton frère nous a dit qu’il t’avait entendu taper contre le mur de la salle de bain vers trois heures du matin.
Quel casse-pied celui-là ! Je songe. Je ne sais pas quoi leur dire alors je ne dis rien, de toute façon, ils ne pourraient pas me croire, c’est impossible.
-Ma chérie, reprend ma mère, si c’est encore par rapport à cette histoire de voisins, je vais te demander d’arrêter d’harceler cette famille. Ils n’ont rien fait ! Depuis qu’ils sont arrivés ils sont très polis et très gentils avec nous Et si comme tu dis il y a réellement un enfant « enfermé » dans leur maison on l’aurait entendu quand même !
Je n’aurais jamais dû lui en parler. Maintenant elle va m’interdire de m’approcher des voisins. Elle va croire que je suis folle.
-Ecoute, je ne sais pas ce qui t’arrive, se radoucit-elle, mais je veux juste comprendre.
-Tu veux qu’on en parle ? Demande mon père.
Et voilà que maintenant je passe pour la folle de la famille. Il faut que j’arrête d’enquêter pour le moment, ou je risque de finir en hôpital psychiatrique avant la fin des vacances…
Je décline leur proposition et je sors pour prendre l’air. L’angoisse commence à envahir mon corps. Je n’arrive pas à respirer. Mon cœur bat la chamade. J’inspire, j’expire. J’inspire, j’ex-
Je m’arrête net lorsque je remarque que Louison est là, devant moi. Elle me dévisage et ne semble pas comprendre ce qu’il m’arrive. Je m’assois sur les marches de la terrasse et des larmes commencent à emplir mes yeux. Je les essuie rapidement.
Louison est seule, contrairement à d’habitude. Mais où est sa mère, qui d’ordinaire la regarde de très près... Je tourne la tête, il n’y a personne.
-Quand je suis triste, maman me dit qu’il faut pleurer pour aller mieux.
J’essuie à nouveau mes larmes de la manche de ma polaire.
-Où est ta maman ? Je demande la voix tremblotante, tout en ne pouvant pas croire ce qui m’arrive.
-Elle me cherche, dit la petite fille en prenant un air de fierté.
-Comment ça ?
-On joue à cache-cache dans la maison mais je suis allée dehors parce que j’ai vu que tu étais triste.
-Elle va s’inquiéter si elle ne te trouve pas alors.
-Oui, quand elle me perd, maman se met très en colère.
Je tente le tout pour le tout.
-Elle s’énerve contre ton frère parfois aussi ta maman ?
Le visage de la petite fille se raidit, elle est apeurée.
-Euh… Je… Maman ne veut pas que j’en parle…
-Elle ne veut pas que tu parles de Noah ?
Son sourire s’est complètement effacé. Elle cherche à tout prix un moyen de fuir cette conversation, comme si quelque chose lui faisait peur.
-Non, dit-elle fermement.
-Ecoute, je ne veux pas te faire peur, lui dis-je pour la rassurer. J’aimerais juste un peu plus apprendre à te connaître comme tu es si gentille avec moi. Ce sera notre petit secret.
Louison commence à se sentir en confiance. Elle s’apprête à dire quelque chose lorsque j’entends appeler au loin :
« Louison ! Louison ! Où es-tu ? je vais me fâcher ! »
-C’est maman je dois y aller ! S’exclame-t-elle.
-Mais att…
Je n’ai pas le temps de finir, je la vois accourir vers sa mère qui est sortie de la maison et qui à nouveau, me dévisage froidement. Je détourne le regard et fais semblant de rien. Il faut que je fasse attention. A force, elle va se douter de quelque chose et je n’aurai plus d’occasions pour découvrir la vérité sur cette famille.
29 juin 2018, Ajaccio, 6h03
Elle ne peut plus attendre. Elle ne peut plus se résoudre au silence. Il faut qu’elle leur dise la vérité. Il le faut. Déterminée, la femme se dirige seule vers le commissariat d’Ajaccio. Elle est partie vers cinq heures du matin. Elle n’arrivait pas à dormir, comme toutes les nuits précédentes d’ailleurs. Elle n’a pas prévenu l’homme qui maintenant doit être réveillé et doit s’inquiéter pour elle. Mais ce serait trop dur pour lui. Elle doit prévenir la police d’abord. Il le faut. Elle s’est garée dans l’avenue Eugène Macchini et avance désormais, les poings fermés vers le commissariat, bien décidée à rétablir la vérité sur son fils. Elle longe les terrains de pétanque. Elle l’aperçoit, il est là, plus que quelques mètres. Cependant, bien trop fixée sur son objectif, elle n’a pas vu l’ombre derrière elle.
Soudain elle sent un métal froid lui transpercer le dos et elle comprend que c’est la fin. Elle n’a pas besoin de crier : à cette heure-ci il n’y a personne. Elle pense à son fils suivant le flot des vagues, à ses cheveux châtains qui blondissent au soleil, à son chapeau vert foncé aux couleurs des tortues ninjas. Elle le voit lui sourire, il est là, devant-elle. C’est avec lui qu’elle a pu renaître. C’est avec lui qu’elle va pouvoir mourir paisiblement.
Lorsque la lame ressort, elle s’écroule. Elle sent un goût métallique dans sa bouche, celui du sang. Alors, elle sourit. Pour la dernière fois.