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1er juillet 2018, commissariat central d’Ajaccio, 8h05
L’inspecteur s’est levé du mauvais pied ce matin. Son visage est fermé, ses yeux fatigués. Il a une migraine infernale. Il n’a qu’une idée en tête : clôturer cette enquête le plus rapidement possible.
Ils ont bien vérifié la veille et il s’avère que Braun avait raison des le début. Quelque chose ne colle pas avec la vidéo de Marcellin Fritini. Les bateaux au fond se ressemblent mais un n’est pas le même. Un sun odyssée 349 et un first 35 en réalité contre un océanis 37 et ce même first 35 sur la vidéo. Non, quelque chose ne va pas…
Pourquoi ? Se demande l’inspecteur. Pourtant la vidéo semble si réelle. L’heure correspond, les personnes autour aussi, la météo, Ezéckiel…
Cette vidéo n’a pas pu être tournée à un autre moment que l’heure de la noyade. Tout y est. Sauf le sun odyssée…
Comment est-ce possible ? Fritini aurait-il réussi à faire un montage si réaliste ? Aurait-il filmé à un autre moment et rajouté tous les éléments qui étaient présents le jour du meurtre ? Ça aurait été un travail colossal… mais surtout il y a tellement de détails. Le petit garçon est présent après tout…
Cette affaire est définitivement une des plus difficiles qu’il ait pu rencontrer en vingt ans de métier. La plus difficile avait été l’enlèvement d’un petit garçon nommé Eric près de Bastia une année. Ils avaient fouillé l’île de fond en comble. Ils avaient même parcouru une partie du GR20 pour le retrouver. C’était en 2013. Ils avaient longtemps soupçonné l’oncle. Une caméra l’avait aperçu qui rodait non loin de la maison du petit quelques jours auparavant. Malheureusement par manque de preuves pour l’inculper, ils ont dû le relâcher et n’ont rien trouvé d’autre chez lui qui puisse l’incriminer. Alors au bout d’un an d’enquête, ils avaient renoncé. Eric avait été déclaré mort, au plus grand désarroi des parents. C’est sûrement l’enquête qui a le plus impacté sa vie. Il tenait tellement à retrouver ce petit. Parfois il lui arrive encore d’espérer, sans le dire à personne, il reprend de vieux documents sur l’enquête et les relit en espérant trouver quelque chose un jour.
Si la vidéo de Fritini est belle et bien fausse, il doit en avoir la preuve. Et pour ça, il n’y a qu’une seule chose à faire, aller parler au propriétaire du first 35. Qui sait ? Peut être qu’il ou elle aura une information importante à fournir. Peut être aussi que l’océanis 37 est parti un peu avant que la police arrive et que le sun Odyssée venait juste d’arriver. Il y a forcément une explication…
Pour le moment, l’inspecteur n’a qu’une question en tête : que s’est il réellement passé le jour de la noyade d’Ezéckiel ?
20 juin 2018, Cargèse, 10h25
Plus que cinq minutes…
Ils sont là tous les deux, assis sur la plage depuis une demi-heure. Jeanne s’est installée sous un parasol vert. Il les observe, tous les deux. Elle semble stressée. Ezéckiel en revanche est plus souriant que jamais. Il suit le mouvement de la vague et essaie d’éviter de toucher l’eau avec ses pieds. Il y a beaucoup plus de vent que la veille, et ça l’embête un peu. Il hésite même à repousser l’opération à demain. Mais tout compte fait, c’est peut être mieux. Les gens croiront plus à une noyade si la mer est démontée. Il regarde Ezéckiel et il le voit : Noah. Quand il le voit sourire il voit son sourire. Il ne pensait jamais le retrouver et pourtant il est là. Il se demande s'il aime le vélo. Après tout il le saura bientôt maintenant. Son fils est là tout près de lui et il est à cinq minutes de le récupérer.
Une dame voyant qu’il est debout depuis une demi-heure à observer Jeanne et son fils le dévisage. Il ne faut pas qu’il se fasse prendre. Il se déplace derrière un groupe de personnes, il se sent plus caché.
C'est l’heure. Il prend son téléphone dans sa poche et il compose le numéro.
Quelques secondes plus tard, il voit Jeanne qui agrippe son téléphone les doigts tremblant et appuie sur le bouton vert.
-Bonjour sœurette, ricane-t-il.
Elle tressaille.
-Ne t’en fais pas tout est bientôt fini pour toi. Il suffit juste que tu fasse ce que je t’ai dis tu te souviens ?
Il croit la voir hocher la tête.
-je sais ce que tu te dis : « Et si j’en parlais au gens à côté ? Ils pourraient m’aider. Il n’oserait pas nous attaquer en public. » Je me trompe ?
Elle semble se décomposer. Il a parfaitement deviné ce qu’il se passait dans sa tête. A vrai dire ce n’est pas bien compliqué.
-Mais détrompe toi, continue-t-il, si je ne m’attaque pas à toi et ton fils sur cette plage je viendrai vous trouver chez vous et je trancherai la gorge de ton marmot devant toi.
Elle se met à pleurer.
-Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi vouloir mon fils ? Demande-t-elle en pleurant.
-Parce que je le mérite…
Elle ne semble pas avoir compris. De toute façon elle ne pourrait pas comprendre.
-Vous n’êtes pas obligé de faire ça, supplie-t-elle, vous pouvez choisir d’être quelqu’un de bien…
-Malheureusement pour toi Jeanne, j'ai déjà choisi d’être quelqu’un de bien dans ma vie et ça n’a jamais marché…
Sur ce point, il décide de raccrocher. Ça y est, le moment est venu.
1er juillet 2018, île Rousse, 13h16
L’inspecteur Barot est une nouvelle fois accompagné de Braun. Ils ont pu retrouver le propriétaire du first 35, un certain Léon Richard. Heureusement, ils ont pu retrouver sa trace puisque par miracle il est équipé d’un AIS.
Il n’a pas quitté l’île et est à présent au mouillage face à la grande plage d’île Rousse. C’est là qu’ils se dirigent. Pour aller le voir sur son bateau, ils doivent d’abord emprunter une embarcation. Ils vont demander à la capitainerie du port.
-Comment vous y connaissez vous si bien en voiliers ? Demande l’inspecteur à Braun.
-Mon beau frère a un voilier, un first 31. 7. Tous les étés ils partent tous les quatre avec ma sœur et les deux petits. Parfois je fais quelques traversées avec eux. J’aimerais aussi m’acheter un voilier un de ces jours alors il m’arrive de me renseigner sur les modèles.
-Et quel est le meilleur modèle selon vous ?
-Mon rêve ce serait un Grand soleil, répond Braun, des étoiles plein les yeux.
-Et pourquoi donc ? Demande l’inspecteur, curieux.
-Ils ont tout, tout simplement : le confort, la vitesse, la qualité, ils sont très beaux en plus !
-Je ne m’y connais pas du tout en voilier honnêtement, déclare Barot, je suis monté sur un bateau que de rares fois. Ça m’a l’air d’être un luxe quand même que personne ne peut s’offrir. C’est une vie de rêve. Je me trompe ?
-C’est sûr que ce n’est pas donné, il faut vraiment en souhaiter un. Mais au final, un petit voilier peut vous revenir beaucoup moins cher que de vous acheter une maison de vacances à la mer par exemple. Surtout que lui peut se déplacer où vous voulez. Après bien sûr ce n’est pas aussi simple que les bateaux à moteur, c’est un apprentissage. Moi-même j’ai quelques difficultés mais je m’améliore, comme je peux. J’ai toujours trouvé ça bête qu’il n’y ait pas de permis pour naviguer un voilier mais un pour les bateaux à moteur. Un voilier c’est compliqué à manœuvrer et on ne peut pas apprendre seul.
-Ça doit être vraiment sympa de faire des vacances pépères sur un bateau, dit l’inspecteur, en pensant à ses prochaines vacances.
-Pépère… pas vraiment, ricane Braun. C’est l’aventure. Il y a toujours un soucis technique à bord du voilier, c’est très étroit et on a peu d’intimité, il faut vivre avec les conditions météorologiques, les navigations sont longues aussi. Il faut aimer l’aventure. Mais les paysages, les baignades, il y a rien de mieux. Par contre un voilier c’est très lent. Tenez par exemple de Toulon à Ajaccio, un voilier mettra en moyenne vingt-six heures tandis qu’avec un ferry c'est seulement sept-huit heures et encore…
-Vous m’apprenez beaucoup de choses… En tout cas, j’espère que si le propriétaire du first 35 aime l’aventure, il aime aussi observer autour de lui, parce que là, on a vraiment besoin de lui sur cette affaire.
Quelques minutes plus tard, un homme de la capitainerie a bien voulu les conduire à bord d’un semi-rigide, jusqu’au fameux first 35.
Arrivés sur le côté du voilier, ils constatent qu’il est assez récent, il doit dater des années 2009-2010. Il est très beau. Il a le même hublot long et fin que sur tous les autres voiliers de la marque Beneteau sur la coque. La jupe est ouverte. Les bancs pour s’asseoir à l’arrière du cockpit sont assez fin et peu confortable. Il possède une grande barre à roue et le rail de l’écoute de grand voile est situé en plein milieu ce qui ne facilite pas le passage. C’est définitivement un voilier de compétition et de régates plus que de confort.
Vu le physique et le caractère de l’homme qui sort de la cabine, ils comprennent bien qu’ils sont tombés sur un adepte de la voile.
L’homme à les traits caractéristiques du marin ou plus communément appelé « loup de mer ». Sa barbe est longue et bien fournie. Ses cheveux sont longs aussi sur le derrière. Ses sourcils sont entremêlés.
Il ne s’est pas rasé depuis longtemps, se dit l’inspecteur intérieurement.
Il doit avoir la soixantaine. Comme s’il accueillait des amis à lui, il n’est vêtu que d’un caleçon/maillot de bain. Son dos est recouvert de poils blancs presque aussi longs que ceux de sa barbe.
Il s’approche d’eux et les dévisage quelques instants.
-Oui, c’est pourquoi ? Demande-t-il en marmonnant.
-Police ! Déclare l’inspecteur en lui montrant son badge.
Ses poings se resserrent.
-Oui je sais ! Je n’ai pas mis ma boule de mouillage je vais le faire ! S’exclame-t-il comme si quiconque lui avait fait le reproche.
-Ce n'est pas ce dont il s’agit, continue l'inspecteur. Il s’agit de l’enquête à propos de la noyade d’un petit garçon sur la plage de Cargèse il y a dix jours maintenant. Vous y étiez au mouillage il me semble ?
L’homme semble s’être calmé.
-Ah… euh attendez montez je vais vous servir à boire.
Deux minutes plus tard, le semi-rigide est accroché sur le bâbord du bateau avec un bout et les quatre hommes (Braun, Barot, le propriétaire du bateau et l’homme de la capitainerie) sont installés sur les bancs peu confortables de l’arrière du voilier, un café dans les mains.
-D'où venez vous ? Êtes vous vacancier ici ? Demande l’inspecteur.
-Oui. Je viens de Nice. Chaque été maintenant que je suis à la retraite je pars un mois parcourir la méditerranée. Cette année je fais la corse et la Sardaigne. Mais ce n’est pas la première fois. Je connais déjà bien.
-Et depuis quand êtes vous en Corse ? Demande Braun.
-Depuis le dix sept juin. Je suis arrivé à Ajaccio. Mais je ne suis pas parti de Nice mais du Lavandou. Depuis un an mon voilier est là-bas. Les prix à Nice sont devenus trop chers. Alors je l’ai mis à presque deux heures de route mais au moins je sais qu’il est en sécurité.
Il avale une gorgée de son café puis expire bruyamment.
-Et quand êtes vous arrivé à Cargèse et pour combien de temps ? Demande l’inspecteur.
-Le dix neuf vers neuf heures je dirais et je suis parti le vingt vers quatorze heures lorsque vous avez… bouclé la zone.
L’inspecteur remarque de l’émotion dans cette fin de phrase. Il a dû apprendre ce qui est arrivé à Ezéckiel grâce aux informations.
-Et avez-vous remarqué les bateaux ancré autour de vous ?
-il n’y en avait qu’un à chaque fois.
L’inspecteur tressaille.
-Donc il y a eu plusieurs bateaux, rebondit-il. Et vous souvenez vous avoir vu océans 37 le jour de la disparition de l’enfant ?
-Hein ? Non. Répond-il sûr de lui. Vous devez vous tromper, il y en avait un mais c’était la veille et il est parti en début d’après-midi.
L’inspecteur et Braun se regardent.
-Le 20, il y avait un Sun Odyssee 349, je le sais, c’était mon ancien bateau, continue-t-il.
-Alors la vidéo à été prise la veille, pense L’inspecteur à voix haute.
L’homme ne semble pas comprendre.
Ils le remercient et s’en vont avec le semi-rigide de nouveau, vers le port. Une fois arrivés à terre ferme, l’inspecteur se met à tourner en rond et à s’agacer.
-Je ne peux plus de cette affaire à chaque fois que l’on pense résoudre quelque chose, un nouveau mystère entre en compte.
Braun le regarde faire, interloqué.
-Donc ce garçon disparaît, une semaine après on retrouve son corps et pourtant le témoin qui a dit l’avoir vu se noyer à trafiqué la vidéo. Ça n’a aucun sens ! Pourquoi avoir trafiqué la vidéo si cet enfant s’est noyé ? La mère a identifié le corps quand même !
Soudain Braun prend la parole et émet une hypothèse qu’aucun deux n’avait encore imaginé.
-Peut être que cet enfant n’est pas mort…