— Mon p’tit chat, Maman est rentrée !

Je chantonne presque en retirant mes bottines. Je rejoins le salon où je pose mon sac sur la table.

— J’ai plein de choses pour toi. Maman t’a encore gâté comme un roi.

Ma veste en jean posée sur le dossier d’une chaise, je sors la plante du sac et la tient devant l’aquarium pour la montrer à mon poisson.

— Tada. Surprise. Je t’ai acheté une fleur. C’est de l’anibias. Ou Anabius. Anubis ? Bon je ne sais plus, mais Rick m’a dit que tu allais sûrement apprécier. Et il s’y connait. Encore plus que ce que j’imaginais. Bubulle et Coco ont la même dans leur aquarium. Elle est belle hein ?

Je repose la plante et passe aux deux flacons de granulés.

— Et j’ai ramené des bonnes choses à manger. Ceux-là sont à la spiruline. Une algue qui donne la pêche. Tu vas te régaler.

Enfin j’attrape les sachets d’artemias et les agite devant-lui.

— Et des petites larves lyophilisées. C’est très dégueu mais paraît que tu vas en raffoler. Et sinon j’ai vu plein de congénères. Il y en avait de toutes les couleurs. Mais tu restes le plus beau, évidemment. Pour ta future copine, ce sera sûrement un poisson rouge comète. Ou alors un shubi truc, comme Bubulle. Je dois encore y réfléchir. Et lui trouver une maison en attendant de la mettre avec toi. Voilà. Et toi tu ne t’es pas trop ennuyé ?

En même temps que je le questionne, je sors la plante du sachet pour l’immerger dans l’aquarium et bloquer les racines dans le sable. Surimi ne perd pas de temps et va tout droit vers elle pour tourner autour.

— Rick a dit que tu pouvais la manger. Mais gardes-en pour demain. Et après-demain. Elle peut te durer plusieurs jours…

Un message fait sonner mon portable. C’est Aurélie.

Tu es rentrée ?

Comment ça s’est passé ?

Je veux savoiiiiir !!

Toujours avec le sourire, je tape en vitesse une réponse à ma meilleure amie.

Faut qu’on s’appelle, j’ai trop de trucs à te raconter !!

Quand ? Au hasard, je propose maintenant. J’en peux plus d’attendre !

J’ai envie de rire et commence à lui dire que je suis rentrée depuis seulement un quart d’heure. Mais son impatience a dû prendre le dessus et je n’ai pas le temps de terminer ma réponse qu’elle m’appelle déjà.

Sur l’écran, elle apparaît avec ses cheveux attachés n’importe comment et son pot de glace dans les mains.

— Je suis installée sur mon canapé et tu as toute mon attention, m’annonce-t-elle directement.

Je ris et elle me fait tout de suite une remarque sur mon visage rayonnant.

— Raconte-moi tout. Et quand je dis tout, c’est tout.

Elle plonge sa cuillère à soupe dans son pot Ben et Jerry en attendant que je parle.

— Déjà, je me suis trompée de personne. J’ai eu une honte monumentale et subi un grand moment de solitude. Il m’a écrit qu’il arrivait et un type était devant les grilles du parc. Alors j’ai cru que c’était lui et le gars en question a commencé à partir alors je lui ai presque couru après pour qu’il me voit. Finalement ce n’était pas Rick et il est arrivé derrière-moi.

— Rien que le début est palpitant et prometteur. Et après ?

— Nous avons parlé, brièvement. Echangé des broutilles. Et nous sommes allés au magasin. En route nous avons parlé de ses parents qui habitent dans le Jura, des miens qui sont à Paris. J’ai aussi appris qu’il habite à Montrouge et travaille à Picpus.

— Formidable.

— Ensuite dans le magasin il m’a donné plein d’informations. C’est incroyable tout ce qu’il connait. Il m’a présenté les espèces de poissons, m’a conseillée sur celles qui s’acclimateraient le mieux avec Surimi. Et nous sommes allés dans le rayon nourriture, j’ai acheté plusieurs granulés pour mon p’tit chat. Et une plante aussi pour mettre dans l’aquarium.

— Passionnant. Et sinooon ? insiste Lili en remuant sa cuillère.

— Et bien il m’a proposé d’aller prendre un café. On s’est mis à une terrasse et je lui ai prêté mes livres. Il m’a assuré qu’il en prendrait grand soin. En ce-moment il lit un livre de Franck Thilliez. Nous avons parlé littérature. Et un peu écriture. Je ne sais plus comment c’est venu, mais dans un message j’avais évoqué le fait que j’écrivais, avant. Au temps Jadis, tu te souviens ?

— Oui oui. Tu écrivais des textes magnifiques d’ailleurs.

— C’est ça… Et il m’a demandé pourquoi je n’écrirais pas mon histoire avec Surimi.

A travers l’écran je vois les yeux d’Aurélie s’ouvrir grands comme des soucoupes.

— Mais cet homme est un génie ! C’est l’idée du siècle ! Il a raison, tu dois écrire votre histoire. Ce Rick est vraiment incroyable.

— Stop, attends, je n’écris plus et je n’ai pas prévu de recommencer.

— Chhh, fait-elle avec de glace dans la bouche. Tu dois…le faire…essa-yer au… moins, articule-t-elle en essayant de ne pas s’étouffer.

— Mouais… c’est ça.

— Et après vous avez continué de parler ?

— Pas vraiment, nous sommes partis chacun de notre côté. On s’est dit qu’on se recontactait. Et puis on s’est fait la bise.

Aurélie avale sa bouchée de glace et lève de nouveau sa cuillère.

— Bien. Très bien même la bise. C’est important d’avoir un premier contact physique.

— Si tu le dis.

— Je le dis. Et tu sais que j’ai toujours raison. Bon et mise à part la littérature et les poissons… Tu ne m’as pas dit le plus important. Comment il est ? s’excite ma meilleure amie. Grand, petit, brun, blond, bleu, blanc, rouge, noir ?

Je rigole et prend le temps de réfléchir pour bien trouver mes mots.

— Alors… Il est bel homme, je commence.

— J’en étais sûre ! Mais encore ?

— Il est plutôt brun. Enfin pas vraiment, mais il n’est pas blond non plus. Il est entre le brun et le blond.

— Châtain ? Châtain foncé ? Châtain clair ?

— Sans doute un des trois. J’hésiterais plutôt entre le châtain et le châtain clair.

— C’est noté. Après ?

— Ses cheveux sont courts, mais il a comme une mèche devant. Et du volume au dessus. Mais plutôt dégradé sur les côtés.

— Tu l’as bien regardé dis donc, s’amuse Lili. Et ses yeux ?

— Noirs. Grands. Il a un regard assez froid, mais il est très sympathique.

— Et quoi d’autres ?

— Il est grand. Mais pas trop. Il est plus grand que moi mais je doute qu’il me trouve trop petite.

— Pfff, fait Aurélie en levant les yeux. Et pour le reste ?

— Je l’ai trouvé très élégant et charismatique.

— Charismatique ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Et bien charismatique. Cherche la définition sur Google.

— Humm, bougonne Aurélie.

— Enfin voilà, le rendez-vous c’est très bien passé. Je n’ai pas vu le temps défiler. C’était extrêmement sympathique.

— Alors charismatique. Qui possède du charisme. Merci Google…

— C’est un peu comme captivant. Tu vois ?

— Hmm…

— C’est sa manière de parler des poissons surtout. Il a des paroles envoutantes et tellement justes.

— Donc en résumé, tu es sous son charme.

— Non ! je me défends. Enfin peut-être un petit peu…

— Mais c’est juste parce qu’il parle bien des poissons, j’ai compris.

Aurélie me fait un clin d’œil que je fais semblant d’ignorer.

— Il était habillé comment ?

— Un jean élégant. Avec une chemise et une veste par-dessus. A la fois très simple mais classe.

— Pas mal. Il a marqué beaucoup de points. Et j’ai failli oublier de te demander, comment il s’appelle ?

Songeuse, je ne réponds pas.

— Je ne comprends pas ta question.

— Rick c’est un pseudo, non ? Quel est son prénom ?

— Je n’en ai aucune idée. Cette question ne m’a même pas frôlée l’esprit.

— Loulou quand même !

— Je lui demanderais la prochaine fois, je dis sans réfléchir.

Aurélie plante sa cuillère dans son pot de glace en me faisant un grand sourire.

— Vous avez déjà programmé votre prochain rendez-vous ? Ce sera quand ? Où ? Qu’est-ce que vous ferez ?

— On n’en a pas parlé, mais logiquement… Vu que tout s’est bien passé, on devrait se revoir, non ?

— Au moins pour qu’il te rende tes livres. Tu as bien noté ton nom à l’intérieur ?

— Heu… il se peut que dans l’excitation, j’ai oublié…

— Loulou, fait Aurélie d’un air désespéré.

Le soir, je mets de l’eau à chauffer pour faire cuire des tagliatelles. Ca me fait penser qu’il faut que je me rachète des pâtes, mon stock a fondu comme la neige au soleil. Je chantonne en sortant mes couverts. Casse un œuf et sépare le blanc du jaune. Sors mon sachet d’emmental rapé et attends que le minuteur sonne.

J’éteins la sonnerie dès qu’elle s’active et vois au même moment que j’ai reçu un message. Tellement occupée à surveiller l’eau dans ma casserole, je n’y ai même pas prêté attention.

Soudainement surexcitée en voyant l’expéditeur, je cours presque dans le salon.

— Mon p’tit chat, Rick m’a écrit ! Il me dit : ma chère Lou, je suis ravi de ce moment passé en ta compagnie. J’essaye de terminer mon livre ce soir pour commencer l’un des tiens au plus vite. J’ai décidé que mon premier Amélie Nothomb serait mercure. As-tu installé l’anubias ? Surimi s’y intéresse ? Je te souhaite une bonne soirée. Rick.

Surimi n’est pas très réceptif et semble même m’ignorer totalement. En plus de la balle de ping pong, sa nouvelle plante aussi le captive.

— Je dois lui répondre. Alors… Cher Rick. J’ai également passé un très bon moment. Cette visite dans FishLand avec toi a été si enrichissante. Jamais je n’avais vu autant de beaux poissons en si peu de temps. J’ai hâte d’avoir ton avis sur mercure. Surimi a encore une bonne raison de m’ignorer, la plante a toute son attention. Passe une bonne soirée toi aussi. Lou (mais ce n’est qu’un surnom, mon prénom est Liloo.)

J’envoie le message, satisfaite d’avoir tendue la perche pour connaître son prénom. A moins qu’il s’appelle réellement Rick ? Souriante jusqu’aux oreilles, je trépigne sur place en me demandant s’il va m’envoyer un autre message dans la soirée.

— C’est bien qu’il m’ait écrit, hein mon p’tit chat ? Ca veut dire que je ne lui ai pas fait peur. Qu’il va probablement continuer à échanger avec moi. Et qu’on va peut-être se revoir… Oh non ! Mes pâtes !

En même temps que je prononce les derniers mots, je détale jusqu’à la cuisine où je verse le contenu de la casserole dans la passoire. Les tagliatelles sont toutes collées et extrêmement molles.

— Pfff… un point pour les pâtes, zéro pour Liloo, je râle.

A table, avec mon portable à côté de moi pour regarder brièvement les dernières actualités, je reçois un nouveau message.

Rick : Vraiment ? Tu es en train de me dire que tu n’es jamais allée dans un aquarium ?

Non, ce n’est pas possible… Avoue que tu fais exprès pour que je t’y emmène.

La bouche remplie de pâtes, je souris en me demandant si c’est une invitation.

Lou : Je ne voyais pas l’intérêt d’aller voir des poissons.

Je ne voyais aucun intérêt à m’intéresser aux poissons d’une manière générale.

Mes poissons favoris étaient les poissons panés croustibat de Findus. Tu en manges des fois ? Tu connais leur nombre de calories ?

Mais ce serait avec plaisir que j’irais voir un aquarium avec toi.

Je prends une nouvelle bouchée et mâche. La nouvelle réponse ne tarde pas à arriver.

Rick : L’aquarium du Trocadéro.

L’aquarium de la porte Dorée.

Rah, je vois que j’ai énormément de choses à t’apprendre et à te montrer.

Tu as une forte carence de connaissance en matière de poisson.

Il va falloir y remédier, sinon je serais dans l’obligation de te supprimer de mes contacts.

Lou : Zut ! Non je vais aller dans les aquariums s’il le faut, mais ne me supprime pas ! Pitiééé.

On commence par lequel ? Il y en a un qui est mieux que l’autre ?

On y va quand ?

Rick : Inutile de faire un choix. On ira voir les DEUX !

Je ne peux pas te laisser dans l’ignorance. Ce serait indigne de ma part.

Comme je suis en congés à partir de mercredi. Je te propose, mercredi.

Lou : Ok, c’est tout bon pour moi. Tu me dis où et à quelle heure.

Je promets d’être ponctuelle pour la visite guidée.

A force d’échanger des messages, lorsque je termine mon assiette les pâtes déjà collées et molles sont aussi froides. Ce dîner aura été un vrai régal. Mais peu importe. Je vais revoir Rick dans deux jours. Un peu plus et je sautillerais sur ma chaise.

Rick : J’ai failli oublier. Moi aussi Rick est un surnom (et pseudo.)

Je m’appelle Alderick-Vince.

(Ce n’est pas commun et ces deux prénoms n’ont rien à faire ensemble, mais que veux-tu… Mes parents n’arrivaient pas à se mettre d’accord.)

— Alderick-Vince, je répète à Surimi après avoir dîné. C’est la première fois que j’entends ce prénom.

Sur mon canapé, je ne perds pas de temps et préviens Lili que Rick ne s’appelle pas Rick. Lorsque je lui dit son prénom, elle m’envoie un smiley avec des gros yeux.

Lili : Super zarbi comme prénom !

Lou : Mais non, c’est juste original.

En allant me coucher, je me remémore ce moment où il est arrivé dans mon dos et que nos regards se sont croisés. Nous allons nous revoir dans deux jours. Toujours souriante, je rabats la couette sur ma tête. Vivement mercredi.