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Une femme pressée.

Une femme pressée.

Publié le 21 août 2024 Mis à jour le 21 août 2024 Drame
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Une femme pressée.

En retard, Caroline trottine sur le parvis de la Défense aussi vite que sa jupe crayon le lui permet. Le souffle court, vacillant sur ses talons, elle sent la sangle sur son épaule lui cisailler la peau.

Dernier coup d’œil avant d’entrer. La façade vitrée de la tour lui renvoie son image en transparence et Caroline se demande si l’illusion tiendra encore un jour de plus.

Elle lisse le tissu sombre de son tailleur, rattrape quelques mèches échappées de son chignon, puis souffle en s’engouffrant dans les portes battantes qui ne la recracheront qu’à 18h.

Hochement de tête au vigil, le sac pèse de tout son poids sur son bras, l’écho de ses talons résonne dans le hall. Elle le soulève pour déclencher le tourniquet grâce à son badge stratégiquement rangé à l’intérieur (gagner du temps, toujours).

Lorsque rien ne se passe, le film de sa mémoire se déclenche dans sa tête. Changement de sac, oubli, perte… Elle se résout à stopper sa course pour fouiller cet immense fourre-tout. Elle plonge son bras dans la gueule du sac et sent la froide morsure de la fermeture éclaire sur sa peau.

De la pulpe de ses doigts, elle explore le contenu du sac et convoque des images mentales pour se diriger dans cette jungle inextricable d’objets hétéroclites. L’ordinateur portable de son entreprise est bien là, calé contre la toile tendue, et rapidement, elle bute contre le tupperware dont le rebord en plastique poisseux lui indique que sa vinaigrette a débordé. Ses doigts cherchent alors en hâte le toucher rassurant de sa pochette en satin, véritable nécessaire pour femmes pressées (tampons, maquillage et antidouleurs), qui semble vierge d’huile d’olive. Soupir de soulagement. Les yeux dans le vague, concentrée sur son exploration, Caroline entame sa descente dans les profondeurs de la besace. Sur sa route elle croise une collection d’objets oubliés depuis longtemps. Un bic sans bouchon lui laisse une traînée bleue sur la phalange, une boucle d’oreille solitaire s’accroche dans sa bague, et un baume à lèvres échappé de la pochette en satin refait surface dans sa mémoire. Elle change alors de stratégie, sort sa main et la replonge aussi tôt entre le tissu et la coque métallique glacée de l’ordinateur. Dans l’interstice, elle rencontre un carré de papier vélin. La voilà transportée à Saint-Rémi-de-Provence et son soleil de plomb, dans la petite boutique de créateurs si jolie où elle avait déniché ces carnets de notes faits main pour la mère d’Hervé et elle.

Le temps passe et Caroline s’agace. Impossible de mettre la main sur ce rectangle de plastique. Un œil inquiet rivé sur l’immense horloge numérique du hall, elle voit s’envoler les secondes dans un tourbillon de leds rouges, sadique et implacable.

Le métal lisse et froid du thermos lui rappelle qu’elle a sauté le petit-déjeuner ce matin et qu’elle a urgemment besoin d’un café. Sa main tremble et elle décide de déposer son fardeau sur le marbre blanc du hall. Dernière tentative avant de perdre patience et pudeur, et d’en renverser le contenu ici, par terre à la vue de tous. Caroline joue le tout pour le tout et se lance à l’assaut du chaos à deux mains au risque d’un accroc sur sa manucure. Elle bouscule sans ménagement son téléphone, s’emmêle dans l’enchevêtrement des fils d’écouteurs, et lutte contre un livre de poche dont elle ne se souvient plus le titre, avant d’atteindre le fond du sac qui repose, inerte, sur la pierre froide. Quelques miettes gisent ici, souvenir rassi des baguettes qu’elle attrape chaque soir à la boulangerie de la gare.

Tout à coup, elle le sent sous son petit doigt. Le plastique rugueux du badge sur lequel elle visualise sa photo et le logo vert et bleu de son entreprise. Caroline Monceau, Service Marketing. Enfin. Son cœur fait un bond, et elle l’attrape. Elle est sur le point de se relever, victorieuse, lorsqu’elle effleure ce qui ne devrait pas être là. La douceur du tissu lui sert la poitrine. Elle s’empare du trésor qu’elle dépose dans le creux de sa main.

Accroupie sur le sol de la tour, des tonnes de béton, de verre et d’hommes pressés au-dessus d’elle, Caroline contemple la chaussette de nouveau-né bleue et blanche qui repose dans sa paume.

Entre ses cils gainés de mascara, une larme s’échappe et vient tracer son sillon clair dans le masque de son fond de teint.

Les secondes écarlates s’égrènent toujours sur le mur. Caroline a oublié le badge. Elle ne montera pas dans l’ascenseur aujourd’hui.

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